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Diana Gabaldon avait à peine une vingtaine d'années quand elle a perdu sa maman. Du fait de sa situation personnelle, elle redoutait d'écrire la lettre d'adieu que Claire écrirait à sa fille, dans le tome 3. Quand elle s'y est mise, elle l'a rédigée en une nuit (le moment qu'elle préfère pour écrire) et l'a terminée en larmes...

 

Comme pour beaucoup de merveilleux passages des 5 premiers tomes, les éditions francophones n'ont pas estimé devoir nous la partager 


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Ma chère Bree... avais-je écrit avant de m’arrêter. Je ne pouvais pas.

Je ne pouvais pas envisager d'abandonner mon enfant. Voir ces trois mots à l’encre noire sur cette page avait révélé toute la folie de cette entreprise dans une clarté froide qui m’avait glacée jusqu'aux os.
Ma main avait tremblé et la pointe du stylo avait tracé de petits cercles vacillants au-dessus de ma feuille. Je l’avais posé et avais serré mes mains entre mes cuisses, les yeux fermés.
« Reprends-toi, Beauchamp », avais-je marmonné. « Écris cette damnée lettre et c’est terminé. Si elle n'en a pas besoin, cela ne fera pas de mal, et si elle en a besoin, elle l’aura avec elle. » J'avais pris le stylo et j'avais recommencé à écrire.
Je ne sais pas si tu liras ceci un jour, mais il vaut peut-être mieux le mettre par écrit tout de même. Voici ce que je sais de tes grands-parents (les vrais), de tes arrière-grands-parents et de tes antécédents médicaux... 


J'avais écrit pendant un certain temps, couvrant les pages les unes après les autres. Mon esprit s'était calmé avec l'effort de mémoire et la nécessité de consigner clairement les informations, puis je m’étais arrêtée en réfléchissant.
Que pouvais-je lui dire, au-delà de ces quelques faits dénués de sentiments ?
Comment transmettre le faible savoir que j'avais acquis en quarante-huit ans d'une vie assez mouvementée ? Ma bouche s’était ironiquement tordue en songeant à cela.
Une fille écoute-t-elle sa mère ? Aurais-je écouté la mienne si elle avait été là pour me conseiller ?
Cela ne faisait aucune différence, cependant. Je devais juste l’écrire, que ce soit utile ou non.
Mais ce qui était vrai durerait éternellement, malgré le temps qui passe et les changements de mentalités. Qu'est-ce qui lui serait utile ? Et surtout, comment pourrais-je lui dire à quel point je l'aimais ?
L'énormité de ce que j'étais sur le point de faire apparut devant moi, et mes doigts se crispèrent avec force sur le stylo. Je ne pouvais pas penser. Je ne pouvais que faire courir le stylo sur le papier et espérer.


Ma petite fille, avais-je écrit avant de m’arrêter. Puis j’avais dégluti et m'étais remise à écrire.
Tu es mon bébé et tu le resteras toujours. Tu ne sauras pas ce que cela signifie avant d'avoir un enfant à toi, mais je te le dis quand-même - tu resteras toujours une partie de moi autant que lorsque tu partageais mon corps et que je te sentais bouger dans mon ventre. Toujours.
Je peux te regarder dormir, et penser à toutes les nuits au cours desquelles je t'ai bordée, m’approchant dans le noir afin d’écouter ta respiration, posant ma main sur toi pour sentir ta poitrine monter et descendre, sachant que quoi qu'il arrive, le monde tourne bien parce que tu es en vie.
Tous les petits noms dont je t’ai affublée au cours du temps – mon poussin, ma petite citrouille, ma précieuse colombe, ma chérie, mon petit cœur, ma mignonne… Je sais pourquoi les juifs et les musulmans ont neuf cents noms pour Dieu ; un seul petit mot ne suffit pas pour Amour. 


J'avais cligné des yeux pour m’éclaircir la vue, et j'avais continué à écrire avec empressement. Je n'avais pas osé prendre le temps de choisir mes mots, sinon je savais que je ne les écrirais jamais.


Je me rappelle tout ce qui te concerne : de la minuscule ligne de duvet doré qui zigzaguait sur ton front quand tu n’étais âgée que de quelques heures, jusqu’à l'ongle bosselé du gros orteil que tu as cassé l'année dernière, lorsque tu t’es battue avec Jeremy et que tu as donné un coup de pied dans la portière de son pick-up.
Seigneur, ça me brise le cœur de penser que tout ça va s'arrêter… Ne plus te regarder ni voir tous les petits changements… Je ne le saurai pas quand tu arrêteras de te ronger les ongles, si jamais cela arrive. Te voir devenir soudainement plus grande que moi, et découvrir la forme qu’aura pris ton visage. Je me souviendrai toujours, Bree, cela ne changera pas.
Il n'y a probablement personne d'autre sur terre, Bree, qui sait à quoi ressemblait l'arrière de tes oreilles quand tu avais trois ans. J'avais l'habitude de m'asseoir à côté de toi pour lire « Un poisson, deux poissons, un poisson rouge, un poisson bleu » ou « Les Trois Boucs Bourrus », et je voyais ces oreilles rosir de bonheur. Ta peau était si claire et si fragile, je pensais que le moindre contact te laisserait des marques.
Tu ressembles à Jamie, je te l'ai dit. Mais tu as aussi un petit quelque chose de moi. Regarde la photo de ma mère, dans la boîte, et la petite photo en noir et blanc de sa mère et de sa grand-mère. Tu as les mêmes sourcils larges et clairs, comme moi. J'ai aussi vu bon nombre de Fraser, et je pense que tu vieilliras bien, si tu prends soin de ta peau.
Prends soin de tout, Bree - oh, je souhaite - eh bien, je souhaitais pouvoir prendre soin de toi et te protéger de tout, toute ta vie. Mais je ne peux pas, que je reste ou que je parte. Prends soin de toi, cependant - pour moi. 


Mes larmes avaient alors taché le papier, et j’avais dû m'arrêter pour les éponger, de peur qu'elles n’étalent l'encre jusqu’à rendre le texte illisible. J'avais essuyé mon visage et j'avais repris, plus lentement.


Tu dois le savoir, Bree, je ne regrette pas. Malgré tout, je ne regrette rien. Tu sais maintenant à quel point j'ai été seule pendant longtemps, sans Jamie. Cela n'a pas d'importance. Si le prix de cette séparation était ta vie, ni Jamie ni moi ne pouvons le regretter (je sais que cela ne le dérangerait pas que je parle à sa place).
Bree… tu es ma joie. Tu es parfaite et merveilleuse - et je t’entends dire maintenant, sur un ton exaspéré : « Mais bien sûr que tu penses ça… tu es ma mère ! » Oui, et c'est pour ça que je le sais.
Bree, tu vaux tout, et plus encore. J'ai fait beaucoup de choses dans ma vie jusqu'à présent, mais la plus importante de toutes était de vous aimer, ton père et toi. 


Je m’étais mouchée et avais cherché une autre feuille de papier. La chose la plus importante était que je ne pourrais jamais exprimer tout ce que je ressentais, mais c'était le mieux que je puisse faire. Que pouvais-je ajouter pour l’aider à bien vivre, à grandir et à vieillir ? Qu'avais-je appris, que pouvais-je lui transmettre ?


Choisis un homme comme ton père, avais-je écrit. L'un des deux. J'avais secoué la tête - pouvait-il y avoir deux hommes plus différents ? - mais je l’avais écrit quand-même en pensant à Roger Wakefield. Une fois que tu auras choisi un homme, n'essaye pas de le changer, écrivais-je, avec plus de confiance. C’est impossible. Plus important encore, ne le laisse pas essayer de te changer. Il ne peut pas y arriver non plus, mais les hommes essaient toujours.
J’avais mordu le bout du stylo, goûtant la saveur amère de l'encre de Chine. Et finalement j'avais donné le dernier et le meilleur conseil que je connaisse, à propos du vieillissement : Tiens-toi droite et essaye de ne pas grossir. 

Avec tout mon amour, Maman  

 

 

(Le Voyage - tome 3, chap 42)

La lettre de Claire à sa fille 

 

Lettre non traduite par l'éditeur francophone 

 

Traduction française par Lucie Bidouille