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Jamie Fraser, le contrebandier

Ces maudites sangsues de l'accise , 

Qui font leur butin des alambics à whisky ! 

[…]  

Ecosse , ma vieille mère respectée ! 

Quoique parfois vous humectiez votre cuir 

Jusqu'à ce que sur la récolte de bruyère où vous êtes assise 

Vous perdiez votre eau , 

La Liberté et le whisky marchent ensemble ! 

Prenez votre goutte ! 

 

Robert Burns

 

« J’étais plus curieuse de connaître l’ampleur du danger auquel ses activités moins légitimes, à savoir la contrebande et la sédition, exposaient Jamie. La première ne m’inquiétait pas trop : faire de la contrebande était sans doute une activité aussi honorable dans les Highlands que le vol du bétail l’avait été vingt ans plus tôt. Le risque était relativement minime. En revanche, la sédition me paraissait nettement plus dangereuse pour un ex-jacobite déjà condamné pour trahison à la Couronne.Cela expliquait sans doute son pseudonyme. Lors de notre arrivée fracassante au bordel la veille au soir, j’avais remarqué que Mme Jeanne l’appelait par son vrai prénom. J’en déduisis qu’il faisait de la contrebande sous sa véritable identité, réservant Alex Malcolm pour ses activités éditoriales, légales et illégales. La nuit dernière, j’avais vu, entendu et senti que le Jamie Fraser que j’avais connu existait toujours. Il ne me restait plus qu’à faire connaissance avec les autres facettes de sa personnalité. »

Le Chardon et le Tartan T03 – Ch 26

 

L'histoire de la contrebande est aussi longue que controversée ; elle est probablement apparue le jour même où la première taxe a été créée. En Europe, dans les régions frontalières ou sur les côtes, la contrebande est, à certaines périodes de l'histoire, et notamment au XVIIIème siècle, un élément économiquement structurant au point d'être un moteur qui ravive l’esprit patriotique et la volonté de résistance des populations  !   Les mers, les montagnes sont des routes de la contrebande : les Alpes, les Pyrénées, la mer du Nord, la Manche, la Méditerranée, l’Océan Atlantique mais aussi des zones plus désertiques comme les dunes des Flandres.

 

Parmi les produits-phares qui ont fait l’objet de la contrebande, citons le sel, le tabac, le tissu, les vins et spiritueux.

Les taxes sur les vins et les alcools étaient tellement élevées que l'importation clandestine de ces marchandises devint une activité très lucrative pour les agriculteurs, les pêcheurs et navigateurs.

 

Cette activité est particulièrement florissante en Écosse depuis l’Acte d’Union de 1707 et perdurera bien longtemps après Culloden. Les raisons sont toujours les mêmes  : les taxes et droits de douane gouvernementaux.

Elle est facilitée en raison de la géographie écossaise avec ses innombrables criques, anses protégées, collines et grottes, autant que par la complicité quasi générale des habitants.

 

Ceux-ci considèrent que la contrebande est plus qu’un sport national, c’est un devoir patriotique. C’est un combat contre les agents des douanes qui ont mauvaise réputation. De plus l'opinion universelle circule selon laquelle ces droits servent uniquement à engraisser le Trésor de l'Angleterre au détriment des pauvres Écossais.

La sympathie pour les contrebandiers est totale et de plus, il faut tenir compte de l'avantage ressenti à payer moins cher les marchandises introduites en fraude.

 

Tout cela fait que la contrebande est populaire dans toutes les classes de la population.

Exporter en contrebande des marchandises, c’est affaiblir le trésor des Anglais et donc limiter leur effort de guerre. 

La population qui détestait les agents des douanes et était en général fort bienveillante pour les contrebandiers et elle facilitait beaucoup leur tâche. Les aubergistes et cabaretiers leur donnaient asile et cachaient leurs marchandises. Les paysans leur servaient de guides. Certains nobles toléraient les dépôts de contrebande dans leur château.  Diverses ordonnances enjoignirent aux habitants des villes et villages à dénoncer la contrebande. Elles restèrent lettre morte.

 

La répression était très forte et les contrebandiers risquaient toute une série de peines, allant de la simple amende, au fouet, à la déportation jusqu’à la pendaison, en Angleterre.

 

En France, les peines étaient encore bien plus cruelles…

Nous connaissons tous la vie, la mort de Mandrin… le plus célèbre d’entre les contrebandiers français, un contemporain de James Fraser. Son jugement fut exécuté dans l’après-midi. Plus de cinq mille personnes y assistèrent, il y avait de véritables grappes humaines sur les toits des maisons. Tout se déroula comme il était indiqué au jugement : Mandrin attaché sur deux morceaux de bois disposés en croix eut les membres fracassés à coups de barre de fer, puis après être resté huit minutes sur la roue, il fut étranglé afin que son agonie fût plus courte. Avant de mourir, Mandrin avait crié aux enfants des écoles, lesquels conformément à l’usage du temps étaient au premier rang : « Jeunesse, prenez exemple sur moi... » autrement dit « Résistez » !

 

Le port des armes aggravaient la peine…et d’ailleurs voici un court extrait qui nous le rappelle :

 

« Personne ne t’a prévenu qu’il ne fallait pas porter d’arme sur soi ? demanda-t-il à l’adolescent.Son ton était calme, tout juste curieux.— Le simple fait de pointer une arme sur un douanier de Sa Majesté te rend passible de pendaison, expliqua-t-il. Aucun d’entre nous n’est armé. Nous ne portons pas même un couteau de poissonnier, au cas où nous serions pris.— Oui mais… objecta Petit Ian, Fergus m’a dit qu’ils ne pouvaient pas me pendre tant que je n’avais pas de poils au menton. Je ne risque que la déportation. »

Le Chardon et le Tartan T03 Ch 30 

 

C’est avec intelligence et subtilité que Diana Gabaldon fait le lien entre Jamie Fraser (A. Malcolm, l'imprimeur), dans l'article trouvé par Roger Wakefield lorsqu’il lit ce texte dont le titre est  

« Liberté et Whisky : Vous chevaliers et écuyers qui représentent nos arrondissements et nos comtés…".

Et avec ce clin d’œil au combat de Robert Burns qui dénonce les accises anglaises dans son œuvre, nous apprenons qu'en plus d’être un imprimeur légal, Jamie est aussi un contrebandier de vins de France, de rhum des Antilles , de tissus de Flandres et du Nord de la France et de whisky.

Pour ce dernier produit, nous pouvons supposer que ce whisky écossais fabriqué en fraude circulait plus facilement sur la mer, en faisant du cabotage que sur les routes où les Anglais effectuaient des contrôles. Le whisky produit illicitement est appelé peatreek. Le terme fait référence à la fumée infusée dans la boisson en séchant l'orge maltée sur un feu de tourbe. ("Peat Reek" est également le nom de marque d'un whisky légal et disponible dans le commerce.)

 

Quant au rhum, son entrée en France se fait par voie de contrebande tout au long du XVIIIe siècle. Loin de se limiter à une distribution le long de la façade atlantique, ce produit circule ensuite vers l’intérieur du pays repart toujours en fraude vers les pays voisins. 

 

Jamie se sert de son métier d’imprimeur pour diffuser une propagande anti-anglaise en faveur de la liberté. 

 

Jamie, l’homme d’honneur est contrebandier car il doit à fois trouver des fonds pour vivre et diffuser ses tracts anti-anglais !

 

Et finalement cela ne nous étonne pas dans le contexte historique de l’Ecosse.

La contrebande en Écosse est une véritable industrie nationale écossaise et il est donc dans la logique que notre héros s’y frotte ! 

 

 

 

« Eh bien… je trafique un peu, dit-il, penaud. Comme ça… sur les bords.— Un contrebandier ! m’exclamai-je. Comment n’y avais-je pas pensé ! Et tu trafiques quoi ?— Du whisky, surtout, un peu de rhum de temps en temps, et puis pas mal de vin français et de la batiste.— Alors, c’est ça !Soudain, tous les éléments du puzzle se mettaient en place : M. Willoughby, les docks d’Edimbourg, la maison close.— Voilà donc le lien entre toi et cet endroit, déduisis-je. C’est ce que tu voulais dire en disant que Mme Jeanne était ta « cliente » ?— Oui. Nous avons un bon arrangement, elle et moi. Quand l’alcool arrive de France, on le stocke ici, dans une des caves. Nous en revendons une partie directement à Mme Jeanne, à un bon prix, et elle nous garde le reste jusqu’à ce qu’on ait trouvé des acheteurs. »

 

Extrait de 

Le Chardon et le Tartan T03 –

 

 

https://books.openedition.org/pur/27524 

Par Françoise Rochet 

Illustration Gratianne Garcia  

  

Jamie et la contrebande