MENU 

L’avis d’une fan anthropologue sur Outlander

J’ai fait une pause dans l’entretien de mon blog depuis un certain temps, principalement en raison de deux facteurs. Tout d'abord, j'ai lancé un podcast d'anthropologie public, Anthropologist on the Street (hourra!), qui a été une excuse fabuleuse pour passer des heures à parler à des anthropologues brillants et souvent drôles et les forcer à expliquer en anglais simple pourquoi leur travail est important. C’est comme une université gratuite, mais avec moins d’examens et de gueule de bois.

 

La deuxième raison est que j'ai récemment découvert la série Outlander de Diana Gabaldon. Huit livres et 7500 pages plus tard, j'ai levé la tête pour constater que mes enfants étaient devenus trop grands pour tous leurs vêtements et s’étaient retrouvés à manger de l’herbe, car maman n'avait pas fait les courses parce que MAMAN ETAIT EN TRAIN DE LIRE. Après avoir nourri mes chéris et les avoir réinscrits à l'école, j'ai poussé mon mari à regarder la série de Starz qui vient de terminer sa troisième saison. Il parcourt maintenant la maison en disant des choses comme «I dinna ken, Sassanach» [ndlt: “je ne sais pas, Sassenach”] et en planifiant un voyage en famille en Écosse.
C’est une question répandue parmi les fans : pourquoi sommes-nous si, hum, fanatiques. Les livres eux-mêmes sont impossibles à catégoriser. Ce sont la fiction historique, la romance, l'histoire naturelle, le mystère et la science-fiction. L'histoire commence [et oui, il y a des spoilers mineurs à venir] avec une infirmière anglaise de la Seconde Guerre mondiale, Claire, qui est en vacances d'après-guerre avec son mari dans les Highlands d'Écosse, quand elle traverse un cercle de pierres dressées et se retrouve en 1743. Claire trébuche dans le passé, essayant de survivre aux rencontres avec les redcoats britanniques et à leur mélange effrayant de barbarie civilisée, ainsi qu'aux rencontres avec les clans écossais hiérarchisés, brutaux et pourtant un peu plus humains. En chemin, elle forme un profond attachement romantique avec un jeune Laird, Jamie, dont le personnage se présente désormais comme l'homme parfait dans l'imagination de millions de femmes (et de nombreux hommes).

La série télévisée est aussi engageante et aventureuse que la série de livres, capturant la majeure partie de la complexité, ainsi que certains des meilleurs dialogues, des romans. La reproduction exceptionnelle de détails historiques, ainsi que le casting de deux magnifiques acteurs pour incarner les personnages principaux de Claire et Jamie, n’ont fait qu’attiser les feux des obsessions des fans.

Mais pourquoi ? Cela ne peut pas complètement venir du c** de Sam Heughan (même si cela devrait être considéré comme un trésor national) [ndlt: allusion à l’article traduit récemment pour notre groupe et que vous pouvez trouver ici --> Sam Heughan de “Outlander” n’est pas dérangé si vous objectivez son “beau c**” 

Dans The Outlandish Companion, l'auteur Diana Gabaldon rapporte que «l'élément le plus commun que les gens apprécient dans les livres est simplement les personnages - les lecteurs se soucient de ces personnes, s'intéressent à eux et veulent en savoir plus sur eux». Il ne fait aucun doute que Gabaldon est une conteuse épique, et ses personnages vivent et respirent dans leurs kilts et leurs corsets.
Mais les histoires doivent se connecter à des éléments sociaux et culturels en cours pour être pertinentes, et Gabaldon excelle dans ce domaine comme une anthropologue de formation. Voici donc mon point de vue sur la raison pour laquelle tant d'entre nous trouvent que la série Outlander est si pertinente pour nous en ce moment :

À une époque où nous réécrivons la politique du genre, parcourons le monde à la vitesse de Skype et luttons pour rester à flot dans un monde devenu fou, les livres Outlander nous donnent plus que matière à réflexion, ils nous donnent une feuille de route possible pour notre paysage moderne.


MOI AUSSI, CLAIRE, #METOO
Dès sa première page, Outlander est une série sur la femme moderne à des temps non modernes. Démarrant dans les années 1940, en passant aux années 1740, puis en faisant le va et vient dans les époques*, il s'agit de lutter pour le respect tout en étant pincée au derrière et en craignant généralement pour votre vie et votre sécurité. Il s’agit d’en savoir plus que quiconque autour de vous, mais de continuer à jouer le rôle de mineure perpétuelle, à la merci de la discipline de votre mari, de votre laird ou de votre père.

Dans le sixième tome, La neige et la cendre, Claire rencontre un autre voyageur du temps [ndlt: on le rencontre dans la saison 5, il s’agit de Wendigo Donner qui fait partie de la bande de Lionel Brown] qui s'approche d'elle après avoir entendu son juron préféré anachronique, mais qui dit l'avoir reconnue comme hors du temps bien avant sa référence à un futur président américain.

«J'aurais dû savoir ce que vous êtes… avant même que vous ayez dit : « Jésus H. Roosevelt Christ ».

«Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?» lui répondis-je.

«… Vous n'avez pas peur des hommes. La plupart des femmes de cette époque, si. Vous devriez avoir plus peur.»

Ses conseils, qui aideraient sûrement Claire à éviter (encore plus) les agressions et les abus, tombent dans l'oreille d'un sourd. Elle ne sera pas inférieure à ce qu'elle est, quelles qu'en soient les conséquences.
Claire et sa fille Brianna ont un talent frappant pour ce qui est leur vocation, mais elles doivent faire face à la tâche sans fin, souvent mortelle, de faire leurs preuves à plusieurs reprises. Que ce soit dans les années 1770 en Caroline du Nord, etc.*, les femmes affichent obstinément leur compétence, ce qui ne fait souvent qu'attiser la rage des hommes qui cherchent à les remettre à leur place. C’est l’expérience qui se reflète dans la vie de tant de femmes politiques, de policières, d’actrices, de chirurgiennes et de cheffes d’entreprise. C'est le mouvement #metoo avant que Twitter ne soit inventé.

Mais les dames d’Outlander n'ont rien de ce mouvement dans leur vie. Et, surtout, les hommes non plus.

Ce qui nous amène à…


JAMIE * EMOJI AVEC DES COEURS A LA PLACE DES YEUX * FRASER, LE ROI DES HOMMES
Le producteur de la série télévisée Outlander, Ron Moore, a qualifié le personnage de Jamie Fraser de «roi des hommes», et ce n’est pas étonnant. Il est phénoménal. Grand, beau, héroïque, infatigablement compétent pour chasser, cultiver, se battre, converser en langues étrangères comme un locuteur natif, construire des maisons à l’aide de ses mains nues et d’une hache, citant par cœur des auteurs en passant d'Ovide à John Donne, se balançant à travers la fenêtre d'un fort anglais bien défendu pour sauver sa femme d'un redcoat sadique - ce que Jamie ne peut pas faire ne vaut pas la peine d’être fait. Mais tout cela me laisserait ennuyée par son irréalisme s'il n'était pas aussi empathique, drôle, sensible émotionnellement et suffisamment imparfait pour que sa relation avec Claire évolue toujours.
Claire et Jamie, le couple principal de la série, sont hétérosexuels, cisgenrés et à première vue, traditionnellement occidentaux dans leur division des rôles de genre. Mais (comme nous tous), ils sont en fait constamment en train de négocier leur masculinité, leur féminité, leurs personnages publics et leurs rôles dans leur relation. Ce qui les rend uniques, c'est qu'ils s'acceptent sans cesse l’un l’autre.
La série télévisée fait ce que je pense être une grave erreur en essayant d'augmenter la tension à l'écran, par exemple en demandant à Jamie de montrer du ressentiment à propos du travail de Claire dans un hôpital dans la saison 2. Non seulement cette tension est absente dans les livres, mais plus tard dans la saga, Jamie s'inquiète lorsqu'ils déménagent dans un endroit éloigné, craignant que Claire n'ait pas assez de travail intéressant pour la garder heureuse.

Le livre est d’un romantisme à couper le souffle et Jamie est établi très tôt comme le rôle principal masculin, mais Gabaldon réécrit le modèle du héros ‘qui sauve la jeune fille’ d'une manière inattendue. Jamie sauve Claire. Encore et encore. Mais Jamie ne la sauve pas pour défendre sa vertu (enfin, la plupart du temps. C’est un Écossais du 18ème siècle, donc c'est un peu compliqué). Surtout, cependant, il défend qui elle est.
La franchise de Claire, son attitude irrévérencieuse et son manque général de soumission lui causent des ennuis à plusieurs reprises, et Jamie la sauve (parfois de manière dramatique et à couper le souffle). Mais Gabaldon n'écrit pas Jamie comme sauvant Claire d'un mauvais homme juste pour la ramener dans les bras d'un bon; il est plutôt son allié, la protégeant des attentes et des réactions de la société, même s'il souhaiterait qu'elle s’y conforme un peu plus pour sa propre sécurité.

Un exemple de cette dynamique se joue à travers les livres 5 et 6 sur le refus de Claire de porter une coiffe, symbole de la modestie et marqueur de la respectabilité des femmes âgées.
SPOILER tome 6 / saison 6


Lorsqu'elle se remet d'une terrible maladie, une aide bien intentionnée (et une qui harcèle constamment Claire pour-l'amour-du-ciel-s'il te plaît-couvre-ta-tête-décemment) a rasé la tête de Claire. Claire est horrifiée par son apparence et Jamie lui demande provisoirement si elle aimerait porter une coiffe. Elle refuse obstinément de permettre aux circonstances de dicter sa décision de ne pas en porter, et Jamie est visiblement soulagé, y voyant un signe qu'elle est revenue à la normale. Il sait qui elle est, s'en délecte, le regrette parfois et mourrait pour la protéger.


FIN DU SPOILER tome 6 / saison 6
Jamie a du pain sur la planche, car l’existence même de Claire remet en question les normes culturelles de genre, peu importe où elle va. Exaspérant les hommes puissants par son insistance à dire la vérité à voix haute et son refus de se recroqueviller, Claire devient la cible de violences de la part des soldats britanniques, des aristocrates français et des colons américains. C’est là le changement : le héros sauve la jeune fille, non pas parce qu’elle ne peut pas le faire elle-même, mais parce que le poids de la structure sociale misogyne est trop lourd à porter seule.

Il ne s’agit pas du fait que les femmes soient le sexe le plus faible, mais plutôt le sexe le plus vulnérable.


CLAIRE, L'ANTHROPOLOGUE RÉTICENTE
L’une des principales raisons pour lesquelles je trouve le voyage de Claire si fascinant est peut-être parce que son esprit et sa curiosité la placent dans le rôle d’anthropologue accidentelle. Je suis amusée et pas surprise que son personnage ait été élevé par un oncle archéologue, qui l'a traînée à travers le monde dans les années 1920 et 1930, l'exposant à une multitude de cultures et de contextes de vie.

En tant que narratrice, Claire rend l'étrange familier, nous emmenant à travers la vie quotidienne de l'Écosse, de la France, des Antilles et de l'Amérique du XVIIIe siècle. Si souvent, lorsque nous lisons l’histoire, elle est écrite sous une forme qui se concentre sur les grands événements des grandes personnes, mais le travail de Gabaldon, bien que fictif, est également profondément ethnographique. Elle a écrit dans The Outlandish Companion que, après des années de commentaires des fans, un élément qui ressort est que «Beaucoup d’entre eux apprécient le sentiment d’« y » être ; l'expérience par procuration d'un autre lieu et d'une autre époque. (Elle a fait un si bon travail avec cela, avec les producteurs de la série télévisée, que l'Écosse est actuellement inondée de touristes inspirés par Outlander.)
C’est précisément ce que Clifford Geertz a dit que les anthropologues devraient transmettre lors de la rédaction de leurs expériences ethnographiques sur le terrain : le sentiment d’« y » être. Les anthropologues culturels décrivent souvent notre travail comme exactement ce que fait Claire - nous plonger dans l'étrange jusqu'à ce qu'il devienne familier, puis traduire cette perspective d'initié ou «-émique» dans la perspective «-étique» d'un étranger afin que les autres puissent le comprendre aussi. [ndlt: je ne suis pas sûre de comprendre le sens de cette dernière phrase]

Gabaldon excelle à nous emmener à travers les aspects les plus surprenants de l'ethnographie dans un lieu étranger : quel est le «paysage des odeurs» de ce nouveau lieu ? Qu'est-ce que vous utilisez en guise de papier toilette ? Comment effectuez-vous l'hygiène de base ? Que mangez-vous quand il n'y a pas d'aliments entiers ? Lorsque les femmes vous invitent à laver la laine avec de l'urine chaude, que devez-vous faire ? Comment éviter d'être brûlée comme une sorcière alors que vous n'avez littéralement aucune idée de ce qui se passe ?

Le revers de la médaille du travail ethnographique sur le terrain est qu'il laisse souvent les anthropologues remettre en question leurs propres pratiques culturelles. Au fur et à mesure que Claire approfondit la vie quotidienne, elle commence à voir ses normes culturelles familières à travers les yeux des autres comme, au mieux, étranges. Lors de sa visite à Paris, Claire est ravie de s’épiler les jambes et les aisselles en disant: «La première fois que je me sens entièrement propre depuis des mois». La conversation qui en résulte avec un Jamie choqué et déconcerté est très amusante, car il devient clair pour elle qu'il est à son tour horrifié et offensé par ses explications sur les raisons pour lesquelles elle ferait une chose aussi artificielle. La série télévisée prend une main plus légère, avec Claire allant jusqu'à épiler ses poils pubiens à nu, et avec Jamie le trouvant inhabituel mais intrigant. Mais le livre, Le talisman, indique clairement que Jamie connaît une sorte de choc culturel, dégoûté que (comme il le dit) toute femme veuille ressembler à une «jeune fille».
Claire vit même la maladie la plus courante des ethnographes, le choc culturel inverse. De retour au 20e siècle, elle est submergée par le bruit, par les technologies intrusives et quelque peu inutiles et par l'isolement de la vie de famille nucléaire.

Mais où qu’elle soit, Claire vit dans le monde de l’anthropologue à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la culture. Elle s'adapte au chaos et à la différence de chaque moment et de chaque lieu, profondément empathique pour les personnes parmi lesquelles elle vit, tout en ne s'intégrant jamais tout à fait. Les comportements culturels inhabituels de Claire et ses pouvoirs d'observation déconcertants la distinguent encore et encore - en tant que sorcière, la Dame Blanche, l'Outlander, la fée, l'anthropologue.


REBELLE, REBELLE, TU T’ES LIBEREE DE TA POSITION
Être là-bas est incroyable, mais pourquoi voulons-nous rester ? Pour la même raison pour laquelle nous étions la princesse Leia pour Halloween trois années de suite : tout le monde aime un combat juste contre un empire maléfique. Malgré son héritage anglais (qui la marque dès le départ comme une étrangère, et donc profondément soupçonnable, dans les Highlands d'Écosse), dans le fond c’est une expat’ [ndlt: expatriée] nomade. Elle vient sympathiser avec les jacobites, luttant contre la persécution brutale et injuste de l'armée britannique.
En raison de ces attachements, Claire s'investit pour changer l'histoire, pour sauver la vieille Écosse de sa destruction inévitable par tous les moyens possibles. Plus tard, au fur et à mesure que les histoires progressent à travers le temps et les lieux, son rôle revient encore et encore à l'anti-impérialisme, à l'humanisme, à la justice - quelles qu'en soient les conséquences personnelles. Que ce soit en tant que la seule femme à la faculté de médecine (se lier d'amitié avec le seul étudiant noir), en tant que médecin des révolutionnaires américains, ou dans un certain nombre de dilemmes éthiques (pourrait-elle acheter des esclaves pour les libérer, risquant leur reprise et leur ré-asservissement ? devrait-elle prévenir les Cherokees à propos de la future Piste des Larmes [ndlt: le déplacement forcé de plusieurs peuples amérindiens dans les années 1830 qui a entraîné la mort de plusieurs milliers d’entre eux], alors qu'il n'y a presque aucune chance de changer l'avenir dévastateur?), elle affronte les réalités inconfortables que d'autres se contentent d'ignorer.

Claire est un modèle de vie en temps difficiles, car on la voit aller et venir parmi certains des pires d'entre eux. Sa formation d'infirmière de combat de la Seconde Guerre mondiale fait toujours surface : vous ne pouvez pas sauver tout le monde, mais avec de la chance et un travail acharné, vous pourrez peut-être sauver la personne en face de vous. Son objectif juvénile de changer le monde se transforme en une vie plus réaliste et plus productive consistant à travailler sans relâche pour changer la vie de la personne en face d'elle.

C'est une femme qui a vu le pire de tout et qui ne cesse de guérir les autres, qui a perdu la foi et la retrouve, qui fait face à la terreur et reste fidèle à elle-même, et qui

Continue D’Avancer.
Et Jamie est un modèle de masculinité qui ne diminue pas face au pouvoir féminin. Il sait qui il est et sait qu'il y a aussi de la place dans le monde pour les autres. Il est un leader parce qu'il est né pour ça, mais il prend son rôle au sérieux, ne vivant pas pour lui-même mais pour tous ceux qui comptent sur lui.

Jamie est un homme qui a vu le pire de tout et qui fait rire les autres, qui est tombé dans les ténèbres et qui s'est de nouveau retrouvé, qui restreint son propre pouvoir pour préserver le pouvoir des autres, et qui

Continue D’Avancer.

 

Ne sont-ils pas l'inspiration dont nous avons besoin en ce moment?

Article écrit par Carie Little Hers en mai 2018
Lien vers l'original: http://www.relevanth.com/an-anthropologists-obsession-with-outlander/ 

 

Le Dr Carie Little Hersh est une anthropologue culturelle américaine, ancienne avocate et professeure en anthropologie à la Northeastern University. Cet article est issu de son blog personnel sur l'anthropologie et sa pertinence dans la vie quotidienne.

 

Traduction française : Marie Modica