lors que les Jeux olympiques de Paris débutent ce week-end, j’ai pensé qu’il serait amusant de jeter un coup d’œil à certaines des scènes des livres de Diana Gabaldon qui présentent des prouesses athlétiques de toutes sortes. Il s’agit d’une version mise à jour d’une collection que j’ai publiée pour la première fois en 2016. Tous ces exemples n’ont pas d’équivalents dans les Jeux Olympiques modernes, mais beaucoup d’entre eux en ont. J’espère que vous l’apprécierez !
Karen Henry, du site : Outlandish observation
Je me suis permise d'arranger le texte de Karen afin de l'adapter au site.
Valérie Gay-Corajoud.
Les exploits sportifs
Voltige (Jamie)
Tome 2 : Le talisman, Chapitre 18, un viol à Paris.
Pour rappel, alors que les Frasers reçoivent nombre d'invités influents afin que Sandringham rencontre le prince Charles, Mary Hawkins, qui a été violée juste avant, apparaît, agarde. Entre malentendu et confusion, une bagarre se déclanche.
...
J'essayai de me mettre en travers de la route de Saint-Germain et de Duverney fils qui semblaient sur le point de lui emboîter le pas. Mais, hélas, je ne pouvais rien faire pour l'oncle de Mary. Silas Hawkins, cloué sur place, fixait sa nièce avec des yeux qui semblaient lui sortir de la tête. Passé le premier instant de stupeur, il chargea comme un taureau en direction de l'escalier, bousculant les autres au passage.
Jamie se tenait légèrement à l'écart. Je lui lançai un coup d'œil affolé. Il me regarda et haussa brièvement les épaules d'un air interrogateur. Son regard balaya rapidement le hall autour de lui et s'arrêta sur un guéridon, dans l'angle de l'escalier. Il leva la tête, évalua la distance, ferma brièvement les yeux comme pour invoquer l'aide de tous les saints écossais, et s'élança.
Il bondit du sol sur la table, posa les deux mains sur la rampe, l'enjamba d'un bond et atterrit quelques mètres plus haut que le général. Cette prouesse acrobatique déclencha un murmure d'admiration chez les dames, ponctué de petits cris d'effroi.
Jamie gravit quatre à quatre les dernières marches, se fraya un passage entre Mary et Alex et saisit ce dernier par le col. Il s'écarta légèrement, visa, et lui assena un coup sur le menton.
Alex, qui venait juste d'apercevoir son employeur, s'affaissa doucement, les yeux toujours grands ouverts, mais le regard aussi vide que celui de Mary.
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Relever le défi (Roger)
Tome 4 : Les tambours de l'automne. Chapitre 54 : Captivité.
Pour rappel, à la demande de son oncle, Ian a vendu Roger aux Mohawks qui se font un malin plaisir de le malmener.
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De toute évidence, les nouveaux ravisseurs de Roger n’appartenaient pas à la même tribu que les précédents. Ils étaient vêtus pour supporter le grand froid, de fourrure et de cuir, et bon nombre d’entre eux avaient le visage tatoué.
L’un d’eux le poussa de la pointe de son couteau et le força à se déshabiller. Nu comme un ver, chancelant de fatigue, il se tint au milieu d’une longue hutte, devant une assemblée d’hommes et de femmes qui l’observaient et le tripotaient en riant. Son pied droit était sérieusement enflé, l’entaille s’étant infectée. Il parvenait encore à marcher mais chaque pas provoquait une décharge de douleur dans toute sa jambe et il se sentait brûlant de fièvre.
On le traîna à l’extérieur. Là, il se retrouva entre deux rangées de sauvages armés de bâtons et de masses. Quelqu’un lui enfonça la pointe d’une lame dans une fesse et lui cria en français : « Cours ! » Il courut.
Le sol était couvert d’une neige verglacée qui lui brûlait la plante des pieds. Il parvint à parcourir une dizaine de mètres sans tomber, zigzaguant entre les coups de masse qui pleuvaient sur ses épaules et son crâne tandis que les bâtons visaient ses jambes et son dos. Vers les deux tiers du parcours, une masse le cueillit en plein ventre, le pliant en deux, puis une autre s’abattit sur son oreille. Il roula dans la neige, sentant à peine la morsure de la glace sur sa peau lacérée.
Les bâtons cinglèrent ses jambes et ses cuisses, juste sous les testicules. Il fléchit les genoux puis se redressa et reprit sa course titubante. Arrivé au bout, il se retint de justesse à un poteau et se retourna vers ses tortionnaires. Ces derniers apprécièrent le geste. Ils se mirent à rire, poussant de petits cris perçants qui rappelaient une meute de chiens. Il s’inclina profondément puis se redressa, la tête lui tournant. Ils rirent de plus belle. Il avait toujours été une bête de scène.
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Nataion (Jamie)
Tome 3, Le voyage, Chapitre 33 : Le trésor enfoui.
Pour rappel. Claire vient de prendre connaissance de la "seconde femme". Elle se demande si elle ne devrait pas traverser les pierres à nouveau. Jamie lui parle du passé, notamment de ce moment où, il a nagé jusqu'à l'ile des Silkie en espérant y trouver "la dame blanche".
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De la base de la tour d’Ellen à la troisième île, il restait encore quelque trois cents mètres de mer houleuse à parcourir. Jamie s’était déshabillé, s’était signé, avait recommandé son âme à sa défunte mère, puis avait plongé nu dans les vagues.
Aucun endroit d’Ecosse ne se trouve loin de la mer, mais Jamie avait grandi à l’intérieur des terres et son expérience de la natation se limitait aux étendues placides des lochs et aux bassins naturels des torrents à truites. Aveuglé par le sel et assourdi par le rugissement de la mer, il avait lutté pendant ce qui lui avait paru des heures. Puis, épuisé, il avait relevé la tête pour respirer et avait découvert avec horreur que le rivage ne se trouvait plus derrière lui comme il s’y était attendu, mais sur sa droite.
— La marée descendante était en train de m’emporter. Je me suis dit : « Ça y est, tu es cuit. » Je savais très bien que je ne pourrais jamais regagner la côte. Je n’avais rien mangé depuis deux jours et j’étais à bout de forces.
Il avait alors cessé de nager. Il s’était laissé flotter sur le dos, s’abandonnant à l’étreinte des vagues. Fermant les yeux, il avait fouillé dans sa mémoire à la recherche des paroles d’une vieille prière celtique.
— Tu vas croire que je suis un peu fêlé, Sassenach. Je ne l’ai raconté à personne, pas même à Jenny, mais, au beau milieu de ma prière, j’ai entendu ma mère m’appeler. Peut-être était-ce uniquement parce que j’avais pensé à elle avant de me jeter à l’eau, mais… Il haussa les épaules, l’air gêné.
— Qu’a-t-elle dit ? demandai-je doucement.
— Elle a dit : « Viens à moi, Jamie… viens à moi, mon petit ! »
Je l’entendais distinctement, mais je ne voyais rien. Il n’y avait personne, pas même un phoque. J’ai cru qu’elle m’appelait du ciel et j’étais si épuisé que je me serais bien laissé mourir. Mais je me suis retourné sur le ventre et me suis mis à nager dans la direction d’où sa voix était venue. Je me suis dit que je ferais dix brasses puis que je m’arrêterais à nouveau pour reprendre mon souffle, ou couler. Enfin, à la dixième brasse, le courant l’avait soulevé.
— C’était comme si quelqu’un me portait. Je le sentais tout autour de moi. L’eau était plus chaude et m’emportait. Je n’avais qu’à garder la tête hors de l’eau et à battre un peu des jambes.
Le courant l’avait laissé juste à la pointe de la troisième île.
En quelques brasses, il avait atteint les rochers. Avec la gratitude d’un naufragé échouant sur une plage de sable chaud bordée de cocotiers, il s’était hissé sur les pierres couvertes d’algues et avait repris lentement son souffle.
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Escrime (Lord John et Hal Melton)
Lord John et la confrerie de l'épée : Chapitre 10 : La salle d'armes
Pour rappel, sous la supervision de leur maître d'arme italien, Lord John et son frère Hal s'entrainent à l'épée devant les yeux de Percy Wainwright. Tout en parlant politique, ils croisent leurs fleurets avec talent.
...
Battement, battement, feinte, un bond en arrière tandis que la mouche de Hal frôlait son oreille, encore une fois. Hal se tenait trop en arrière. Non, il venait de se ressaisir et plongeait en avant juste à temps pour éviter la lame de Grey. Une botte en tierce, une attaque en flèche... Un nuage de poussière s'élevait du parquet à chacun de ses bonds.
Grey pouvait deviner les pensées de son frère comme si elles se déroulaient dans sa propre tête, sentir le mélange de surprise et d'agacement, puis la colère qui montait et enfin un sursaut, Hal tentant de se retenir, de garder la tête froide et de rester prudent.
Lui-même n'avait pas cette retenue. Il se laissait joyeusement emporter par l'ivresse du combat. Son corps était comme une corde huilée, souple et élastique. Il prenait des risques, ne doutant pas de pouvoir parer les coups adverses. Il vit une ouverture, se fendit dans un cri et sa mouche toucha la cuisse de Hal, ripant sur l'étoffe de ses culottes.
— Bon sang ! rugit Hal.
Il riposta par une botte à la tête. Grey l'esquiva en riant et rebondit tel un diable à ressort. Il saisit la pointe de
son fleuret, tordit la lame puis la lâcha, la faisant claquer contre celle de son frère dans un écho métallique.
Il entendit Berculi jurer en italien mais ne se retourna pas, tout à son combat. Il frappait de toutes ses forces, au
point de risquer de briser sa lame. Il bondit en avant au moment où Hal ne s'y attendait pas, son bras remontant le long de celui de son frère, si bien qu'ils se retrouvèrent enlacés, leurs fleuret croisés, leurs corps pressés l'un contre l'autre.
Il sourit à Hal, montrant ses dents, et lut la lueur dans le regard de son frère juste à temps. Il était plus rapide et
se libéra le premier, le déstabilisant un instant. Il s'accroupit dans une parfaite passata-sotto, et sa mouche
s'écrasa contre la gorge de son adversaire.
— Touché, dit-il doucement.
Pantelant, Hal laissa retomber sa main, la pointe de son fleuret touchant le sol, puis acquiesça.
—Je me rends, répondit-il sur un ton bourru.
Grey abaissa son arme et s'inclina devant son frère. Il lança un regard vers Percy. Celui-ci avait cessé de faire ses
bottes et, adossé au mur, les observait, ouvrant grands des yeux ébahis et, du moins Grey l'espérait-il, admiratifs.
...
Tir (Roger et Bree)
Tome 5, La croix de feu. Chapitre 20 : Leçon de tir.
Pour rappel. Laissant enfin leur bébé sous la surveillance de Lizzie, Bree et Roger s'enfoncent dans la forêt pour une leçon de tir. Petit à petit, Roger commence à être fier de lui. Mais c'est Bree qui a repéré un écureil et a fait feu.
...
S’étant assurée qu’il commençait à bien maîtriser le chargement de son arme, même s’il n’était pas encore très rapide, Brianna laissa Roger pratiquer la mise en joue, puis, finalement, le tir.
Avant d’atteindre le mouchoir, il lui fallut une douzaine d’essais. Mais en apercevant une tache noire près du bord de la cible, il ressentit une telle exultation qu’il tendit la main vers une nouvelle cartouche avant même que la fumée du coup se soit dissipée. Excité par sa réussite, il tira encore un bon nombre de cartouches, ne remarquant plus rien d’autre que le sursaut et la détonation du fusil, l’éclair de la poudre et la réalisation de son objectif, lorsque le carré blanc était atteint.
Cette fois, le mouchoir était en lambeaux, et des petits nuages de fumée blanchâtre flottaient dans le pré. Dès le premier coup de feu, la buse avait décampé, comme tous les oiseaux du voisinage, même si la résonance du tir dans ses oreilles lui donnait l’impression d’entendre un chœur de mésanges au loin.
Il abaissa l’arme et se tourna vers Brianna avec un grand sourire aux lèvres. Elle éclata de rire.
– On dirait Al Jolson dans Le Chanteur de jazz ! Tiens débarbouille-toi, puis on essayera de viser une cible plus éloignée.
Elle lui prit le mousquet des mains et lui tendit un mouchoir propre. Il essuya la suie noire sur son visage en la regardant nettoyer adroitement le canon et le recharger. Mais, brusquement, elle se redressa, percevant un bruit. Elle étira le cou et fixa un chêne, de l’autre côté du pré.
Encore assourdi par ses propres tirs, Roger n’avait rien entendu. Il pivota sur ses talons et remarqua un bref mouvement, celui d’un écureuil gris sombre, figé sur une branche de sapin, à une dizaine de mètres au-dessus du sol.
Sans l’ombre d’une hésitation et dans un même mouvement Brianna mit en joue et tira. La branche où était assise l’écureuil explosa en une pluie d’éclats. Projeté en l’air le rongeur tomba au sol en rebondissant dans sa chute sur la souple ramure.
Roger courut au pied de l’arbre, mais il n’avait pas besoin de se presser. Le petit animal gisait, inerte et moucomme une peluche grise.
– Pas mal !
Il brandit le cadavre en direction de Brianna qui approchait.
– Il ne porte aucune trace. Tu as dû le faire mourir de peur.
Brianna lui lança un regard narquois, puis répliqua sur un ton réprobateur.
– Si j’avais voulu le toucher, Roger, je ne l’aurais pas raté. Mais dans ce cas, il n’en resterait qu’une bouillie. On ne vise jamais directement une proie aussi petite, on tire juste en dessous pour la sonner. Ça s’appelle l’écorçage.
Elle lui parlait comme une institutrice faisant la leçon à un élève un peu lent à la détente, et il dut réprimer unepointe d’agacement.
– Ah oui ? C’est ton père qui te l’a appris ?
Elle le regarda de manière étrange avant de répondre.
– Non, c’est Ian.
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Tir à l'arc (Arch Bug)
Tome 6, la neige et la cendre. Chapitre 23 : Anesthésie
Pour rappel. Alors que Claire et Jamie discutent avec Arch sur le porche à propos de la futur opération de Tom Christie, Claire demande à Arch pourquoi les Fraser lui ont coupé deux doigts.
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– En fait, c’était mon choix. C’est qu’on était des archers, voyez-vous. Tous les hommes de mon clan. On était élevés pour ça dès notre plus jeune âge. J’ai eu mon premier arc à trois ans et, à l’âge de six, je pouvais tuer une grouse d’une flèche en plein cœur à quinze mètres.
Il parlait avec une fierté simple, observant un groupe de tourterelles picorant sous les arbres non loin, comme s’il évaluait avec quelle facilité il pourrait en transpercer une.
– J’ai entendu mon père parler de ces archers, se souvint Jamie. À Glenshiels. Beaucoup étaient des Grant, disait-il. Et quelques-uns des Campbell.
Il se pencha en avant, reposant ses coudes sur ses cuisses, intéressé par le récit mais circonspect.
Arch tirait assidûment sur sa pipe, la fumée s’enroulant en couronne au-dessus de sa tête.
– Oui, c’était bien nous. On avait rampé dans la bruyère pendant la nuit et on s’était cachés parmi les rochers au-dessus de Glenshiels, sous les fougères et les sorbiers. Il faisait si noir qu’à cinquante centimètres, on ne pouvait pas nous voir. Pas très confortable, croyez-moi. Pas question de se lever pour pisser. Avant de grimper sur ce flanc de la montagne, on avait tous eu un dîner bien arrosé de bière. On était tous là, accroupis comme des femmes, essayant de garder nos arcs au sec sous nos chemises, car il s’était mis à pleuvoir. L’eau dégoulinait sur les fougères et nous coulait dans le cou.
Il fit une pause puis reprit sur un ton joyeux.
– Mais le lendemain à l’aube, au signal, on s’est tous levés et on a décoché. Je peux vous le dire, c’était un beau spectacle, nos flèches retombant comme de la grêle au pied de la colline sur ces pauvres gars qui campait au bord de la rivière.
Il pointa sa pipe vers Jamie.
– Oui, votre père était de cette bataille, a Sheaumais. Il faisait partie de ces pauvres gars en bas.
Un spasme de rire silencieux le parcourut.
– Je vois que c’est une longue histoire d’amour, entre vous et les Fraser, répliqua Jamie caustique.
– Vous pouvez le dire, dit Arch sans se démonter. Il se tourna alors vers moi, plus grave.
– Quand les Fraser capturaient un Grant, il lui laissait le choix. Il pouvait perdre son œil droit, ou deux doigts de la main droite. Dans un cas comme dans l’autre, il ne pourrait plus jamais tirer à l’arc.
Il frotta sa main mutilée contre sa cuisse, l’étirant comme si ses doigts fantômes cherchaient encore la corde chantante. Puis, il secoua la tête comme pour chasser cette vision et serra le poing.
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Equitation (Jamie)
Tome 5, la croix de feu. Chapitre 18 : Bienheureux chez-soi
Pour rappel. Alors que toute la famille rentre à Fraser's ridge, le tout nouvel étalon de Jamie lui donne du fil à retordre. Pour la petite histoire, c'est sur ce chemin que Jamie trouvera le chat Adso (et non à Willmington comme le montre la série télé).
...
Tel un serpent, Gideon plongea la tête en avant, visant la jambe du cavalier devant lui.
– Seas !
Jamie tira sur le mors du grand cheval bai, juste avant qu’il n’ait pu planter ses dents dans la cuisse de Geordie Chisholm.
– Sale carne vicieuse ! siffla-t-il.
Geordie, inconscient du danger auquel il venait d’échapper, se retourna, surpris. Jamie lui sourit et effleura de la main le bord de son chapeau mou d’un air navré, tout en passant devant sa haute mule.
Il enfonça ses talons dans les flancs de Gideon, lui faisant accélérer le pas et doubler la lente procession de voyageurs, ne lui laissant pas le temps de mordre, de ruer, d’écraser des enfants égarés ou de commettre quelque autre méfait. Après une semaine de vie commune, il ne connaissait déjà que trop les vices de son étalon. Celui-ci trottina jusqu’au milieu du convoi, où se trouvaient Brianna et Marsali, mais le temps d’arriver à hauteur de Claire et de Roger, qui ouvraient la marche, il galopait si vite que Jamie eut à peine le temps d’agiter son chapeau en guise de salut.
Il se recoiffa et se pencha sur l’encolure du cheval.
– A mhic an dhiobhail. Tu es un peu trop nerveux. Ce n’est bon ni pour toi ni pour moi. Voyons voir combien de temps tu tiens à travers champs, hein ?
Il bifurqua brusquement vers la gauche, sortit de la piste et dévala la pente, piétinant l’herbe sèche et cassant au passage les branches dénudées des cornouillers. Ce maudit rossard aurait eu besoin d’une plaine pour être maté. Jamie l’y aurait fait galoper jusqu’à le vider de tous ses démons. Toutefois, comme il n’y en avait pas à des dizaines de kilomètres à la ronde, il devrait se contenter de ce terrain escarpé.
Il resserra les rênes, fit claquer sa langue puis éperonna les flancs de l’animal qui bondit droit devant sur le versant broussailleux, tel un boulet de canon.
Gideon était un grand cheval solide, bien nourri et puissant, ce pourquoi Jamie l’avait acheté. En revanche il était mal dressé et possédait un caractère de cochon, ce qui expliquait son prix peu élevé, mais qui avait dépasse de loin les moyens de Jamie.
Sans ralentir une seconde, ils traversèrent un petit torrent, sautèrent par-dessus un tronc mort, puis remontèrent un flanc de colline presque vertical, jonché de chênes nain et de plaqueminiers. Pendant cette course folle, Jamie se demanda s’il avait vraiment fait une affaire ou commis une forme de suicide. Ce fut sa dernière pensée cohérente avant que Gideon ne vire brusquement de bord dans un dérapage incontrôlé, lui écrasant la jambe contre un tronc d’arbre. Puis, prenant appui sur son arrière-train, il replongea à fond de train de l’autre côté de la colline, fonçant droit dans un fourré de broussailles, dans une explosion de cailles fuyant à tire-d’aile devant ses sabots meurtriers.
Après avoir, une heure durant, esquivé les branches basses, bondi au-dessus de ruisseaux et grimpé au grand galop autant de collines que Jamie pouvait en compter, Gideon parut, sinon docile, du moins suffisamment épuisé pour se laisser diriger. Son cavalier était trempé jusqu’aux cuisses, rompu, couvert de bleus et d’égratignures et pratiquement aussi essoufflé que sa monture. Néanmoins, il était encore en selle et toujours le maître.
Il orienta la tête du cheval vers le soleil couchant et fit nouveau claquer sa langue.
– Allez, mon vieux, on rentre à la maison.
...
Lutte (Jamie et Claire)
Tome 4, les tambours de l'automne. Chapitre 15 : Les nobles sauvages
Pour rappel. Alors qu'ils discutent tranquillement sur leur préférence à l'heure de leur mort, Claire et Jamie sont surpris par un ours agressif. (A l'inverse de Tsili Iona, c'est ours est tout ce qu'il y a de plus réel).
...
— Jamie… dis-je doucement d’une voix que je reconnus à peine.
— Oui ?
— Est-ce qu’il… il y a… quelqu’un… derrière moi ?
Ses traits se figèrent. J’eus à peine le temps de m’aplatir au sol, réflexe qui me sauva sans doute la vie.
Un bruit sourd résonna, accompagné d’une forte odeur d’ammoniaque et de poisson. Quelque chose me heurta le dos avec une force qui me coupa le souffle, puis me marcha lourdement sur la tête, m’enfonçant le visage dans la terre.
Je me redressai, cherchant ma respiration et secouant les feuilles moisies qui couvraient mes yeux. Un énorme ours brun, braillant comme un chat, avançait dans la clairière, éparpillait des brindilles incandescentes.
L’espace d’un instant, aveuglée par la terre, je ne vis plus Jamie. Puis je l’aperçus, en dessous de l’ours, les bras agrippés autour de son cou, la tête dans le creux de son épaule, juste sous les mâchoires baveuses.
Il tentait de planter l’un de ses talons dans le sol pour se retenir. Il avait ôté ses bottes et ses bas lorsque nous avions installé notre campement et je distinguai son pied nu traînant dans les braises.
Son avant-bras, à demi enfoui dans la fourrure, était noué par l’effort. Son bras libre, armé du coutelas, fouettait l’air désespérément.
L’ours faisait des mouvements brusques de droite à gauche et tentait de se débarrasser de son fardeau. Il sembla perdre l’équilibre et s’effondra de tout son long sur le sol en poussant un cri de rage. J’entendis un « Oumph ! » qui ne venait pas de la bête.
L’ours se redressa sur ses pattes en s’ébrouant violemment. J’entrevis le visage de Jamie, déformé par l’effort. Secouant la tête pour se débarrasser des poils dans sa bouche, il cria :
— Sauve-toi !
L’ours s’abattit à nouveau sur lui, l’écrasant sous trois cents livres de fourrure et de muscles.
Je cherchai autour de moi quelque chose qui pût faire office d’arme, mais ne trouvai rien que des morceaux de charbon qui me brûlèrent les mains. J’avais toujours imaginé que les ours rugissaient quand ils étaient énervés. Celui-ci provoquait un vacarme assourdissant, mais ses cris perçants et ses grognements évoquaient plutôt un porc qu’on mène à l’abattoir. Jamie, lui aussi, faisait beaucoup de bruit, ce qui, en l’occurrence, était plutôt rassurant.
Ma main se referma sur un objet froid et gluant : le poisson. Je le saisis par la queue et chargeai droit devant, assenant de toutes mes forces un coup sur le museau de l’ours.
Celui-ci referma la gueule et parut surpris. Il redressa la tête et s’élança vers moi avec une rapidité que je n’aurais jamais crue possible. Je tombai à la renverse et tentai un dernier coup de poisson avant que l’ours ne se rue sur moi, Jamie toujours suspendu à son cou.
J’eus l’impression d’être prise dans un broyeur. Il y eut un bref moment de chaos total, ponctué de coups sur mon corps et par la sensation d’être étouffée dans une grande couverture pleine de poils. Enfin il passa son chemin, me laissant le corps perclus, allongée sur le dos, empestant la pisse d’ours, clignant des yeux en regardant les étoiles qui brillaient sereinement dans le ciel.
La situation était nettement moins sereine sur terre. Je me redressai à quatre pattes et hurlai : « Jamie ! » vers les arbres derrière lesquels une masse difforme s’agitait en tous sens, écrasant les jeunes pousses et émettant une cacophonie de grognements sourds et d’imprécations en gaélique.
— Jamie !
Pas de réponse. Mais la masse gesticulante s’enfonça un peu plus dans les ténèbres. Les bruits divers se muèrent en grondements sourds, émaillés de gémissements.
— JAMIE !
Les craquements de branchages et les piétinements s’éloignèrent encore. Quelque chose se déplaçait sous les branches et se balançait lourdement de gauche à droite, sur quatre pattes.
Très lentement, sa respiration haletante entrecoupée de sifflements, Jamie avança à quatre pattes dans la clairière. Je courus vers lui et me laissai tomber à genoux.
— Jamie, tu vas bien ?
— Non ! dit-il avant de s’effondrer sur le sol dans un râle.
Son visage n’était qu’une tache livide dans la nuit, le reste de son corps était si sombre que je le distinguais à peine. Je compris pourquoi en passant mes mains sur lui. Ses vêtements imbibés de sang lui collaient à la peau ; sa chemise se détacha avec un affreux bruit de succion quand je tentai de la soulever.
Je glissai deux doigts sous son menton, cherchant le pouls. Il était vif, ce qui n’avait rien de surprenant, mais fort. Je poussai un soupir de soulagement.
— C’est ton sang ou celui de l’ours ? demandai-je.
— Si c’était le mien, Sassenach, je serais déjà mort, rétorqua-t-il.
...