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L'âme défroissée

Par  Valérie Gay-Corajoud  

 

 

C’était il y a environ un an… automne 2018.

 

Cela faisait un moment déjà que Netflix me faisait de l'oeil avec son annonce, et ce qu’elle en montrait était suffisamment plaisant pour que je la mette dans un coin de ma tête. Pour autant, je ne me suis pas jetée dessus, la rentrée scolaire étant une période laissant peu de disponibilité pour une série, quelle qu’elle soit.

 

Et puis un soir, je me suis finalement  laissé embarquer.

Ce n’est pas que j’avais plus de temps que les autres jours ! Non, c’est juste que je n’allais pas très bien, que j’étais épuisée, presque éteinte… et que je n’avais la force ni de lire, ni de travailler, ni même de choisir un film ou une série parmi les autres. Alors j’ai cliqué sur la première qui se présentait, avec l’idée qu’elle m’aiderait à m’endormir.

Il faut dire que ces derniers temps je n’arrivais à accrocher sur rien. Trop de soucis en tête empoisonnaient mes jours et mes nuits, jusqu’à parfois me rendre folle ! C’était comme une ombre qui me grignotait de l’intérieur, jusqu’à éteindre les parcelles qui m’avaient jusqu’alors illuminée. Joie, espoir, projets, romantisme, tout semblait être à l’arrêt. Je n’étais plus que raison et sérieux, combat et abandon…  Comme si c’était là une fatalité. 

Et puis il y a eu Claire… puis Jamie, puis Murtagh, Dougal, Colum !! Puis il y a eu l’Écosse, les chevauchées, les combats pour l’honneur, les rires, l’amitié, la fraternité. Et puis il y a eu l’amour.

J’ai regardé les 10 premiers épisodes d'une seule traite… la nuit comme écrin, le silence, la fraîcheur, la douce caresse de la respiration de mon chien et le ronronnement de mon chat, comme seule accroche à la réalité.

Je riais, je pleurais, je rêvais… à nouveau en vie. La dernière fois que j’avais ressenti une telle émotion romanesque, c’était adolescente, à la lecture des "Angélique", d’Anne et Serge Golon. C’était comme une part de cette enfance qui reprenait naissance en moi.

 

Les jours suivants j’ai avalé les épisodes à un rythme effréné, laissant de côté un travail pourtant urgent, annulant des rendez-vous, laissant mes nuits sans sommeil et mon corps épuisé. Pourtant je retrouvais une part en moi qui semblait être à jamais éteinte : le rêve… et peut-être même l’espoir, et cela m’apparaissait comme une impérieuse nécessité, comme une indiscutable priorité.

C’est en arrivant au dernier épisode proposé sur Netflix que j’ai réalisé que la saison 4 était en pleine diffusion à raison d’un épisode par semaine. Je suis revenue de plain-pied dans la réalité.

J’ai alors pris le temps de m’intéresser aux acteurs, réalisateurs, auteurs… Et, plutôt que d’attendre l’épisode suivant, j’ai recommencé presque aussitôt à partir du début, en version originale cette fois, me plongeant avec délice dans les consonances incroyablement dynamiques de la langue écossaise.

J’essayais de parler de la série autour de moi, mais personne ne semblait connaître, et certains se moquaient un peu, ou, pire, avait une attitude condescendante…  Valérie se fait un petit retour d’âge ? Alors je n’ai plus rien dit. Il n’était pas question que quiconque dise du mal de ma série adorée.

C’est là que j’ai eu l’idée de m’inscrire à un groupe Facebook privé. C’était parfait. Des fans comme moi, et personne de ma connaissance pour me juger, pour égratigner ce petit coin de bonheur. J’ai découvert alors que je n’étais pas la seule à avoir plongé de la sorte dans la série, et qu’il y en avait même des plus atteint(e)s que moi ! Mais surtout, j’ai réalisé que la série était issue d’une saga littéraire incroyablement prolixe puisque l’auteur, Diana Gabaldon, avait écrit 8 tomes tous plus épais les uns que les autres, ainsi que des ouvrages en parallèle, faisant apparaître certains personnages dans d’autres circonstances. La lectrice vorace que j’étais n’en revenait pas de cette aubaine !

Le lendemain,je suis allée dans une librairie et j’ai acheté l’intégrale (14 bouquins en tout puisque certains tomes sont en deux parties), sans même réfléchir à ce que cela allait grignoter dans mon budget pourtant fragile, et je me suis littéralement immergée dans les mots magiques de Diana.

C’était pire encore que la série ! Comme j’étais en vacances, je pouvais parfois lire jusqu’à 10 ou 12 heures par jour ! J’ai passé plusieurs nuits blanches, incapable de m’arrêter ! Et lorsque je ne lisais pas, je bavardais des heures durant sur ce groupe Facebook qui me faisait me sentir en vie comme jamais. Certains de mes voisins m’ont avoué par la suite qu’ils m’avaient crue en voyage durant plusieurs jours.

 

Ça fait un an donc.

Depuis, j’ai visionné la série dans son intégralité 3 fois, j’ai lu les livres dans leur intégralité 2 fois et, comme si cela ne suffisait pas, je suis devenue modératrice du groupe Facebook des fans français et j’ai créé mon propre site internet… sur lequel aujourd’hui je me confie. 

Est-ce de la passion, de l’engouement ?

De la folie pour certains assurément, et pour d’autres une perte de temps. Mais je laisse dire sans rien répondre, car ce que cela provoque en moi n’est ni qualifiable, ni quantifiable. Ce qui se passe en moi est intime et indivisible.

 

C’est le déploiement d’une partie de mon âme qui s’était froissée au contact de la vie.

C’est la beauté d’une histoire d’amour qui m’a aidée à me relever après que la dureté du monde m’avait fait me recroqueviller.

C’est le réveil de mes sens que la fatigue avait engloutis.

 

Qui oserait me dire, aujourd’hui, que cela ne compte pas ?