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La première femme

Il est des épisodes de la saga Outlander qui sont flamboyants, d’autres épiques, et d’autres encore romantiques…

Nous avons tous, j’en suis certaine, des épisodes préférés, que nous regardons un peu plus souvent que les autres : le mariage, l’imprimerie, Culloden, le procès des sorcières et bien d’autres encore, qui éveillent en nous des sentiments puissants et particulièrement identifiables.

Et il y en a d’autres, peut-être plus discrets qui, pourtant, sont porteurs d’informations essentielles et de symboliques très fortes.

Il en est ainsi de l’épisode 8 de la saison 3, « La première femme », qui, de bout en bout nous tiens en haleine, non à cause de ce qu’il nous montre, mais parce qu’il explore la difficulté pour Claire et Jamie de faire face à ce que 20 années de séparation forcée ont généré.

Il est évident que leur amour n’a jamais été mis à mal. Claire le dit d’ailleurs à Jamie sur l’Artémis lors de l’épisode suivant : "Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je t’aimais ou non"!

Et honnêtement, qui pourrait en douter ? Certainement pas nous qui l’avons suivie tout au long de son insupportable désespoir lors de sa terne vie au XXème siècle.  Pas plus que nous ne pouvons douter de l’amour que Jamie lui porte, lui qui n’a été qu’une ombre douloureuse jusqu’à son séjour forcé à Helwater. 

Non, leur amour est indestructible, personne ne peut en douter, tout autant que leur besoin l’un de l’autre, et leur attirance physique. 

Alors de quoi s’agit-il ? 

Pour bien comprendre l’épisode : "la première femme", il faut tout d’abord prendre un peu de temps pour décrypter le tout début des retrouvailles de Claire et Jamie lors de l’épisode 6 de la même saison : "A. Malcolm".

Nous découvrons donc Jamie sortant de chez lui sous le regard maternel d’une femme d’âge mur dont nous ignorons tout. Elle le pomponne, le gronde un peu et le regarde avec un air tendre et sans équivoque… Et si elle n’était pas maternelle mais amoureuse ? Que savons-nous de Jamie à la suite de son départ d’Helwater ? Peut-être s’est-il remarié après tout !

Nous l’accompagnons ensuite dans les rues d’Edimbourg, plutôt joyeux en regard des premiers épisodes de la saison qui nous le montraient soit mourant, soit désireux de l’être.

Il salue les gens autour de lui, ce qui nous laisse supposer qu’il est installé là depuis un bon moment et qu’il est bien intégré. Puis il arrive à son échoppe et prend le temps de nettoyer son enseigne, il regarde ensuite dans son livre de commandes, inspecte quelques impressions qui sèchent sur un fil et finalement, s’installe au travail. Il est chez lui, c’est ce qu’il a bâti. C’est là qu’est sa vie dorénavant.

 

C’est à cela qu’on nous prépare : Claire va débarquer non pas dans la vie d’un homme qui n’a plus rien ! Elle ne sera pas la bouée jetée à la mer à la suite d'une longue agonie ! Ce ne sera pas le chapitre faisant suite à son départ à travers les pierres de Craigh Na Dun !

Non, elle va débarquer au sein d’une vie organisée et équilibrée… et peut-être même, heureuse.

Claire a eu le temps de se préparer à l’idée de retrouver Jamie. C’est un acte qui vient d’elle et qui fait suite à des mois de recherches, de questionnements, de choix, de décisions et d’actions.

Son arrivée dans l’imprimerie est l’aboutissement d’un long processus de réparation et de préparation, tant physique qu’affectif et psychologique. Et nous-même, spectateurs, impatients, qui avons suivi son lent et douloureux processus de recherche, nous sommes préparés tout autant, c’est peu de le dire.

Mais pour Jamie il en est tout autre.  Même s’il a mis des années à se sortir de sa torpeur et de son indicible douleur, bel et bien, il semble y être parvenu. Comment ? Nous ne le savons pas exactement, mais nous imaginons sans trop de difficultés les forces en lui qu’il est allé chercher pour combler cette brèche douloureuse qui l’avait laissé terrassé des années durant. L’arrivée de Claire aura-t-elle un sens ? Y aura-t-il une place pour elle dans sa toute nouvelle vie ?

Leurs retrouvailles dans l’imprimerie témoignent de leur émotion et de la force des sentiments qu’ils ont encore l’un pour l’autre. Même si nous n’en avions jamais douté, nous voilà rassurés.

Nous prenons le temps de les accompagner au long de ce moment incroyablement fort, lorsque Claire présente leur fille à Jamie par l’intermédiaire de photographies… et qu’en retour, tout en nuances, Jamie avoue à Claire être un père dépossédé de son fils.

En quelques mots choisis, ils valident  leur capacité à recevoir la vie de l’autre dans ce qu’elle a de passé et d’incontournable.

Puis le soir venu, ils se retrouvent seuls enfin. Comme par le passé, leurs corps s’attirent, leurs regards se capturent, leurs mots se croisent, leurs mains se joignent. Nous ne pouvons d’ailleurs ignorer le parallèle qui est fait avec leur nuit de noce tout au long de ce lent et torride processus de découverte des âmes et des sens.

 

Diana Gabaldon aurait pu s’en tenir à cela et reprendre son histoire… Il n’aurait fallu que quelques épisodes supplémentaires afin de combler les vides, raccommoder les malentendus… qu’aurions-nous trouvé à dire ?! Après tout, ce couple est hors du commun, nous le savons et l’avons admis depuis le début.

Mais Diana est plus subtile que ça… et c’est tant mieux pour nous.

L’amour ne suffit pas, elle ne nous permet pas de l’oublier.

Malgré la nuit passée à se raconter, s’aimer, se toucher… malgré le bonheur de se retrouver, de se savoir vivant… l’amour ne suffit pas.

Les blessures sont là, incontournables, douloureuses, et tout d’abord, indicibles.

 

 

Et puis il y a cette autre femme… celle dont on devine petit à petit l’existence, jusqu’à ce que Jenny lui donne une forme précise :

« Il est pêché de prendre épouse lorsqu’on est déjà marié ».

 

Nous nous en doutions à vrai dire… on nous a donné quelques pistes déjà : des moments de gène du côté de Jamie et de Young Ian, des phrases énigmatiques de la part de Fergus et de Ian père…  Mais ici, à Lallybroch, il n’y a plus aucun doute et nous n’avons pas le temps de nous demander pourquoi Jamie n’a pas pris la peine d’en parler à Claire que cette autre femme débarque… et que nous découvrons avec stupéfaction qu’il s’agit de Laoghaire !

Je ne sais pas pour vous… Mais en ce qui me concerne, le premier mot qui m’est venu à l’esprit est : Trahison. Et si j’ai pu lire à droite et à gauche sur des discussions au sujet de cet épisode, que beaucoup avaient trouvé l’attitude de Claire disproportionnée, j’avoue que pour ma part je l’ai comprise.

Trahison…  Double, triple trahison !  Il s’est marié… il s’est marié avec Laoghaire...  Et surtout, il ne lui en a pas parlé !

Toutes les peurs s’engouffrent dans cette faille soudainement grande ouverte. Tous les mots tus, tous les doutes, les craintes, les rancœurs, la souffrance. Tout explose alors dans ce temps bancal où le présent doit rendre des comptes à un passé que personne n’a souhaité. Il n’y a pas de référence à laquelle se raccrocher en regard de ce qu’ils sont en train de vivre. Et personne ne peut les soutenir, car personne ne sait. Personne ne peut savoir. Personne ne doit savoir. 

Ceux qui savent sont au XXème siècle… et Claire les a abandonnés pour vivre ce moment de trahison.

Leur dispute quasi animale témoigne de l’insoutenable de cette situation. Elle, effondrée et trahie, lui, terrorisé à l’idée qu’elle reparte, plus victime que coupable, nous n’en doutons pas un instant.

Leur corps à corps empreint tout autant de colère que de désir les propulse dans cet espace de vide et de douleur que les vingt années passées ont construit.  Et peut-être auraient-ils pu se retrouver dans cette étreinte passionnelle si Jenny n’y avait pas mis un frein.

Stoppés net, aussi sûrement que si Claire avait à nouveau retraversé les pierres, les voici  face à un mur. Glacé, opaque… incontournable.

Que se passe-t-il en Claire ? Qu’est-ce qui la pousse à vouloir repartir dès le lendemain ? Quel est ce sentiment à ce point insupportable pour que tous les efforts qui l’ont finalement amenée, victorieuse, à retraverser les pierres jusqu’à l’amour de sa vie, deviennent vains ?

Alors que je la comprends lors de sa réaction épidermique, et que d’une certaine manière, je peux encore la comprendre lorsque, d’un pas décidé, elle semble résolue à quitter Lallybroch, je peux encore plus facilement me mettre à la place de Jamie.

Je ressens ce qu’il vit, ce désespoir palpable lorsqu’il tente de la raisonner, juste là, à l’entrée de Lallybroch… là où des années auparavant il s’était fait fouetter par Randall, là où il a disparu avant de se faire enfermer à Wentworth, là où Claire l’a attendu des jours durant avant de finalement partir à sa recherche. Là où, surtout,  il a vécu en ermite durant tant d’années sans elle.

Lallybroch, comme une frontière franche et symbolique. Si elle franchit cette ligne, s’en est fini pour lui. Il ne s'en remettra pas une deuxième fois.

C’est ce que nous lisons dans son regard, c’est ce que nous exprime tout son corps repenti.

 

Je fais une petite parenthèse ici, car il y a, sur ce point particulier, beaucoup de différences entre la version initiale de Diana Gabaldon et celle des scénaristes.

En effet, dans son roman, Diana laisse Claire quitter Lallybroch. Jamie est en colère dans la grange où il a trouvé refuge après la dispute et semble résigné à la laisser partir. Et c’est young Ian qui, de son propre chef, la rattrape pour la ramener afin qu’elle soigne Jamie qui vient de se faire tirer dessus par Laoghaire.

 

 

J’avoue, que c’est l’une des rares fois où j’ai préféré la version des scénaristes à celle de Diana.

A la lecture du livre je n’arrivais pas à comprendre pourquoi ils ne tentaient pas de parler.

Que Claire souffre, qu’elle soit en colère, qu’elle veuille du temps pour réfléchir, je comprenais aisément. Mais qu’elle veuille déjà repartir à Craigh Na Dun sans chercher à comprendre, à défaut de pardonner ? Pourquoi ne lui laissait-elle pas le temps de s’expliquer sur le sujet ? Ne serait-ce que par respect pour l’homme qu’elle aime !

Qu’allait-elle faire ? Retraverser les pierres ? Retrouver sa fille certes, mais finir sa vie sans Jamie ?  Le sachant en vie, mais abandonné par elle ? Claire est une femme passionnée et impulsive, mais c’est également une femme raisonnée et pragmatique. Non, décidément, cela ne collait pas.

Je ne comprenais pas non plus pourquoi Jamie ne faisait pas tout pour la rattraper. Certes, c’est un homme de caractère, têtu et très certainement blessé, mais il est aussi d’un courage sans égal et son amour pour Claire lui avait jusqu’alors toujours permis de dépasser cette fierté. Il ne pouvait pas la laisser partir sans tout tenter pour la retenir, là non plus, ça ne correspondait pas à l’homme qu’il était, à l’homme qu’on nous avait appris à aimer.

Dans la série par contre, Claire est bel et bien sur le point de partir, mais Jamie se tient sur son chemin, brisé, mais résolu à la  convaincre de ne pas le quitter.

Nous ne saurons jamais si Claire serait restée finalement. Nous la sentons réceptive à la déclaration de Jamie .

- Tu es mon seul amour  lui dit-il, comme elle le lui avait dit sur la lande de Culloden lorsqu’elle s’était recueillie devant la pierre des Fraser, mais elle n’a pas le temps de répondre, car Laoghaire arrive, plus teigneuse que jamais et tire sur Jamie (par accident il est vrai) qui s’effondre à terre.

Alors tout change.

Jamie est blessé. Il risque de mourir. Claire redevient le médecin qu’elle a été lors de leur première rencontre. Ils peuvent reprendre leur histoire à leur début… mettre de côté les 20 années écoulées… ou tout au moins, ouvrir un espace dans lequel se retrouver suffisamment pour être en mesure de les évoquer.

Le corps reprend ses droits sur la tête et le cœur, ce qui a toujours été leur point de rencontre (voir le focus que j'ai écrit à ce sujet : De chair et de sang)

Claire met de côtés sa tristesse et son ressentiment, tout au moins durant les soins. Tant que la vie de Jamie est en jeu, elle ne partira pas. D’une certaine manière, sans le savoir, Laoghaire vient de réparer ce qu’elle avait brisé. Elle lui a pris Jamie, pour un temps, mais, par son geste insensé, elle vient de lui rendre.

Alors que la fièvre envahit son corps blessé, Jamie raconte.

Il raconte l’après Helwater, son retour à Lallybroch. Tout ce que Claire et nous-mêmes ignorions.

 

Le parti pris de Diana Gabaldon de nous raconter l’histoire du point de vue de Claire nous permet de ressentir les manques en même temps qu’elle, de mieux saisir ses appréhensions, ses doutes et ses espoirs tout autant.

Bien sûr nous avons vogué quelque temps aux côtés de Jamie, l’adaptation télévisée obligeait à cette « transgression » de la narration, mais nous ne savions rien de sa vie depuis son départ d’Helwater si ce n'est qu’à nouveau, il avait dû se séparer de son enfant. ; le confier à un autre homme… Comme si c’était là une malédiction à laquelle il ne pouvait se soustraire.

 

Et ce qu’il raconte à Claire va dans ce sens.

Son retour à Lallybroch comme un étranger; les enfants de Jenny qui le reconnaissent à peine ; le domaine appartenant maintenant à son neveu. Il ne trouve plus sa place dans cette famille.

Alors, pourquoi ne pas se construire dans une autre famille ? Celle de Laoghaire ?

Lui qui a dû confier ses enfants à d’autres pères… pourquoi ne deviendrait-il pas le père d’autres enfants ? Lui qui ne peut avoir auprès de lui la femme qu’il aime, pourquoi ne pas avoir à ses côté une femme qui l’aime ? N’est-ce pas la solution que la vie lui offre ?

Et Jenny est bien mal placée pour lui reprocher sa bigamie involontaire puisque, nous l’apprenons également, elle a lourdement insisté pour qu’aient lieu ces épousailles.

Mais voilà…  Laoghaire ne sait pas aimer, pas plus qu'elle ne sait être aimée,  et ce rêve d’une famille reconstruite qui emplirait, en partie du moins, le vide qu’il ressent si profondément, s’envole presqu’aussitôt.  Le pire est que, d’une certaine manière il s’en serait contenté - et cela nous montre à quel point il est brisé- mais le déséquilibre de Laoghaire, sa folie, sa méchanceté ont raison de sa patience et il part vivre à Edimbourg où il ouvre son imprimerie.

Deux années à peine. Deux années qui ne seront que des tentatives malsaines et désespérées d’un semblant de vie. Deux années qu’il doit aujourd’hui expliquer et que, enfin, Claire entend et perçoit.

Alors elle peut faire taire sa peur et sa rancœur, ou tout au moins les atténuer.

Elle peut également les exprimer.

- Peut-être ai-je eu tort, finit-elle par lui dire alors que Young Ian nage vers l’ile de Silkies… peut-être que nous ne pouvons plus vivre ensemble. J’avais ma vie à Boston, tu avais ton imprimerie… ce n’était pas si mal finalement. C’est plus difficile que ce que je m’étais imaginé » …

 

Elle pense à sa fille bien sûr, mais elle a la décence de n’en rien dire, parce qu’elle sait bien qu’il s’agit de la fille de Jamie également et que lui n’a jamais eu la chance de la connaître. Ce manque, ça fait 20 années qu’il le vit, comment pourrait-elle comparer sa souffrance à la sienne.

Je passe sans m’arrêter sur l’épisode 07-03 : "Crème de menthe" qui n’est qu’une articulation scénaristique nécessaire entre la vie à Edimbourg et le départ précipité à Lallybroch suite à l'incendie de l'imprimerie.

Lallybroche, où Claire et Jamie arrivent enfin, tendus et silencieux.

S’il n’y avait qu’eux, peut-être auraient-ils pu s’isoler, et, dans les bras l’un de l’autre, tout se dire, tout se confier, tout se pardonner. Lorsqu’ils se touchent, rien n’est impossible, nous l’avons bien compris.

Mais il y a Young Ian, il y a Fergus, Monsieur Willoughby ! Il y a Jennie et Ian et leurs enfants… il y a tout ce qui s’est construit durant leurs années de séparation, comme un constant rappel de ce qu’ils n’ont pas partagé, de ce qui, peut-être même, les sépare…

Il y a la vie de Jamie qui se déroule et interfère, alors que celle de Claire, invisible, s’éloigne dans un temps qui ne lui appartient plus. Cette vie, elle n’est là que dans le deuil, dans la douleur de la séparation, dans la mauvaise conscience… et peut-être même dans le regret.

 

Pour nous, spectateurs, c’est un moment passionnant. De la même manière que nous avions suivi Claire avec espoir lors de ses recherches se déroulant au XXème siècle, nous nous régalons en découvrant la toute nouvelle vie de Jamie, et en imaginant à la volée tout ce qui n’est pas dit, ou à peine suggéré.

Mais pour Claire, l’enjeu est incroyablement pesant ! Elle a tout quitté pour le rejoindre. Il n’est pas concevable qu’elle soit déçue.

Mais Jamie n’a que faire de ses arguments. Il sait, lui, qu’ils sont inséparables. Que la seule place de l’un et de l’autre, c’est l’un avec l’autre. Il n’y a aucun doute en lui. Il n’aime pas Claire parce que c’est facile ! Il l’aime parce qu’il ne peut pas faire autrement.

- Quand est-ce que cela a été facile ? lui demande-t-il en réponse aux doutes qu'elle vient d’exprimer.

 

C’est ce que nous raconte cet épisode finalement.

Que ce soit deux cents ans auparavant, alors que Claire subissait ce voyage à travers les pierres de Craigh Na Dun sans aucune idée de ce qui l’attendait, où ce moment présent où elle décide de revenir aux côtés de Jamie par amour pour lui, c’est avant tout parce que Jamie la reçoit dans sa vie sans aucune peur et sans aucune retenue que leur histoire est possible.

Par Valérie Gay-Corajoud

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