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C'est un homme et ce n'est pas rien. 

Dialogue entre Diana et une lectrice 

 

Merveilleuse traduction de Marie Modica  

D'abord, la remarque argumentée d'un fan :


Avec tout le respect que je dois à tout ce que la série fait bien... Voyez-vous ce que je considère comme un thème récurrent, dans la façon dont la série dépeint le personnage de Jamie ? Tout ce qui est « acquiescer » à la routine de Claire, Claire étant le cerveau incontesté et le leader de cette opération (lire : relation) ? Pensez-vous qu'il manque quelque chose dans le développement de son personnage ?...


Quoi qu'il en soit, je ne suis pas ici une adolescente aux yeux étoilés, amoureuse de Jamie pour son apparence et ses mots doux et éloquents. Je reconnais le personnage typiquement masculin que vous avez dessiné, dans sa complexité mais aussi dans sa puissance inexcusablement féroce. J'ai dit à maintes reprises dans ce forum (et dans le précédent sur le CompuServe [ndlt: le premier forum littéraire où Diana Gabaldon. a partagé son histoire]), que son personnage est l'un des plus uniques de la littérature, et qu'il rivalise également avec ceux qui sont les plus complexes. Et, pour moi, l’ironie, voire le paradoxe, c’est qu’il est tout à fait humain et que ses qualités les plus importantes sont tout à fait accessibles à ceux qui souhaitent les mettre en pratique.


À mon humble avis, je pense que l'une de vos scènes les plus importantes de toute la saga survient lorsque Bree et Claire parlent ensemble, de la raison pour laquelle les gens font ce qu'ils font (dans La Croix de Feu, je pense [ndlt: le tome 5 // saison 5]). Paraphrasant ici : Bree demande à Claire comment elle a su qu'elle était médecin, puis demande si Jamie sait qui il est et ce qu'il est censé faire. "Un laird ? C'est comme ça que tu l'appelles ?" » demande Bree. Claire répond : "C'est un homme. Et ce n'est pas rien."
Non, ce n’est pas rien.


Il y a quelques lignes de littérature qui m'arrêtent net et me coupent le souffle, et elle est en tête de liste, dans sa simplicité et dans la puissance qu'elle évoque, du moins pour moi. Vous ne nous avez pas seulement parlé de Jamie, vous nous l'avez également montré. (Je dois également ajouter que bon nombre des personnages masculins que vous avez dessinés évoquent une nouvelle vision de la masculinité qui n'a rien à voir avec les stéréotypes traditionnels et tout à voir avec l'autorité morale et spirituelle qu'ils affichent (ou non, le cas échéant)).


Mais, à mon humble avis, dans la série, il y a un affaiblissement de l'autorité de Jamie et une reconceptualisation de ce qui le rend unique, en faveur d'un agenda centré également sur une réécriture de Claire. L'histoire est bien plus que Jamie, bien sûr, mais, à mon humble avis, l'impulsion centrale de l'histoire vient de lui, il est l'énergie morale derrière, à l'intérieur et à la base de celle-ci. Chaque relation dans laquelle il s'investit (et surtout bien sûr celle avec Claire) trouve sa source dans la source de qui il est, en tant qu'homme.


Priver la série de l'autorité morale de Jamie sape la force de votre voix littéraire et prive l'histoire d'une opportunité d'explorer ce que, je pense, vous avez décrit comme une personne humaine de sexe masculin. Les meilleures qualités de Jamie ne se limitent pas aux hommes, bien sûr, mais l'objectif que vous portez sur la façon dont il les affiche le rend sans précédent dans les pages de la littérature.
Donc, pour moi, l’une des choses les plus importantes qu’une auteure-scribe-transcriptrice (telle que vous vous décrivez) peut faire, c’est de réfracter les universaux humains dans la particularité d’un personnage complexe. Mais pour réfracter ces qualités, il faut d’abord les reconnaître et les capturer, en les mettant sur papier comme Jacob luttait avec l’ange. Et, comme Jacob, vous n'avez pas lâché prise et avez exigé la bénédiction, et ainsi un personnage apparaît dans les pages d'une saga qui regorge de bénédictions de toutes sortes. (J'espère que vous ne souffrez pas non plus de la douleur à la hanche comme Jacob, même si j'imagine, en m'appuyant sur ma propre expérience, que l'écriture a ses propres difficultés.)


Quoi qu’il en soit, je pense que ce qui rend tous vos personnages si mémorables, c’est que la somme de leur humanité est toujours plus grande que leurs éléments constitutifs, et ces éléments sont toujours superbement décrits. C’est une chose qui semble être au centre de chaque grande œuvre littéraire, quel que soit le genre, et la vôtre, étant du genre à transformer les genres, le fait bien, et jamais mieux qu’avec Jamie.
Voici pour la saison 4. >

 

 

 

La réponse de Diana Gabaldon

 

C'est un compliment très charmant et écrit avec éloquence, et je vous remercie de tout cœur ! (Je pourrai l'imprimer pour le relire de temps en temps pour avoir du courage et de l'inspiration. )
Je ne répondrai pas à tous les éléments, pour diverses raisons allant du manque de temps à la diplomatie, mais quant à ceci :
 


"Mais, à mon humble avis, dans la série, il y a un affaiblissement de l'autorité de Jamie et une reconceptualisation de ce qui le rend unique, en faveur d'un programme centré également sur une réécriture de Claire. L'histoire est bien plus que Jamie, bien sûr, mais, à mon humble avis, l'impulsion centrale de l'histoire vient de lui, il est l'énergie morale derrière, à l'intérieur et à la base de celle-ci. Chaque relation dans laquelle il s'investit (et surtout, bien sûr, celle avec Claire) trouve sa source dans la source de qui il est, en tant qu'homme."
 


Oui. Et oui, ils réécrivent clairement les choses pour essayer de donner plus d'autorité/de pouvoir à Claire. C’est en partie le résultat de leur manière collective de travailler ; ils n'ont pas une vision unique sur laquelle travailler, et toute représentation de scène donnée sera le résultat de la contribution du show-runner, du studio (plusieurs vice-présidents ont la possibilité d'envoyer leurs propres notes), de la chaîne (idem, plusieurs dirigeants de Starz), le réalisateur (et le réalisateur change à chaque bloc [ndlt: un bloc est un groupe d'épisodes à tourner]) et, pas des moindres, des acteurs eux-mêmes. (Cela met de côté les véritables scénaristes et les éléments de contribution de leur fidèle consultante [ndlt: il s'agit d'elle-même   ].
 

 

Dans de nombreux cas, tout ce que je peux faire, c'est dire : « Écoutez, si vous faites X, ça va les rendre dingues, PARCE QUE..." Et parfois ils corrigent le problème, et parfois ils ne peuvent que dire, impuissants : "Je sais, mais l'acteur dit qu'il ne se sent pas à l'aise avec cette réplique et veut que ce soit Y" ou "Oui, mais il y a beaucoup de réticences de la part de (l'un des avis extérieurs) qui pense que Z est dégueulasse parce qu'ils ont une phobie des germes et pensent que les fans le penseront aussi." Etc., etc., etc.) 


Pour bon nombre des personnes impliquées, la commercialisation de la série sera toujours une préoccupation majeure, et étant donné l'état de notre époque (dont je ne dirai rien, car tout ce que je dirais serait mal interprété), "Femme Forte", axé sur les femmes, etc. est la saveur du mois, donc naturellement ils poussent cet angle autant qu'ils le peuvent. La masculinité, en tant que masculinité, est actuellement en mauvaise odeur, pour ainsi dire - et même si les lecteurs et les téléspectateurs répondront, en fait, avec beaucoup d'enthousiasme à la marque de Jamie (et en fait, le veulent et le disent), vous ne trouverez pas beaucoup de critiques qui estiment qu'il est politique[ment correct] soit de noter ce qu'il fait/est, soit de le féliciter. Donc...
 


Fondamentalement, ils font de leur mieux pour créer une bonne histoire, en utilisant autant qu’ils peuvent l’original. La quantité qu’ils peuvent gérer varie en fonction du temps, des circonstances, de la logistique et des aléas du processus créatif."
 

 

 

Source : thelitforum - mars 2018