MENU 

Tandis que Jamie séjournait en France durant sa jeunesse, une diseuse de bonne aventure lui a prédit 9 vies.

Voyons de plus près ce qu’il en a fait.

J’évoquerai en premier lieu ces moments où Jamie était aux portes de la mort, puis, dans un deuxième temps, ceux qui l’ont mis dans des postures vraiment délicates sans que sa vie ait réellement été en danger… enfin… presque.

 

 

1.   Flagellation 

 

C’est à la suite de la deuxième flagellation par Black Jack Randall que Jamie failli passer l’arme à gauche.

 

Dans les livres : Tome 1 Chapitre 13 : Un mariage est annoncé

Toutes les fois où Jamie a falli mourir

 

Par Valérie Gay-Corajoud 

Dans la série, l'intention de Dougal de se débarrasser de son neveu pour récupérer Lallybroch est sous-entendue à plusieurs reprises. Le moment le plus explicite survient lorsqu'il propose à Claire de l'épouser, tentant ainsi de la persuader qu'il est futile de tenter de sauver Jamie de la prison de Wentworth.

 

Saison 1, Épisode 14 : "Une chanson pour Jamie".

2. Coup de hache 

 

La deuxième de ces neuf vies a été dépensée pour survivre à un coup de hache à la tête. Bien que cette expérience soit racontée après les scènes de flagellation, elle se déroule chronologiquement avant.

 

Jamie partage cet épisode avec Claire dès le lendemain de leur arrivée à Castle Leoch.

 

Dans les livres : Tome 1, Chapitre 7, "L'armoire de Davie Beaton".

Des années plus tard, Jamie explique à Claire pourquoi il a perdu son ouïe musicale et admet que c'est probablement Dougal qui lui a donné le coup de hache sur la tête.

 

Dans les livres : Tome 5, Chapitre 35, "Hogmanay".

Dans la série, c'est Black Jack Randall lui-même qui raconte la scène à Claire alors qu'il la détient au fort William, dans l'épisode "Le commandant de garnison". (Je vous épargne l'extrait vidéo, à la limite du soutenable.)

 

Ensuite, après leur retour à Lallybroch, Jamie raconte à Claire que lors de cette deuxième flagellation, son père a eu une attaque en croyant qu'il était mort.

Extrait : Saison 1, Épisode 12 : Lallybroch.

3. La prison de Wentworth 

 

En décembre 1743, Jamie utilise sa troisième vie pour survivre aux sévices de Black Jack Randall à la prison de Wentworth. L'équipe trouve refuge chez Mac McRannoch, ancien prétendant d'Ellen, la mère de Jamie. Claire constate l'état épouvantable de Jamie et doit opérer sa main en urgence.

 

Dans les livres : Tome 1, Chapitre 36, "Mac Rannoch".

La version télé a pris pas mal de liberté quant à la chronologie des faits et des lieux.  

Après avoir été libéré, Jamie est emmené à l’Abbaye Saint-Anne, qui, pour le coup, se trouve en Écosse et non en France et c’est le père Anselme qui les accueille à la place du père Alexandre Fraser.

Bien que Claire doive également opérer sa main, c’est l’état psychologique de Jamie qui prédomine et c’est plus son désir de mourir qui inquiète que son état de santé.

 

2 extraits Saison 1 épisode 13 : La rançon d’une âme

4. Culloden  

 

Avril 1746

Malgré leurs efforts conjugués, Claire et Jamie n'ont pu empêcher le massacre des clans sur la lande de Culloden. Pendant que Claire retourne à travers les pierres pour mettre leur enfant à l'abri, Jamie reprend peu à peu conscience, persuadé d'être mort. Alors qu'il délire, les hommes de son clan le retrouvent et le cachent dans une grange avec d'autres rescapés. Malheureusement, deux jours plus tard, des soldats anglais les découvrent et leur annoncent qu'ils seront fusillés.

 

Le commandant est Lord Harold Melton, le frère aîné de John Grey, qui reconnaît Jamie le Rouge, celui à qui son frère doit la vie.

 

Dans les livres : Tome 3, Chapitre 1, "Un festin pour les corbeaux".

Il faudra des années à Jamie pour se souvenir de ce qu'il s'est réellement passé sur le champ de bataille et pour avoir l'assurance que c'était lui qui avait tué le capitaine des dragons.

 

Il se confie à sa sœur dans la première partie du tome 9, au chapitre 58 : "Les mystères du rosaire".

Extrait dans la grange avec Harold Grey

5. Le tir de Laoghaire 

 

Novembre 1966

Il se passe ensuite des années avant que la vie de Jamie soit réellement en danger. Claire réapparaît après 20 ans et découvre, de retour à Lallybroch, que Jamie est marié à Laoghaire, celle-là même qui a tenté de l'envoyer sur le bûcher. Folle de rage, Claire décide de repartir vers les pierres dressées de Craigh na Dun.

Cependant, Young Ian la rattrape pour lui demander de revenir d'urgence à Lallybroch afin de soigner Jamie, car Laoghaire lui a tiré dessus et il est en train de mourir.

 

Dans les livres : Tome 3, Chapitre 36, "Quelques travaux pratiques de sorcellerie".

Dans la série, même si Claire n'a pas le temps de quitter Lallybroch et que la querelle avec Laoghaire est montrée à l'écran, la suite des événements reste à peu près la même.

 

Saison 3 épisode 8 : La première femme 

 

Extrait : Claire extrait les plombs de l'épaule de Jamie

Extrait 2 : Jamie a de la fièvre

6. La morsure de serpent 

 

Novembre 1771

La cinquième vie de Jamie est mise à l'épreuve lorsqu'il est mordu par un serpent à sonnette pendant qu'il chasse avec Roger. Alors que ce dernier se prépare à ramener le corps de son beau-père à Fraser's Ridge, ils sont retrouvés à temps par Ian et Fergus.

 

Maintenant, Claire doit soigner Jamie alors qu'elle n'a plus de seringue pour lui injecter de la pénicilline, le seul remède capable de le guérir.

 

Tome 5, chapitre 53 : Les bonnes ménagères.   

Là encore, la série reste assez fidèle, et comme à chaque fois, l'état psychologique de Jamie est mis en balance avec son état physique. S'il décide de vivre, alors il vivra.

 

Saison 5 épisode 9 : Monstres et héros. 

 

Extrait : avec Roger dans la forêt

Extrait 2 : Les soins de Claire

Puis

 

Chapitre 55 : Choisir 

Extrait 2 : Dans le lit avec Claire

– Les flagellations ont lieu juste après la revue, afin de commencer la journée dans un bon état d'esprit. Ils étaient trois à être fouettés ce matin-là. Jamie est passé le dernier. 

– Vous y étiez réellement ? 

– Oh, oui ! Et laissez–moi vous dire : regarder un homme se faire fouetter n'a rien dé plaisant. J'ai eu la chance de ne jamais y passer, mais je suppose qu'il n'y a rien de plaisant à être fouetté non plus. Mais regarder un homme se faire fouetter en attendant son tour est probablement le pire. 

– Je n'en doute pas, murmurai-je. Dougal hocha la tête. 

– Jamie n'avait pas l'air dans son assiette, mais il n'a pas bronché quand les autres se sont mis à hurler. Savez-vous qu'on entend même le bruit de la peau qui se déchire ? 

– Brrr... ! 

– C'est aussi mon avis, reprit Dougal, en grimaçant au simple souvenir de la scène, sans parler du sang et des contusions. 

Il cracha, évitant soigneusement l'étang. 

– Lorsque le tour de Jamie arrive enfin, il marche droit vers le pilori. Certains hommes doivent y être traînés de force, mais pas lui. Il tend les poignets au caporal pour qu'il lui enlève les menottes. Le caporal va pour le prendre par le bras et le mettre en position, mais Jamie se dégage et recule d'un pas. 

J'ai cru un instant qu'il allait de nouveau tenter de s'enfuir, mais non. Il enlève sa chemise. Elle est vieille et déchirée par endroits, mais il la roule soigneusement comme si c'était sa meilleure chemise du dimanche et la pose sur le sol. Puis il marche jusqu'au pilori comme un soldat et tend les mains pour qu'on les lui attache au poteau. 

Dougal hocha la tête, l'air admiratif. Les rayons de soleil filtrant entre les branches de sorbier jetaient sur lui des ombres dentelées. On aurait dit un portrait de patricien vu à travers un napperon. Cette image me fit sourire et il acquiesça, pensant que je réagissais à son récit. 

– Ah, pour ça, oui, on voit rarement un tel courage. Ce n'était pas de l'ignorance de sa part puisqu'il avait vu deux hommes se faire fouetter avant lui. Il savait ce qui l'attendait. Il s'était simplement résolu à subir cette épreuve. Les Écossais sont braves au combat, mais regarder sa peur en face est une autre paire de manches. Il n'avait que dix–neuf ans. 

– Ce devait être horrible à voir, dis-je avec ironie. Je m'étonne que vous n'ayez pas tourné de l'œil. 

Il encaissa mon sarcasme avec bonne humeur. 

– J'ai bien failli. Le sang a coulé dès le premier coup et le dos du pauvre garçon était violet en moins d'une minute. Il n'a pas crié, ni demandé grâce, ni même tenté d'esquiver les coups en se tordant d'un côté ou de l'autre. Il a simplement appuyé son front contre le poteau. Naturellement, il grimaçait à chaque coup, mais rien de plus. Je ne crois pas être capable d'en faire autant, admit-il. Et je n'en connais pas beaucoup qui le pourraient. Vers le milieu de la séance, il s'est évanoui et ils l'ont ranimé avec un seau d'eau pour achever leur travail. 

– Pourquoi me racontez-vous ça ? demandai-je. 

– Je n'ai pas terminé. 

Dougal sortit sa dague de son fourreau et se mit à se curer les ongles. 

– Jamie s'est laissé tomber à genoux. Le sang dégoulinait jusque sur son kilt. Il était encore conscient, mais ses genoux avaient lâché et il ne tenait plus debout. Au même moment, le capitaine Randall est entré dans la cour. J'ignore pourquoi il n'avait pas assisté au début du supplice, une affaire l'avait sans doute retenu. En le voyant arriver, Jamie a eu la présence d'esprit de fermer les yeux. Il a gardé la tête penchée, toute molle, comme évanoui. 

Dougal fronça les sourcils, se concentrant sur un ongle récalcitrant. 

– Le capitaine était furieux qu'on ne l'ait pas attendu. 

Apparemment, il avait compté se réserver le plaisir de fouetter lui-même Jamie. Toutefois, il n'y pouvait plus grand-chose. 

C'est alors qu'il a eu l'idée de demander comment Jamie avait réussi à s'évader. 

Il tendit la dague devant lui, examinant la lame, puis se mit à l'affûter contre le rocher. 

– Il a interrogé ses hommes qui n'en menaient pas large. 

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Randall sait choisir ses mots ! 

– En effet, on peut le dire, renchéris-je. 

– Bref, au cours de son enquête, il apprend qu'au moment de son arrestation Jamie avait sur lui un quignon de pain et un morceau de fromage provenant de la prison. Le capitaine réfléchit, puis sourit d'un sourire que je n'aimerais pas voir sur le visage de ma grand-mère. Il déclare alors que c'est là un délit grave exigeant un châtiment exemplaire, et il condamne aussitôt Jamie à cent autres coups de fouet. 

Je tressaillis malgré moi. 

– Mais c'était le condamner à mort ! Dougal hocha la tête. 

– C'est aussi ce qu'a déclaré le médecin de la garnison. Il a rejeté la sentence en déclarant qu'il fallait attendre une semaine pour que le dos du prisonnier ait le temps de cicatriser. 

– Quelle générosité de sa part ! Belle conscience professionnelle ! Et qu'en a pensé le capitaine Randall ? 

– Au début, il a fait la grimace, puis il s'est fait une raison. 

Après quoi le sergent-major a détaché Jamie. Le gamin titubait un peu mais tenait quand même debout. Des gens dans l'assistance l'ont applaudi, ce qui n'était pas pour plaire au capitaine. Il n'a pas été ravi non plus quand le sergent-major a ramassé la chemise de Jamie et la lui a rendue, sous les applaudissements de la foule. 

Dougal tourna la lame entre ses doigts, l'inspectant d'un œil critique. Puis il posa la dague sur ses genoux et me regarda droit dans les yeux. 

– Vous savez, c'est facile d'être courageux assis dans une taverne devant une chope de bière. Ça l'est déjà moins quand on se retrouve en plein hiver dans un champ avec des balles de mousquet qui sifflent au-dessus de votre tête et des ronces qui vous piquent le cul. Mais tout ça n'est rien à côté du fait de se trouver nez à nez avec son ennemi quand votre propre sang vous dégouline sur le kilt. 

– Je m'en doute. 

Je plongeai les deux mains dans le liquide jaunâtre, laissant l'eau glacée mordre mes poignets. 

– Plus tard dans la semaine, je suis retourné voir Randall, reprit Dougal sur la défensive, comme s'il devait justifier son geste. Nous avons parlé longuement et je lui ai même offert une compensation... 

– Oh, je suis très impressionnée ! murmurai-je. 

Je regrettai aussitôt mon sarcasme et tentai de me rattraper : 

– Non, sincèrement. C'était généreux de votre part. Je suppose que Randall a décliné votre offre. 

– Oui. Mais j'ignore encore pourquoi. Généralement, les officiers anglais n'ont pas tant de scrupules à se laisser corrompre. La solde que leur verse la Couronne n'est pas brillante et le capitaine a des goûts de luxe. 

– Il a peut-être d'autres sources de revenu ? suggérai-je. 

– En effet, confirma-t-il en me lançant un regard surpris. 

J'y suis encore retourné le jour où Jamie a subi la seconde flagellation. Histoire d'être là, car je ne pouvais pas grand-chose pour lui, pauvre gamin ! 

La seconde fois, Jamie avait été le seul prisonnier à être flagellé. Les gardes lui avaient enlevé sa chemise avant de le sortir de sa cellule, juste après le lever du soleil, par un froid matin d'octobre. 

– Il était mort de peur. Cela se voyait, même s'il marchait la tête haute, refusant de se laisser toucher par les gardes. Il tremblait, tant à cause du froid qu'à cause de ses nerfs. Il avait la chair de poule sur les bras et le torse, mais son visage était en nage. 

Quelques minutes plus tard, Randall était sorti, son fléau calé sous le bras, les masses de plomb se balançant doucement au bout des lanières en cliquetant. Il avait toisé Jamie de haut en bas, puis avait ordonné au sergent major de le retourner pour voir son dos. 

Dougal grimaça. 

– Ce n'était pas beau à voir. Par endroits, la chair était encore à vif. Les entailles étaient noires et le reste du dos oscillait entre le jaune et le violet. Rien qu'à l'idée des lanières cinglant cette peau tuméfiée, on avait envie de vomir. 

Randall s'était alors tourné vers le sergent-major et avait déclaré : 

– Beau travail, sergent Wilkes. Je tâcherai de faire aussi bien. 

Avec un formalisme exagéré, il avait fait venir le médecin de la garnison pour certifier officiellement que Jamie était en état d'être flagellé. 

– Vous avez déjà vu un chat jouer avec une souris ? demanda Dougal. C'était la même chose. Randall se pavanait devant le gamin, faisant des observations méprisantes et sarcastiques. Jamie, lui, se tenait raide, les yeux fixés sur le poteau, sans broncher. De là où j'étais, je voyais les muscles de ses épaules se contracter pour ne pas trembler, et Randall pouvait le voir aussi. 

» II a sifflé entre ses lèvres : "Mais n'est–ce pas là le jeune homme qui, il y a moins d'une semaine, criait à qui voulait l'entendre qu'il n'avait pas peur de mourir ? Un homme qui ne craint pas la mort n'a tout de même pas peur de quelques coups de fouet ?" Et, avec le manche du fléau, il a donné un petit coup sec dans le ventre de Jamie. Jamie a alors regardé Randall droit dans les yeux et a répondu : "Non, mais je crains de mourir de froid avant que vous ayez fini de dégoiser." 

Dougal poussa un long soupir. 

– Pour ça, c'était bien envoyé ! Mais ce n'était pas la chose à dire. Une flagellation est déjà une sale affaire, mais il y a des moyens de la rendre plus douloureuse encore, en frappant de biais pour que les lanières pénètrent plus profondément, ou en donnant un coup sec au niveau des reins, par exemple... vraiment très vicieux. 

Il secoua la tête et fronça les sourcils, choisissant soigneusement ses mots : 

– Le visage de Randall était... concentré et... comme illuminé, comme un homme bavant devant une jolie fille, si vous voyez ce que je veux dire. On aurait dit qu'il s'apprêtait à faire subir à Jamie un supplice pire encore que de l'écorcher vivant. Vers le quinzième coup, le dos du gamin était en sang et les larmes sur son visage se mêlaient à la sueur. 

Je devais être livide, car il s'arrêta un moment avant de reprendre : 

– Enfin, tout ce que je peux dire, c'est qu'il a survécu. 

Quand le caporal lui a détaché les mains, il s'est écroulé. Le caporal et le sergent-major l'ont soutenu chacun d'un côté jusqu'à ce qu'il retrouve l'usage de ses jambes. Il tremblait des pieds à la tête, mais gardait la tête haute. J'étais à une trentaine de mètres, mais je pouvais voir ses yeux briller. Il a regardé Randall fixement pendant qu'on l'aidait à descendre du pilori, laissant des empreintes de sang, comme si le fait de défier du regard son ennemi était la seule chose qui le faisait encore tenir debout. Randall était presque aussi blême que Jamie, et ses yeux étaient rivés sur ceux du garçon. On aurait dit que ce regard était devenu leur seule raison de vivre. 

Dougal lui-même avait les yeux plongés dans le vide, entièrement absorbé par le souvenir de la scène. 

 

 

 

 

 Pourquoi portez-vous les cheveux courts ? demandai-je soudain. 

Ma propre indiscrétion me fit rougir. 

– Excusez–moi, me repris-je. Je sais bien que ça ne me regarde pas. Je me demandais simplement... la plupart des hommes ici portent leurs cheveux longs... rabattit aussitôt ses mèches hirsutes, l'air honteux. 

– Autrefois, je les avais longs. Ce sont les moines qui m'ont rasé la tête. Cela ne fait que quelques mois et ils n'ont pas encore repoussé. 

Il se pencha en avant, me présentant l'arrière de son crâne. 

– Vous voyez, là derrière ? 

Je palpai son crâne du bout des doigts, puis je la vis en écartant son épaisse tignasse rousse : une entaille fraîchement cicatrisée d'une dizaine de centimètres de long, aux lèvres rosées et boursouflées. Je pressai doucement dessus. Elle était nette et saine. Celui qui l'avait recousu avait fait du beau travail. Une plaie de cette taille avait dû saigner abondamment. 

– Vous souffrez de migraines ? m'enquis-je en professionnelle. 

Il se redressa, lissant ses cheveux par-dessus la cicatrice, et hocha la tête. 

– Parfois, mais elles sont moins fortes qu'avant. Après le coup sur la tête, je suis resté aveugle pendant un mois. Mon crâne me faisait un mal de chien. Les maux de tête ont commencé à s'atténuer quand j'ai recouvré la vue. 

Il cligna des yeux plusieurs fois comme pour tester sa vision. 

– Parfois, quand je suis très fatigué, je n'y vois plus très clair. Le contour de mon champ de vision se trouble. 

– C'est un miracle que vous soyez encore en vie. Vous devez avoir le crâne très solide. 

– Pour ça oui. Dur comme pierre, comme disait ma sœur. 

Nous nous mîmes à rire. 

– Comment est-ce arrivé ? demandai-je. 

Il fronça les sourcils et prit un air dubitatif. 

– Bonne question, dit-il. Le problème, c'est que je ne me rappelle rien. J'étais près du col de Carryaric avec quelques compagnons du loch Laggan. La dernière chose dont je me souviens, c'est que j'ai rampé dans un taillis. Je me suis piqué sur une branche de houx. J'ai regardé les gouttes de sang qui perlaient su mon doigt et je me suis dit qu'elles ressemblaient aux baies. Puis je me suis réveillé en France, dans l'abbaye de Sainte-Anne-de Beaupré, mon crâne battant comme un tambour ; quelqu'un me versait un liquide frais dans le gosier. 

Il se frotta l'arrière du crâne comme s'il sentait encore la douleur. 

– De temps en temps, certains détails me reviennent : une lampe tempête au-dessus de ma tête, se balançant d'avant en arrière, un goût sucré sur mes lèvres, des voix qui me parlent... mais j'ignore s'il s'agit d'un rêve ou pas. A l'abbaye, les moines m'ont donné de l'opium, je délirais sans cesse. 

Il se massa les paupières du bout des doigts. 

– Il y avait ce cauchemar qui revenait toujours. De racines me poussaient dans la tête, de gros tentacule ligneux qui grandissaient à vue d'œil, cherchant à sorti par les yeux, se développant dans ma gorge pour m'étouffer. Ils grandissaient encore et encore, s'immisçant dans tous les recoins de mon corps jusqu'à le faire éclater. Je me réveillais chaque fois en sursaut entendant craquer les os de mon crâne. 

Il fit la grimace… 

 

 

 

 C’est étrange que tu n’aies aucune oreille pour la musique. Je ne sais pas pourquoi, mais, souvent, l’aptitude pour les mathématiques va de pair avec le sens musical. Brianna a les deux.

 

     – Je les ai eus aussi, dit-il d’un air absent.

     – Eus quoi ?

     – Les deux.

     Il soupira et se pencha en avant pour étirer son cou, plaçant ses coudes sur le bureau. Je repris le massage de son cou et de ses épaules, malaxant les muscles noués et durs à travers le tissu de sa chemise.

– Tu veux dire que, autrefois, tu chantais juste ?

     C’était une plaisanterie entre nous. Bien qu’ayant une belle voix, sa perception des tonalités était si bizarre que, dans sa bouche, n’importe quelle chanson devenait une litanie monocorde qui abrutissait les bébés plutôt que de les bercer.

     – Je n’irais pas jusque-là, mais, au moins, je pouvais distinguer un air d’un autre, et dire si une chanson était bien ou mal chantée. Désormais, je n’entends plus que du bruit et des crissements.

     – Que t’est-il arrivé ? Quand ?

     – Ça s’est passé avant que je te connaisse, Sassenach. D’ailleurs, peu avant notre rencontre. Tu te souviens que j’avais été en France ? J’en revenais avec Dougal MacKenzie et ses hommes, quand Murtagh est tombé sur toi, te promenant dans les Highlands en chemise…

     Il en parlait comme si de rien n’était, mais mes doigts venaient de frôler sa vieille cicatrice sous ses cheveux. Ce n’était plus qu’une fine ligne saillant à peine, mais, autrefois, elle avait été une plaie d’une vingtaine de centimètres, ouverte avec une hache. Il avait bien failli y rester, reposant entre la vie et la mort pendant quatre mois dans une abbaye en France. Ensuite, pendant des années, il avait souffert de terribles migraines.

     – C’est à cause de ça ? Tu veux dire que tu… as cessé d’entendre la musique ?

     Il haussa brièvement les épaules.

     – J’entends seulement la musique des tambours. Je perçois encore le rythme, mais plus la mélodie.

     Je m’interrompis, mes mains sur ses épaules. Il se retourna vers moi avec un petit sourire.

     – Ne t’en fais donc pas, Sassenach. Ce n’est pas bien grave. Je n’étais pas un très bon chanteur, même quand j’entendais les notes. Et puis, le principal est que Dougal ne m’ait pas tué.

     – Dougal ? Tu crois vraiment que c’est lui qui t’a donné ce coup de hache ?

     La certitude de sa voix me surprenait. À l’époque, il avait effectivement soupçonné son oncle d’être l’auteur de l’attaque meurtrière dont il avait été victime. Surpris par ses propres hommes avant d’achever le travail, il aurait prétendu avoir volé au secours de son neveu blessé. Mais Jamie n’avait jamais eu de preuves confirmant ses soupçons.

     – Oh oui !

     Il avait l’air surpris lui-même. Puis son expression changea et il reprit, parlant lentement :

     – Te souviens-tu des paroles qu’il m’a dites en mourant ? Ah ! non, c’est vrai, tu ne pouvais pas comprendre.

     Un frisson parcourut tout mon corps et les poils de ma nuque se hérissèrent. Je revoyais le grenier de la ferme Old Leanach à Culloden aussi clairement que le bureau autour de moi. Les vieux meubles renversés, les objets éparpillés par la lutte, Jamie agenouillé à mes pieds, tenant le corps agité de soubresauts de Dougal, le sang et l’air se déversant de la plaie ouverte dans sa gorge par le coutelas de Jamie. Le visage blême de Dougal, alors que la vie le quittait, ses yeux noirs et féroces fixés sur son neveu, articulant avec peine quelques mots en gaélique. Le visage de Jamie, aussi livide que celui de son oncle tentant de décrypter sur les lèvres de Dougal ce dernier message.

     – Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

     – « Fils de ma sœur ou pas, j’aurais mieux fait de te tuer ce jour-là sur la colline. Car je savais depuis le début que ce serait toi ou moi. »

     Il avait répété cette phrase d’une voix calme et basse. Son absence d’émotions me fit frissonner de nouveau.

     Aucun bruit ne parvenait du bureau. Les conversations dans la cuisine n’étaient plus qu’un vague murmure, comme si les fantômes du passé s’y étaient réunis pour boire un verre et évoquer leurs souvenirs, riant doucement entre eux.

     – C’est donc ça que tu voulais dire quand tu m’as déclaré avoir fait la paix avec Dougal ?

     – Oui.

     Il se cala dans son fauteuil et leva les bras en arrière, ses mains chaudes s’enroulant autour de mes poignets.

     – Il avait raison, tu sais, Sassenach. C’était lui ou moi. Tôt ou tard, cela devait finir ainsi.

 

 

 

Dans le grand salon du manoir d'Eldridge, la demeure des MacRannoch, Hector se délesta de son fardeau devant la cheminée. Saisissant deux coins du drap, il le tira vers lui et un corps nu et inerte roula sur les motifs de fleurs rosés et jaunes du tapis qui faisait la fierté de lady Annabelle MacRannoch.

Il faut dire, à la décharge de la maîtresse de maison, qu'elle fit semblant de ne pas voir le sang qui coulait sur son précieux Aubusson. Âgée d'une quarantaine d'années, avec un visage de pinson et une robe en soie jaune vif, elle manœuvra promptement son armée de domestiques en claquant des doigts. Des couvertures, du linge propre, de l’eau chaude et un flacon de whisky apparurent à mes côtés avant même que j'aie eu le temps d'enlever ma cape.

— Il vaut mieux le retourner sur le ventre, conseilla sir Marcus en servant deux grands verres de whisky. Son dos est blessé et ça doit lui faire atrocement mal.

Se penchant sur le visage couleur de cendre et les paupières bleuies de Jamie, il rectifia :

— Remarquez, je me demande s'il sent quelque chose. Vous êtes certaine qu'il est encore en vie ?

— Oui, répondis-je hâtivement en priant de ne pas me tromper.

Avec l'aide de MacRannoch, nous plaçâmes Jamie dans une meilleure position, le dos vers le feu. Une auscultation rapide me confirma qu'il était effectivement en vie, qu'aucune partie de son anatomie ne manquait à l'appel, et qu'il ne courait pas de danger immédiat.

— Je peux faire chercher un médecin, proposa lady Annabelle, mais avec cette tempête de neige, il ne sera pas là avant une heure.

Son ton réticent n'était qu'en partie dû aux intempéries. Un médecin serait un témoin gênant de la présence d'un criminel évadé dans la maison.

— Ce n'est pas la peine, la rassurai-je, je peux le soigner moi-même.

Sans prêter attention aux regards surpris de mes deux hôtes, je m'agenouillai près de Jamie, tirai une couverture sur lui et commençai à tamponner son visage d'un chiffon imbibé d'eau chaude. Il fallait avant tout le réchauffer.

Sir Marcus s'agenouilla près de moi et se mit à masser les pieds de Jamie, faisant une petite pause de temps à autre pour siroter son whisky pendant que je faisais l'inventaire des dégâts.

Son corps était strié de fines lignes noires de la nuque aux genoux, laissées par quelque chose qui devait ressembler à une cravache. Les traces bien ordonnées en parallèles témoignaient d'un acharnement délibéré et méticuleux qui me rendit ivre de rage.

Un objet plus lourd, une canne peut-être, avait été utilisé sur les épaules, laissant des entailles si profondes qu'on apercevait un fragment d'os au niveau de l'omoplate. J’appliquai délicatement une épaisse compresse sur les plaies les plus marquées et poursuivis mon examen.

La marque sur son flanc, là où le maillet l'avait frappé, était enflée et bleue, plus large que la main de sir Marcus. Plusieurs côtes étaient cassées, mais elles pouvaient attendre. Mon attention fut attirée par deux plaies au niveau du cou et de la poitrine. La peau étai fendue et rouge, les contours noirs et bordés de cendre blanche.

— Avec quoi a-t-on bien pu lui faire ça ? demandai-je à sir Marcus, regardant par-dessus mon épaule, vivement intéressé.

— Un tisonnier rougi au feu.

La voix était faible et rauque, et il me fallut quelque secondes avant de me rendre compte que Jamie avait parlé. Il redressa péniblement la tête. Sa lèvre inférieure avait doublé de volume.

Avec une remarquable présence d'esprit, sir Marcus glissa une main sous sa nuque et lui versa une rasade de whisky dans la gorge. Jamie grimaça quand l'alcool piqua sa bouche blessée, mais déglutit le tout avant de reposer sa tête. Il m'interrogea du regard.

— Des vaches ? demanda-t-il. C’étaient bien des vaches ou j'ai rêvé ?

— C'est tout ce que j'ai trouvé, ris-je enfin, soulagée de le voir en vie et conscient. Mon pauvre chéri, tu as une mine affreuse, lui susurrai-je en posant une main sur son front. Comment te sens-tu ?

— En vie, répondit-il.

Il se hissa sur un coude pour boire une nouvelle rasade de whisky.

— Cela suffit avec le whisky, intervint lady Annabelle, réapparaissant derrière nous tel le soleil levant. Ce qu'il faut à ce garçon, c'est du bon thé chaud.

Le thé suivait, porté par une servante en chemise de nuit.

— Du thé avec beaucoup de sucre ! précisai-je.

— Et peut-être une goutte de whisky ? risqua MacRannoch.

Il souleva le couvercle de la théière et y versa une généreuse dose d'alcool.

D'autres serviteurs entrèrent dans le salon portant un lit de camp, des couvertures, des bandages, de l'eau chaude et un grand coffre en bois contenant les remèdes et préparations médicales de la maison.

— J’ai pensé que vous seriez mieux ici dans le salon, expliqua lady Annabelle. Il y fait plus clair et c'est de loin la pièce la plus chaude de la maison.

Sous sa direction, deux valets saisirent chacun un coin de la couverture sur laquelle reposait Jamie et le transférèrent sur le lit de camp installé devant la cheminée, où une jeune femme attisait le feu. En dépit de son apparence d'oiseau, lady Annabelle était un vrai général.

— Puisqu'il est éveillé, autant le faire tout de suite, décidai-je. Vous n'auriez pas une planche en bois mesurant environ soixante centimètres, une lanière de cuir assez solide et, peut-être, des bâtonnets plats, minces ?

Aussitôt, une des servantes disparut, comme un djinn prêt à exaucer mes moindres vœux.

De fait, la maison tout entière semblait magique. Peut-être était-ce le contraste entre la tempête qui sévissait au-dehors et l'intérieur luxueux et chaleureux dans lequel nous nous trouvions, à moins que ce ne fût le soulagement de voir Jamie sain et sauf après tant d'heures de peur et d'angoisse ?

Personne ne nous posa de questions. Nous étions les invités de sir Marcus et de lady Annabelle, et nos hôtes se comportaient comme s'ils voyaient chaque jour des inconnus faire irruption dans leur salon et déverser tout leur sang sur leur tapis précieux.

Lorsque les serviteurs revinrent avec les objets que j'avais demandés, je pris délicatement la main de Jamie et l'approchai de la lumière. J'allais devoir la soigner le plus tôt possible. Tirés par les muscles blessés, les doigts se recroquevillaient déjà. Je me sentais désemparée devant l'ampleur de la tâche. Mais si je ne faisais rien, il risquait de ne plus jamais pouvoir utiliser sa main.

Lady Annabelle souleva le couvercle du coffre.

—Je suppose qu'il vous faudra de l'eupatoire, et peut-être de l'écorce de cerisier, et quoi d'autre...

Elle lança un regard songeur vers Jamie.

—... des sangsues ?

Je secouai vivement la tête.

— Non, je ne pense pas. Vous n'auriez pas plutôt quelque chose qui ressemble à de l'opium ?

— Ah si !

Elle extirpa un flacon du coffre et lut l'étiquette :

— Fleurs de laudanum, ça vous irait ?

— Parfait !

J'en versai une bonne quantité dans un verre et me tournai vers Jamie.

— Il faut que tu te redresses le temps d'avaler ça. Ensuite tu dormiras d'un long et profond sommeil.

Je n'étais pas certaine qu'il soit très judicieux d'administrer du laudanum après une telle quantité de whisky, mais l'idée de reconstituer sa main alors qu'il était encore conscient était inimaginable.

Jamie m'arrêta de sa main valide.

— Je ne veux pas que tu m'endormes. Donne-moi plutôt encore un peu de whisky et quelque chose à mordre.

Sir Marcus ne se le fit pas dire deux fois. Il lui tendit aussitôt le flacon et alla fouiller dans un secrétaire. Il revint quelques instants plus tard avec une petite rondelle de cuir usé. En regardant plus attentivement, je remarquai plusieurs entailles dans la peau épaisse, des empreintes de dents.

— Prenez ça, dit-il à Jamie. Je l'ai utilisé moi-même à Saint-Simone pendant qu'on m'extirpait une balle de mousquet de la jambe.

Je les dévisageai, éberluée, tandis que Jamie acceptait le morceau de cuir.

— Tu crois vraiment que je vais remettre en place neuf os brisés alors que tu es éveillé ?

— Eh bien oui, répondit Jamie, étonné.

Il glissa le cuir dans sa bouche et testa sa solidité. Devant cette scène qui semblait sortir d'un mauvais western, je perdis soudain tout mon sang-froid.

— Mais quand vas-tu enfin cesser de jouer les héros, bon sang ! explosai-je. Après tout ce que tu as fait, tu as encore besoin de prouver que tu es un homme, un vrai ? Ou crois-tu que le monde va s'écrouler si tu n'es pas là pour le diriger ? Tu te prends pour qui, bordel, John Wayne ?

Un silence gêné s'abattit sur le salon. Jamie me regarda, bouche bée.

— Claire, dit-il enfin. Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de la prison de Wentworth. Je suis censé être pendu demain matin. Ils s'apercevront tôt ou tard de ma disparition.

Je me mordis la lèvre. Il avait raison, bien entendu. Les prisonniers que j'avais libérés accidentellement allaient brouiller les pistes un bout de temps, mais les Anglais finiraient par dresser la liste des détenus manquants et entamer des recherches. La méthode d'évasion spectaculaire que j'avais choisie ne tarderait pas à orienter les soupçons vers Eldridge.

— Avec un peu de chance, poursuivit Jamie d'une voix calme, la neige retardera les recherches jusqu'à notre départ. Dans le cas contraire... il n'est pas question que je retourne là-bas. C'est pour ça que je ne veux pas être drogué et me trouver à leur merci s'ils viennent jusqu'ici... pour me réveiller de nouveau enchaîné dans une cellule. Non, Claire, je ne le supporterais pas.

Les larmes me coulaient le long des joues. Je serrai les dents, incapable de détourner mon regard du sien.

— Ne pleure pas, Sassenach. Je suis sûr que nous sommes en sécurité ici. Si je craignais que nous soyons capturés, je ne gaspillerais pas mes dernières heures à te laisser soigner une main qui ne me servirait bientôt plus à grand-chose. S'il te plaît, va me chercher Murtagh. Puis apporte-moi à boire et finissons-en.

Occupée devant la table à faire mes préparatifs pour l'opération, je n'entendis pas ce qu'il dit à Murtagh, mais je vis leurs deux têtes penchées l'une vers l'autre un long moment, puis la main noueuse de Murtagh effleura l'oreille de Jamie, la seule partie de son corps qui ne soit pas douloureuse.

À peine Murtagh sorti du salon, je le rattrapai discrètement dans le couloir, le retenant par son plaid juste avant qu'il ne passe la porte.

— Qu'est-ce qu'il vous a dit ? Et où allez-vous ?

Il hésita un moment, puis répondit d'une voix neutre :

— Je pars avec Absalom monter la garde sur la route de Wentworth. Si je vois des Anglais approcher, je dois les prendre de vitesse et rappliquer ici. S'il y a assez de temps, je vous cache dans la cave, puis je file avec trois chevaux pour les attirer loin du manoir. S'ils ne fouillent pas la maison trop scrupuleusement, vous devriez pouvoir vous en sortir.

— Et si nous n'avons pas le temps de nous cacher ?

— Alors j'ai ordre de le tuer et de vous emmener avec moi... avec ou sans votre accord.

Il esquissa un sourire sournois et se tourna pour sortir.

— Un instant ! l'appelai-je encore. Vous n'auriez pas un poignard de trop ?

Il porta sa main à sa ceinture sans hésitation.

— Vous croyez que vous en aurez besoin ? Ici ?

Il indiqua le luxueux hall d'entrée, avec ses fresques et ses boiseries sculptées.

Ma poche déchirée n'avait plus de fond. Je glissai le poignard dans mon dos, entre ma ceinture et ma jupe, comme je l'avais vu faire à une bohémienne.

— Sait-on jamais ? répondis-je sur le même ton.

Certaines parties de l'opération, comme d'éclisser les deux doigts qui n'étaient que fracturés, furent relativement faciles. D'autres nettement moins. Jamie hurla quand je voulus remettre en place son majeur brisé, appuyant de toutes mes forces pour faire rentrer les fragments d'os sous la peau.

Sir Marcus, assis au chevet du blessé, m'encourageait.

Je travaillais lentement, concentrée sur ma tâche. Je dus m'interrompre à plusieurs reprises pour laisser Jamie vomir. Il recrachait principalement du whisky, n'ayant pas avalé grand-chose au cours de son séjour en prison. Il gardait le visage tourné vers le feu, mais je voyais les muscles de ses mâchoires se tendre tandis qu'il mordait le bout de cuir. Je serrais moi aussi les dents. Enfin, les bords tranchants de l'os reprirent lentement leur place et le doigt se raidit, nous laissant tous deux en nage et tremblant.

Bientôt, les cinq doigts de sa main droite étaient redressés, raides comme des baguettes avec leurs éclisses bandées. Une infection était toujours à craindre, notamment à son majeur déchiré, mais sinon j'étais relativement sûre que sa main guérirait. Par chance, une seule articulation avait été sérieusement abîmée. Il ne pourrait sans doute plus plier son annulaire mais, avec le temps, les autres doigts fonctionneraient normalement. Je ne pouvais rien faire pour les métacarpes fracturés ni la plaie ouverte, si ce n'était la laver avec une solution antiseptique, appliquer un onguent et prier qu'il n'attrape pas le tétanos.

Je me laissai retomber sur ma chaise, chaque muscle de mon corps endolori par la tension de la nuit et ma robe trempée de sueur.

 

 

 

Melton bougonnait toujours entre ses dents. Jamie ne comprenait rien à ce qu'il disait, mais il n'en avait cure. Il venait de voir sa jambe à la lumière. Ils pouvaient toujours essayer de l'emmener à Londres, il ne vivrait pas assez longtemps pour qu'ils le pendent.

L'entaille s'était enflammée, formant une longue traînée écarlate qui s'étendait du milieu de la cuisse à l'aine. La plaie elle-même était ouverte et purulente. Jusque-là, les odeurs de transpiration et de crasse de ses compagnons dans la chaumière avaient masqué la puanteur de son propre pus. Maintenant qu'ils n'étaient plus là, elle le prenait à la gorge. Une balle dans la tête valait nettement mieux qu'une mort lente et douloureuse par infection. Réveillez-moi quand le moment sera venu, pensa-t-il en se sentant emporter par la torpeur. La fraîcheur de la terre battue sous sa joue brûlante était aussi douce et réconfortante que le sein d'une mère.

Il dérivait doucement dans une somnolence fiévreuse quand la voix de Melton le fit revenir à lui.

- Grey, disait l'Anglais. John William Grey ! Ce nom ne vous dit rien ?

- Non. Écoutez, major. Décidez-vous. Tuez-moi ou fichez-moi la paix. Vous voyez bien que je suis mal en point.

- Près de Carryarrick, insista l'autre. Un garçon, blond, d'environ seize ans. Vous l'avez rencontré dans les bois.

Jamie ouvrit les yeux. Malgré sa vision troublée par la fièvre, il lui sembla en effet que le visage penché sur lui, avec ses traits fins et ses grands yeux de biche, lui était vaguement familier.

- Ah oui, fit-il. Je me souviens maintenant. Un jeune blanc-bec qui voulait ma peau.

Il referma les yeux. Dans son accès de fièvre, un souvenir en amenait un autre. Il avait brisé le bras du jeune John William Grey. Il entendit de nouveau l'os craquer entre ses mains. Le frêle poignet d'adolescent devint celui de Claire tandis qu'il tentait de l'arracher au cercle de menhirs. Puis une brise fraîche vint caresser son visage avec les doigts de sa bien-aimée.

- Réveillez-vous, nom de Dieu ! s'énerva Melton en le secouant vigoureusement. Écoutez-moi !

Jamie ouvrit des yeux las.

- Quoi encore ?

- John William Grey est mon frère. Il m'a tout raconté.

Vous avez épargné sa vie et il vous a fait une promesse. Est-ce vrai ?

Jamie fit un grand effort pour se rappeler. L'incident avec le jeune homme s'était produit deux jours avant la bataille de Prestonpans, qui avait vu la victoire des jacobites sur le général Cope. Depuis, six mois s'étaient écoulés. Six mois qui lui parurent une éternité. Que de choses s'étaient passées !

- Oui, je me souviens. Il a promis de me tuer. Vous pouvez vous en charger à sa place, je ne vous en voudrai pas.

 

 

 

La nuit était tombée lorsque nous arrivâmes au manoir, trempés jusqu'à l'os. Trois jours s'étaient écoulés depuis mon départ, trois jours depuis que Jamie avait été mortellement blessé. Par deux fois déjà, j'avais quitté Lallybroch pour ne plus jamais revenir. Par deux fois, j'avais quitté Jamie avec la certitude de ne plus jamais le revoir. Et voilà que je revenais encore comme un pigeon voyageur rentrant au nid.

- Prends garde à toi, Jamie Fraser, marmonnai-je entre mes dents. Si tu n'es pas à l'article de la mort quand j'entre dans cette foutue maison, je vais te le faire regretter !

Le manoir était silencieux. Seules les deux fenêtres du salon étaient allumées. Un des chiens se mit à aboyer mais Petit Ian le fit taire rapidement. Il vint flairer les sabots de mon cheval puis disparut dans l'obscurité, retournant dans sa niche.

Son cri avait toutefois alerté quelqu'un. Quand nous entrâmes dans le vestibule, la porte du salon s'ouvrit et le visage inquiet de Jenny apparut. En apercevant Petit Ian, elle laissa échapper un soupir de soulagement.

- Où étais-tu passé ? Nous étions morts d'inquiétude. Un coucou, voilà ce que tu es ! Un coucou voleur de nids. Je ne sais pas quelle mère t'a fait, mais ce ne peut pas être moi !

Puis elle m'aperçut derrière lui et marqua un temps d'arrêt.

Elle fournissait un effort manifeste pour cacher sa surprise et y parvint plutôt bien, ne montrant aucune émotion. Elle se tourna à nouveau vers son fils :

- Monte te coucher, Ian. Tu régleras tes comptes avec ton père demain matin.

Petit Ian lança un regard déprimé vers la porte du salon, puis vers moi. Il baissa ensuite les yeux sur le chapeau trempé qu'il tordait entre ses mains, comme s'il se demandait comment il était arrivé là, puis haussa les épaules d'un air impuissant et grimpa l'escalier en traînant les pieds.

Jenny resta immobile, me dévisageant avec dureté. Elle attendit que la porte de la chambre de Petit Ian se referme, puis dit platement :

- Alors tu es revenue.

Ses traits étaient tirés et ses yeux étaient marqués par de lourds cernes. Pour une fois, elle faisait son âge, sinon plus.

- Où est Jamie ? demandai-je.

Après un bref moment d'hésitation, elle hocha la tête, comme si elle acceptait de tolérer ma présence chez elle pour l'instant. Puis elle me montra la porte du salon d'un signe du menton.

Je fis un pas vers la porte, puis m'arrêtai.

- Et Laoghaire ? demandai-je encore.

- Partie.

La voie étant libre, j'entrai alors dans le salon, refermant avec douceur mais fermeté la porte derrière moi.

Trop grand pour tenir allongé sur le canapé, Jamie était couché sur un lit de camp qu'on avait dressé devant le feu. Il était endormi ou inconscient mais, en tout cas, il n'était pas mort, du moins pas encore. Mes yeux s'habituant à la pénombre, je vis sa poitrine se soulever et s'affaisser doucement. Une cruche d'eau et une bouteille d'eau-de-vie étaient posées sur une petite table à son chevet. Un fauteuil recouvert d'un châle avait été poussé près de lui. Jenny avait dû y être assise, veillant sur son frère.

Je m'approchai et posai ma main glacée sur son front. Je la retirai aussitôt, il était brûlant. Le contact de mes doigts le fit gémir et s'agiter dans son sommeil. J'enlevai ma cape trempée et passai le châle de Jenny sur mes épaules avant de m'asseoir dans son fauteuil. Je ne remarquai pas tout de suite qu'il avait ouvert les yeux.

- Tu es revenue, dit-il doucement. J'en étais sûr. J'ouvris la bouche pour répondre mais il ne m'en laissa pas le temps.

- Mon amour, dit-il dans un râle. Je savais que tu me pardonnerais quand tu saurais la vérité.

Quelle vérité ? Je me penchai vers lui, tout ouïe.

- J'avais si peur de te perdre, mo chridhe, reprit-il.

Tellement peur. Je n'ai jamais aimé personne d'autre que toi.

Dès le premier jour où je t'ai vue... Je n'ai pas pu... je n'ai pas pu...

Sa voix se perdit dans un marmonnement inintelligible et il referma les yeux. Je restai immobile, sans trop savoir quoi faire.

- Il n'y en a plus pour longtemps, Sassenach, murmura-t-il avec un étrange sourire. Plus pour longtemps. Ensuite, je te prendrai dans mes bras. Dans mes bras.

- Oh, Jamie...

Émue aux larmes, je tendis la main vers lui et caressai sa joue brûlante.

Il rouvrit aussitôt les yeux et se redressa d'un bond dans son lit. La brusquerie de son mouvement lui arracha un horrible hurlement de douleur et il serra contre lui son bras blessé.

- Oh, mon Dieu ! cria-t-il. Oh, mon Dieu ! Tu es là ? C'est toi ? Putain de tonnerre de sacrebleu ! Tu es réelle !

- Jamie, tu te sens bien ? demandai-je bêtement.

J'entendais des exclamations et des craquements de plancher à l'étage au-dessus tandis que les habitants de Lallybroch sautaient de leur lit pour savoir d'où venait ce vacarme.

La tête de Jenny, encore plus pâle qu'auparavant, apparut dans l'entrebâillement de la porte. Jamie la vit et trouva encore suffisamment de souffle pour rugir :

- La paix !

L'effort le plia en deux avec un cri d'agonie.

- Bon sang ! siffla-t-il entre ses dents. Qu'est-ce que tu fous ici, Sassenach ?

- Comment ça, « qu’est-ce que je fous ici ?». C'est toi qui m'as envoyé chercher ! Et qu'est-ce que tu veux dire par « tu es réelle » ?

Il desserra un instant les dents et lâcha son bras gauche. La douleur s'avérant trop vive, il le serra à nouveau contre lui en grimaçant et cracha une série d'observations peu amènes en gaélique concernant les organes génitaux des saints et de divers animaux.

- Je t'en prie, rallonge-toi !

Je posai les mains sur ses épaules et le forçai doucement à s'étendre.

- Dans mon délire, je t'ai prise pour une vision, jusqu'à ce que tu me touches, expliqua-t-il en haletant. Mais qu'est-ce qui t'a pris de venir ici ? Tu cherches à me faire peur ? Aïe !

Je détachai fermement les doigts de sa main droite de son bras gauche.

- Tu n'as pas envoyé Petit Ian me dire que tu étais à l'article de la mort ? demandai-je en remontant doucement la manche de sa chemise.

Un gros pansement bandait son bras du coude à l'épaule.

Je cherchai l'extrémité de la bande de gaze du bout des doigts.

- Moi ? Non ! Aïe ! Tu me fais mal !

- Tu n'as encore rien vu, rétorquai-je en déroulant précautionneusement le tissu. Tu veux dire que ton petit salopiaud de neveu a décidé tout seul de venir me chercher ? Tu ne voulais pas que je revienne ?

- Certainement pas ! Tu crois que j'ai besoin de ta pitié, comme un chien abandonné dans un fossé ? Tu peux te la garder ! J'ai interdit à ce morveux d'aller te chercher !

Il me lançait des regards noirs.

- Je suis médecin, pas vétérinaire, rétorquai-je. Puisque tu ne voulais pas de moi, qu'est-ce que tu racontais tout à l'heure, avant de te rendre compte que j'étais bien réelle ? Mords le coin de la couverture, ça va faire mal. Je vais devoir tirer un coup sec sur le bandage, il a collé à ta plaie.

Il se mordit plutôt la lèvre, émettant un léger sifflement à travers les narines. Il m'était impossible d'évaluer la couleur de son teint à la lueur du feu, mais il fermait les yeux et son front était emperlé de sueur.

- Je suppose que Petit Ian m'a raconté que tu étais en train de mourir uniquement pour me ramener ici, poursuivis-je tout en continuant mon travail.

- Pour ça, je n'en ai plus pour longtemps, c'est sûr, grogna-t-il.

- Tais-toi donc et laisse-moi t'examiner.

La plaie formait un trou béant aux contours déchiquetés et légèrement bleutés. Je pressai la peau tout autour et de grosses coulées de pus jaunâtre se déversèrent de la blessure.

- Tu as une sale infection, conclus-je. Petit Ian m'a dit que tu avais reçu deux balles, une dans le bras, l'autre dans la hanche.

- Celle du bras est ressortie de l'autre côté, expliqua-t-il.

Celle de la hanche s'est fichée à l'intérieur, mais ce n'était pas trop grave. Jenny a pu l'enlever. Elle n'a guère pénétré à plus de cinq centimètres, enfin plus ou moins.

Il parlait par saccades, serrant involontairement les lèvres entre chaque phrase.

- Montre-moi par où la première balle est ressortie.

Bougeant très lentement, il roula sur le côté. Le trou de sortie était juste au-dessus du coude à l'intérieur du bras. Il n'était pas aligné avec le trou d'impact. La balle avait dévié en chemin.

- Elle a heurté l'os, dis-je en essayant de ne pas imaginer ses souffrances. Tu sais si ton bras est cassé ? Je ne veux pas te tripoter plus que nécessaire.

- Tu es trop bonne ! dit-il en s'efforçant de sourire. Je ne crois pas, je me suis déjà brisé le poignet et la clavicule et ça ne faisait pas le même effet.

Je palpai prudemment son biceps, cherchant un point sensible.

- Dis-moi si ça fait mal, demandai-je.

- J'ai l'impression d'avoir une tige de métal dans le bras.

C'est comme si tout un côté était mort.

Il déglutit et s'humecta les lèvres.

- Tu veux bien me donner un verre de whisky ? demanda-t-il. J'ai mal rien qu'à sentir mon cœur battre.

Sans commentaires, je remplis un verre d'eau et le lui tendis. Il y trempa ses lèvres, haussa des sourcils surpris, puis le vida d'une traite et se laissa retomber sur son oreiller. Il respira bruyamment, les yeux fermés, puis il les rouvrit et tourna la tête vers moi.

- J'ai déjà traversé deux fortes fièvres qui ont failli m'achever. Je crois bien que celle-ci y parviendra. Je ne t'ai pas envoyé chercher... mais je suis heureux que tu sois là. Je... je voulais te demander pardon et te dire adieu convenablement. Je ne peux pas te demander d'attendre jusqu'à la fin, mais... tu veux bien rester encore un peu ?

Sa main droite s'enfonçait dans le matelas. Il faisait des efforts désespérés pour ravaler toute note d'imploration dans sa voix, afin de présenter sa requête d'une façon neutre, me laissant la liberté de refuser.

Je tendis la main et caressai doucement sa joue mal rasée.

- Je resterai encore un peu, promis-je, mais tu ne vas pas mourir.

Il arqua un sourcil.

- Tu m'as déjà sauvé d'une fièvre avec des moyens qui, à mon avis du moins, tenaient de la sorcellerie. Jenny m'a sauvé d'une autre fièvre, avec rien d'autre que son opiniâtreté. A vous deux, vous parviendrez peut-être à me tirer de celle-ci, mais je ne suis pas sûr d'avoir envie de subir une fois de plus vos soins barbares. Je crois que je préfère mourir simplement et en finir une fois pour toutes, si tu n'y vois pas d'inconvénient.

- Ingrat, le réprimandai-je. Tu n'as rien dans le ventre.

Tiraillée entre l'exaspération et la tendresse, je lui donnai une tape sur la joue et me levai. Je fouillai dans la grande poche de ma jupe. Parmi les quelques objets que j'avais apportés avec moi, il y en avait un dont je ne me séparais jamais, prête à faire face à toutes les éventualités.

Je déposai la petite boîte métallique sur la table et l'ouvris.

- Je ne vais pas te laisser mourir cette fois non plus, l'informai-je. Bien que je sois tentée de le faire.

Je sortis un petit étui de flanelle grise et le déroulai soigneusement. A l'intérieur, une série de seringues étaient sagement rangées dans des poches. Je fouillai à nouveau dans ma boîte, à la recherche des comprimés de pénicilline.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? s'inquiéta Jamie en fronçant les sourcils.

Occupée à dissoudre les comprimés dans une fiole d'eau stérilisée, je ne répondis pas. Je choisis une seringue de verre, y fixai une aiguille, puis enfonçai celle-ci dans le bouchon en caoutchouc de la fiole. J'observai soigneusement le liquide montant dans le tube, veillant à ce qu'il n'y ait pas de bulles.

- Roule sur le côté, ordonnai-je. Et retrousse ta chemise.

Après un regard suspicieux à l'objet que je tenais dans ma main, il s'exécuta. Je scrutai le point d'injection avec approbation.

- Tu as toujours d'aussi jolies fesses, remarquai-je en contemplant ses puissants fessiers.

- Toi aussi, répondit-il aimablement. Mais surtout ne te sens pas obligée de me les montrer. Souffrirais-tu d'une soudaine crise de concupiscence ?

- Pas pour le moment, répliquai-je sur le même ton. Je laissai perler une goutte de solution à la pointe de mon aiguille, puis tamponnai un coin de sa peau avec un linge imprégné de whisky.

Sentant l'odeur, il lança un regard par-dessus son épaule.

- C'est un très bon whisky, mais généralement je préfère le prendre par la bouche.

- C'est le seul alcool que j'aie trouvé. Arrête de gigoter et détends-toi.

- Aïe.

- Voilà, c'est fini, le rassurai-je. Ça va piquer encore un peu puis tu ne sentiras plus rien. Tu as le droit de boire un peu de whisky maintenant, mais rien qu'une larme.

Il vida son verre cul sec tout en me regardant ranger mon matériel.

- Je croyais qu'on enfonçait des aiguilles dans des poupées de cire pour jeter des sorts, pas dans la personne elle-même, dit-il enfin.

- Ce n'est pas une simple aiguille mais une seringue hypodermique.

- Tu peux bien l'appeler comme tu veux, ça ne m'explique pas pourquoi tu me piques les fesses alors que c'est mon bras qui est malade.

- Tu te souviens de la fois où je t'ai parlé des microbes ?

Il me regarda d'un air absent.

- Ce sont de minuscules bêtes invisibles à l'œil nu, expliquai-je. Elles peuvent pénétrer dans ton corps avec des aliments, de l'eau, ou par le biais d'une plaie ouverte et te rendre malade.

Il examina son bras, intrigué.

- Tu veux dire que j'ai des petites bestioles qui se promènent dans mon bras ?

- En effet. Le produit que je viens de t'injecter sous la peau devrait les tuer. Je te ferai une autre injection toutes les quatre heures jusqu'à demain soir. Ensuite, on verra où tu en es.

Je me tus. Jamie me dévisageait d'un air dubitatif.

- Tu as compris ? demandai-je. Il acquiesça lentement.

- Oui, répondit-il. J'aurais dû les laisser te brûler sur le bûcher il y a vingt ans.

 

 

 

Les sangsues commençaient à se réveiller, s’étirant lentement comme des élastiques vivants. J’écartai les couvertures de Jamie et les pressai doucement sur la peau près de la plaie. Marsali étouffa un cri à la vue des plaies. Je la rassurai :

— Ce n’est pas aussi terrible que ça en a l’air.

C’était vrai, mais, en soi, la réalité était déjà assez terrible. Les entailles faites au couteau étaient bordées de croûtes, mais toujours ouvertes. Au lieu de se refermer et de cicatriser, elles s’érodaient du pus suintant des tissus exposés. La chair environnante était très enflée, noire et striée de rouge.

J’ignorais quel type de serpent l’avait mordu, non pas que cela fasse une grande différence puisque nous n’avions pas de sérum, mais il sécrétait apparemment une puissante toxine hémolytique. De petits vaisseaux sanguins, ainsi que des plus gros près du point d’injection, avaient éclaté et saigné partout dans son corps, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Le pied et la cheville du côté atteint étaient encore chauds, ce qui était bon signe. La circulation profonde était indemne. Le tout était d’améliorer celle près de la plaie et de prévenir une nécrose massive des tissus. Les stries rouges me préoccupaient particulièrement. Elles pouvaient n’être qu’une conséquence du processus hémorragique, mais, selon moi, elles étaient plutôt le signe avant-coureur d’une septicémie.

Roger ne m’avait pas raconté en détail leur nuit dans la montagne, mais il n’en avait pas eu besoin. J’avais déjà vu des hommes rester de longues heures dans le noir avec la mort pour seule compagne. Si Jamie était toujours en vie une nuit et un jour plus tard, il avait des chances de s’en sortir… si je parvenais à maîtriser l’infection dans son sang. Mais dans quel état ?

Je n’avais encore jamais soigné de morsures de serpent, mais j’en avais déjà vu des illustrations dans des livres de médecine. Les tissus infectés mourraient et pourriraient. Jamie pouvait aisément perdre la plus grosse partie du muscle de son mollet, ce qui ferait de lui un handicapé. Pire encore, la plaie pouvait devenir gangreneuse.

Je le regardai discrètement. Il était si mal en point qu’il pouvait à peine bouger. Pourtant, les lignes de son corps étaient toujours empreintes de grâce et de vigueur. L’idée de l’estropier m’était intolérable, mais, s’il le fallait, je le ferais. Mutiler Jamie… cette pensée me noua le ventre et rendit moites mes paumes tachées d’indigo.

Etait-ce sa volonté ?

Je saisis le bol d’eau à son chevet et le bus d’un trait. Je ne lui demanderais pas son avis. La décision lui revenait de droit, mais il m’appartenait, et j’avais déjà arrêté mon choix. Peu m’importait ce que je devrais faire pour le garder, je ne le laisserais pas m’abandonner.

— Tu es sûr que ça va, père ? demanda Marsali.

Elle m’avait observée. Son regard effrayé allait et venait entre Jamie et moi. Je fis de mon mieux pour afficher un air compétent et assuré.

Jamie m’avait observée, lui aussi. Un faible sourire apparut au coin de ses lèvres.

— Je le croyais, répondit-il, mais, maintenant, j’en suis moins persuadé.

— Que se passe-t-il ? demandai-je, inquiète. Tu as une nouvelle douleur quelque part ?

— Non, non, je me sens très bien, m’assura-t-il en mentant ouvertement. C’est juste que, quand je ne me blesse pas trop gravement, tu me traites de tous les noms. En revanche, quand ça va très mal, tu es tout miel. Or, depuis que je suis rentré, je n’ai pas eu droit à un seul nom d’oiseau, pas un seul mot de reproche ! Tu me crois donc à l’article de la mort, Sassenach ?

Malgré son ironie, je lisais une vraie inquiétude dans son regard. Il n’y avait pas de vipères en Ecosse, il ne pouvait comprendre ce qui arrivait à sa jambe.

Je pris une grande inspiration et posai doucement les mains sur ses épaules.

— Espèce de grand échalas empoté ! Marcher sur un serpent, peuh ! Tu ne peux donc pas regarder où tu mets les pieds ?

— Pas quand je dévale une pente derrière cinq cents kilos de viande ! répliqua-t-il en souriant.

Je sentis ses muscles sous mes mains se détendre et réprimai mon envie de lui sourire en retour.

— Idiot, tu m’as flanqué une frousse bleue !

Au moins, je ne mentais pas.

— Parce que tu crois que je n’ai pas eu peur, moi ?

— Tu n’en as pas le droit. Un seul de nous deux a le droit de paniquer à la fois, et c’est mon tour.

Cela le fit rire, un rire qui dégénéra rapidement en quinte de toux et en violents frissons.

Je rabattis rapidement les couvertures sur lui et me tournai vers Marsali :

— Va me chercher une pierre chaude pour mettre sous ses pieds. Remplis la théière d’eau bouillante et apporte-la aussi.

Elle fila vers la cuisine. Je jetai un œil vers la fenêtre, me demandant si Brianna parviendrait à dénicher des asticots. Ils n’avaient pas leur pareil pour nettoyer les plaies purulentes sans abîmer les tissus sains voisins. Si je voulais sauver sa jambe, l’aide de sainte Bride ne suffirait pas.

Tout en me demandant si, par hasard, il y avait un saint patron pour les asticots, je soulevai un coin des couvertures pour surveiller le travail de mes autres assistants invertébrés. Parfait ! Les sangsues ne chômaient pas, elles gonflaient déjà, suçant tout le sang qui se déversait des vaisseaux capillaires sectionnés en inondant les tissus de sa jambe. Une fois cette pression supprimée, la circulation pouvait se rétablir sainement, à temps pour préserver la peau et les muscles.

Sa main était agrippée au bord de la table, et je sentais ses tremblements dans mes cuisses, là où elles étaient pressées contre le bois. Je pris sa tête entre mes mains, ses joues étaient brûlantes.

— Tu ne mourras pas ! sifflai-je. Pas question ! Je te l’interdis !

— Tout le monde me répète la même chose, marmonna-t-il les yeux fermés. J’ai mon mot à dire dans cette affaire ?

— Non ! Tiens, bois ça.

Je pressai le bol de bouillon à la pénicilline contre ses lèvres. Il fit la grimace, mais avala docilement.

Marsali revint avec la théière remplie d’eau bouillante. J’en versai aussitôt sur mon mélange d’herbes sèches et les laissai macérer pendant que je l’aidai à boire un peu d’eau fraîche pour faire passer le goût du bouillon.

Il déglutit, puis s’enfonça dans l’oreiller.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda-t-il. Ça a un goût de fer.

— C’est de l’eau, répondis-je. Il est normal que tout ait un goût métallique, tes gencives saignent.

Je tendis une cruche vide à Marsali et lui demandai de me ramener encore de l’eau.

— Ajoutes-y du miel, précisai-je. Une dose de miel pour quatre d’eau.

Avant de ressortir, elle marqua un temps d’arrêt. Elle regarda Jamie, le front plissé, puis déclara :

— Ce qui lui faudrait, c’est du bouillon de bœuf. Maman ne jurait que par ça, et sa mère avant elle. Quand un corps a perdu beaucoup de sang, rien de tel qu’un bon bouillon de bœuf.

Elle devait être sérieusement inquiète. Par diplomatie, elle ne faisait jamais allusion à sa mère en ma présence. Mais, pour une fois, cette garce de vampire de Laoghaire avait raison. Un bouillon de bœuf aurait été excellent, à condition d’avoir de la viande de bœuf fraîche, ce qui n’était pas le cas.

Je la chassai de la pièce.

— Eau et miel !

J’allai chercher des renforts dans le bol de sangsues et, en chemin, m’arrêtai devant la fenêtre pour voir où en était Brianna avec ses asticots.

Elle se tenait près de l’enclos, pieds nus, la jupe retroussée jusqu’aux genoux, en train d’ôter du crottin de cheval de sur son talon. Bredouille pour le moment, donc. Elle m’aperçut et me fit signe de la main. Elle pointa un doigt vers la hache plantée non loin dans une souche, puis vers la forêt. Je hochai la tête. Elle aurait peut-être plus de chance dans un tronc d’arbre pourri.

Jemmy était assis non loin, attaché par une longe à un poteau de l’enclos. Maintenant qu’il n’avait plus besoin d’aide pour se lever et marcher, cela l’empêchait de disparaître quand sa mère était occupée. Il était en train de tirer sur la tige d’une coloquinte qui s’enroulait autour du poteau, poussant des cris ravis lorsqu’une pluie de feuilles et de vestiges de courges givrés lui retomba sur le crâne.

Un mouvement de l’autre côté attira mon regard. Marsali revenait de la source, chargée de seaux d’eau. Non, cela ne se voyait pas encore, mais Jamie avait raison, elle était trop maigre. Maintenant que je savais, je remarquai son teint pâle et les cernes sous ses yeux.

Un autre mouvement. Les longues jambes blanches de Brianna lançant des éclats sous sa jupe relevée, dans l’ombre bleue d’un épicéa. Et elle, utilisait-elle son huile de tanaisie, au moins ? Elle allaitait toujours Jemmy, mais ce n’était pas une garantie, pas à son âge…

Un bruit derrière moi me fit me retourner. Jamie grimpait lentement sous son nid de couvertures, tel un grand paresseux cramoisi, ma scie d’amputation à la main.

— Mais qu’est-ce que tu fabriques !

Les traits crispés, il retomba sur le dos, pantelant, serrant l’instrument contre son torse.

Les mains sur les hanches, je pris un air menaçant.

— Je répète : qu’est-ce que tu fab…

Il ouvrit un œil et me coupa d’un ton ferme.

— Non. Je sais à quoi tu penses, Sassenach. Il n’en est pas question.

J’essayai de contrôler ma voix.

— Tu ne sais pas ce qui pourrait arriv…

— Je sais mieux que toi ce qui est en train d’arriver à ma jambe…

Il s’interrompit pour reprendre son souffle et acheva :

— … mais ça ne change rien.

— Pour toi peut-être pas, mais pour moi, si !

— Je ne mourrai pas, annonça-t-il simplement. Et je ne veux pas vivre avec une moitié de jambe. Cette seule idée me fait horreur.

— Personnellement, ça ne m’emballe pas non plus, mais s’il s’agit de choisir entre ta jambe et ta vie !

— Ce n’est pas le cas.

— Ça pourrait très bien le devenir !

— Ça ne le sera pas.

L’âge ne changeait rien. A deux ans ou à cinquante, un Fraser restait un Fraser. Un rocher n’aurait pu être plus têtu. Je me passai une main dans les cheveux.

— D’accord, dis-je en serrant les dents. Rends-moi cette foutue scie que je la range.

— Ta parole.

— Ma quoi ?

Je le regardai d’un œil torve. Il me le rendit au centuple.

— Donne-moi ta parole. Pris de fièvre, il se peut que je ne sois plus moi-même. Je ne veux pas que tu me prennes ma jambe, alors que je ne suis pas en état de te l’interdire.

— A ce moment-là, je n’aurais sans doute pas le choix.

— Toi, peut-être pas, mais moi si. Or, j’ai décidé. Ta parole, Sassenach.

— Espèce d’insupportable, d’exaspérant, de…

Son sourire, une ligne blanche au milieu d’un visage rouge vif, était toujours aussi surprenant.

— Si tu me traites d’Ecossais, alors je vais sûrement vivre.

 

 

 

Passant outre à mes recommandations, Jamie insista pour que Roger et M. Bug le montent dans notre chambre.

— Je ne veux pas que tu dormes par terre dans l’infirmerie, Sassenach. Tu devrais être dans ton lit, mais le seul moyen pour que tu y sois, c’est que j’y sois aussi, pas vrai ?

J’aurais pu essayer de l’en dissuader, mais, en vérité, j’étais tellement épuisée que je l’aurais suivi sur la terre battue de l’écurie pour dormir.

Cependant, une fois qu’il fut installé, mes doutes me reprirent. Tout en suspendant ma robe à une patère, je protestai :

— Je risque de t’écraser la jambe ! Je vais dérouler une paillasse devant le feu et…

— Pas question, tu dormiras avec moi.

Il s’enfonça dans l’oreiller en fermant les yeux. Son teint avait pâli. Toutefois, s’il était moins rouge, les endroits où les hémorragies n’avaient pas formé de taches étaient d’une blancheur alarmante.

— Tu continuerais à donner des ordres même sur ton lit de mort ! rétorquai-je. Tu n’es pas obligé de toujours tout diriger, tu sais ? Tu pourrais rester tranquille et, pour une fois, laisser les autres faire leur travail. Tu crois que le monde va s’écrouler parce que tu…

Il ouvrit les yeux et me lança un regard noir.

— Sassenach.

— Quoi ?

— Je voudrais que tu me touches… sans me faire mal. Rien qu’une fois avant que je m’endorme. Ça t’ennuierait ?

Je me figeai, déconcertée. Il avait raison. Entre l’urgence de la situation et mon inquiétude, tout ce que je lui avais fait subir depuis ce matin était douloureux, gênant, ou les deux. Marsali, Brianna, Roger, Jemmy… ils l’avaient tous ému par leur gentillesse, lui offrant sympathie et réconfort.

Pour ma part, terrifiée par ce qui pouvait arriver, par la contrainte d’une possible opération, je n’avais pas pris le temps de lui témoigner ma tendresse. Je détournai le visage, cachant mes larmes. Une fois ressaisie, je m’approchai du lit, me penchai sur lui et l’embrassai, tout doucement.

Je coiffai ses cheveux en arrière, lui dégageant le front, puis lissai ses sourcils du pouce. Archie Bug l’avait rasé. La peau de ses joues était douce et chaude contre ma main, ses os durs sous ma paume… et, pourtant, il ne m’avait jamais paru aussi fragile. Fragile comme moi en ce moment.

— S’il te plaît, dors à côté de moi cette nuit, murmura-t-il.

Je lui souris, mes lèvres tremblant à peine.

— D’accord. Laisse-moi juste me brosser les cheveux.

En chemise, je m’assis devant la coiffeuse et pris une brosse. Il m’observait sans parler, en souriant faiblement. Il aimait me regarder faire. Peut-être cela l’apaisait-il autant que moi.

Au rez-de-chaussée couraient des bruits étouffés et lointains. Les volets étant entrouverts, les reflets du feu dans la cour dansaient sur la vitre, et je me demandai, en me dirigeant vers la fenêtre, s’il ne valait pas mieux les fermer.

— Laisse, Sassenach, murmura-t-il du lit. J’aime entendre les voix.

Le son des conversations au-dehors était en effet réconfortant, telle une berceuse entrecoupée d’éclats de rire.

Le frottement de la brosse, doux et régulier comme des vagues mourant sur le sable, arrachait mes angoisses et mes soucis comme autant de feuilles mortes et de débris végétaux. Les tensions de la journée s’en allaient doucement. Lorsque je m’arrêtai, Jamie avait les yeux fermés.

Je m’agenouillai pour remuer les braises, soufflai la chandelle puis me glissai doucement dans le lit, veillant à ne pas trop remuer le matelas.

Comme Jamie me tournait le dos, je me couchai sur le côté, épousant sa forme sans le toucher.

Je restai là, immobile. Tous les bruits de la maison avaient trouvé leur rythme nocturne : le crépitement des flammes et le sifflement du vent dans le conduit de cheminée, le craquement soudain d’une marche de l’escalier.

J’entendais même les ronflements nasillards de M. Wemyss, transformés en bourdonnement apaisant par les portes en bois massif qui nous séparaient.

En raison de l’alcool et de l’heure tardive, les voix au-dehors étaient rendues traînantes et joviales, sans la moindre hostilité ni violence cachées. Cela dit, c’était le moindre de mes soucis. Ce soir, les habitants de Fraser’s Ridge pouvaient bien s’étriper et danser sur les cadavres, moi, je concentrais toute mon attention sur Jamie.

Sa respiration était superficielle mais régulière, ses épaules détendues. Je ne voulais pas le déranger, car il avait avant tout besoin de repos, mais je mourais d’envie de le toucher pour me rassurer, en constatant qu’il était bien là, en vie.

Comment se sentait-il ? Avait-il de la fièvre ? L’infection dans sa jambe s’était-elle propagée en dépit de la pénicilline, diffusant son poison dans son sang ?

J’approchai mon visage à quelques centimètres de son dos et inspirai, profondément et lentement. Sa chaleur se transmettait à mes joues, mais, à travers sa chemise, j’étais incapable de deviner sa température.

Il sentait vaguement la forêt mais surtout le sang. Les oignons du cataplasme et sa sueur lui donnaient une odeur amère.

J’inhalai encore. Pas d’odeur de pus. C’était trop tôt pour la puanteur de la gangrène, même si, invisible sous les bandages, le pourrissement avait débuté. En revanche, je décelai pour la première fois une étrange exhalaison de sa peau. La nécrose du tissu musculaire ? Une sécrétion quelconque provoquée par le venin ? Je soufflai par le nez, puis inspirai de nouveau fortement.

— Je pue à ce point ?

— Argh ! dis-je en me mordant la langue.

Il trembla un peu, riant sans doute.

— A me renifler ainsi le dos, tu me fais penser à une truie truffière, Sassenach.

— Ah, vraiment ?

Je touchai le bout de ma langue, avant d’ajouter :

— Puisque tu ne dors pas, puis-je savoir comment tu te sens ?

— Comme un tas de tripes pourries.

— Très imagé ! Tu peux être un peu plus précis ?

Je posai doucement une main sur sa hanche et l’entendis expirer en gémissant.

— Comme un tas de tripes pourries… farcies d’asticots.

— Même sur ton lit de mort, tu chercherais encore à faire de l’humour, n’est-ce pas ?

En disant cela, j’eus un pincement au cœur : c’était probablement vrai.

— J’essaierai, Sassenach. Mais je ne suis pas certain d’être au mieux de ma forme dans ce genre de circonstances.

Il murmurait d’une voix endormie.

— Tu as très mal ?

— Non, je suis juste… fatigué.

Epuisé au point de ne pas trouver ses mots, il avait choisi celui-là, faute de mieux.

— Ça n’a rien d’étonnant. Je vais dormir ailleurs pour que tu puisses te reposer.

— Non ! Ne me laisse pas.

Son épaule s’affaissa vers moi et il tenta de soulever la tête. Mon malaise augmenta en constatant qu’il n’en avait même plus la force.

— Je ne t’abandonne pas, mais je devrais peut-être dormir dans le fauteuil. Je ne veux pas…

— J’ai froid, dit-il doucement. Très froid.

Appuyant mes doigts juste sous son sternum, je cherchai le pouls abdominal. Il était rapide, moins profond qu’il n’aurait dû. Il n’était pas du tout fiévreux, au contraire. Non seulement il avait froid, mais il était froid. Sa peau était fraîche et ses mains glacées. Son état devenait très alarmant.

Sans plus de précautions, je me blottis contre lui, mes seins s’écrasant contre son dos, ma joue se pressant contre son omoplate. Je me concentrai aussi fort que possible pour produire de la chaleur corporelle, lui transmettant la mienne à travers sa peau. Il m’avait si souvent accueillie et protégée dans le creux de son corps. J’aurais tant voulu être plus grande pour lui rendre à présent la pareille. En fait, je pouvais simplement m’accrocher à lui comme un petit cataplasme à la moutarde, en espérant être aussi efficace.

Tout doucement, je trouvai le rebord de sa chemise de nuit et la retroussai. Je posai mes mains à plat contre ses fesses qui se contractèrent de surprise, puis se détendirent.

Un bref instant, je me demandai pourquoi j’avais un tel besoin de le toucher, besoin que j’avais ressenti bien des fois. Je ne m’appesantis pas sur la question, ayant depuis longtemps cessé de m’inquiéter au sujet de ce comportement scientifiquement injustifié.

Je palpai la texture granulée de son éruption cutanée et, soudainement, songeai à une lamie. Une créature lisse et froide au toucher, capable de se métamorphoser, passionnément venimeuse et de nature infectieuse. Une seule morsure et son venin se diffusait, ralentissant le cœur de sa proie, glaçant son sang. J’imaginai des écailles minuscules se soulevant sous sa peau dans le noir.

— Claire, dit-il doucement. Touche-moi.

Son cœur battait et résonnait sourdement dans mon oreille collée contre l’oreiller.

Je glissai la main vers le bas de son ventre, puis descendis plus lentement. Mes doigts écartèrent les boucles frisées, pour prendre en coupe ses bourses rondes. Le peu de chaleur qui lui restait se trouvait là.

Comme je le caressais avec le pouce, il s’éveilla. Il poussa un long soupir, et son corps me parut alors plus lourd, s’enfonçant dans le matelas tandis qu’il se détendait. Sa chair, comme de la cire dans ma main, devenait lisse et soyeuse à mesure qu’elle se réchauffait.

Je me sentais bizarre. Je n’avais plus peur. Tous mes sens étaient étrangement affûtés et pourtant… en paix. Je n’entendais que le souffle de Jamie et les battements de son cœur. L’obscurité en était pleine. Je ne pensais plus mais agissais d’instinct, ma main descendant encore plus bas, dans ses profondeurs, cherchant le cœur de cette chaleur, au centre de son être.

Puis, je bougeai… nous bougeâmes ensemble. Une de mes mains était entre ses jambes, mes doigts posés juste en arrière de ses testicules, l’autre enserrait sa verge, allant et venant au même rythme que mes cuisses et mes reins, pendant que je me pressais contre lui.

J’aurais pu continuer ainsi pour l’éternité avec l’impression de n’avoir jamais fait autre chose. J’avais perdu toute notion du temps, baignant dans cette paix, ce rythme lancinant tandis que nous remuions tous deux dans le noir. A un moment donné, dans un lieu donné, une pulsation régulière, d’abord dans une main, puis dans les deux, se fondit dans les battements de nos cœurs.

Il poussa un soupir, long et lent, et l’air s’expulsa de mes propres poumons. Nous restâmes silencieux et sombrâmes doucement dans l’inconscience, ensemble.

Je me réveillai dans un état de sérénité totale. Immobile, dénuée de pensées, j’écoutai le sang tambouriner dans mes veines, regardant flotter les particules de poussière dans le rayon de soleil qui filtrait par la fenêtre. Puis je me souvins et me redressai sur le lit, en écarquillant les yeux.

Ses paupières étaient baissées et sa peau avait la couleur du vieil ivoire. Sa tête était légèrement tournée de côté, mais je ne voyais pas son pouls dans son cou tendu. Il était encore chaud ou, du moins, les draps l’étaient. Je humai l’air. La chambre empestait l’oignon, le miel et la transpiration fiévreuse, mais pas la mort subite.

D’un geste sec, je le tapai au centre de la poitrine et il sursauta, ouvrant grands les yeux.

— Espèce de salaud ! Tu as essayé de me fausser compagnie pendant la nuit, hein ?

J’étais tellement soulagée de le voir respirer que ma voix en tremblait.

Sa poitrine se soulevait et s’affaissait sous ma main. Mon propre cœur battait à se rompre, comme si on m’avait retenue au bord d’un précipice.

Il cligna des yeux. Il avait encore le regard chargé, embué par la fièvre. Il ne chercha même pas à faire comme s’il ne m’avait pas compris.

— Ça ne m’a pas demandé beaucoup d’efforts, Sassenach. Ne pas mourir était plus dur.

A la lumière du jour, je compris clairement ce que, la veille, la fatigue et l’après-coup du choc m’avaient empêchée de saisir. L’insistance pour dormir dans son propre lit, pour garder les volets ouverts afin d’entendre sa famille et ses métayers dans la cour. Et moi à ses côtés. Très soigneusement, sans me prévenir, il avait décidé comment et où il voulait mourir.

— Quand tu as demandé de monter ici, tu pensais que tu ne passerais pas la nuit, n’est-ce pas ?

J’étais plus estomaquée qu’accusatrice.

Il prit un moment pour répondre, même s’il ne semblait pas hésitant. Il cherchait plutôt les mots justes.

— Je n’en étais pas certain, dit-il enfin lentement. Même si je me sentais vraiment très mal.

Il ferma les yeux, trop exténué pour les garder ouverts.

— D’ailleurs, je ne vais pas franchement mieux. Mais tu n’as plus à t’inquiéter, j’ai fait mon choix.

 

 

 

Je sais que Jamie a également frôlé la mort dans le tome 9. Une fois que j'aurai terminé de lire ce volume (que j'ai commencé hier), je pourrai enrichir ce billet. J'intégrerai également toutes les situations où Jamie s'est retrouvé dans des postures vraiment compliquées sans pour autant être au seuil de la mort...

 

C'est le bon moment pour vous exprimer à ce sujet sur ma page facebook. 

 

 

Finalement, Melton épargne Jamie et le renvoie à Lallybroch, où il est soigné par sa sœur.

La série reste assez fidèle aux livres, mais prend plus de temps pour décrire l'état de Jamie avant que ses compagnons ne le retrouvent. Néanmoins, il est évident que Jamie est à l'article de la mort.

 

Saison 3, Épisode 1 : "À chacun son combat".

 

[Extrait sur la lande de Culloden]

« — Je te le rapporte tel que tu me l’as raconté, le prévint-elle (Jenny). Tu as dit que tu avais traversé le champ de bataille en combattant comme en proie à une  folie  furieuse,  puis,  quand  tu  t’es  enfin  arrêté  pour  reprendre  ton souffle, tu étais… consterné d’être toujours en vie.

— Oui.

Avec une profonde angoisse, il sentait les souvenirs de ce jour remonter en lui. Il pleuvait et il régnait un froid mordant. Dans le feu du combat, il ne s’en était rendu compte qu’après s’être arrêté.

— Et ensuite ? C’est ce dont je ne me souviens plus.

—  Tu  t’es  retrouvé  derrière  les  lignes  ennemies.  Il  y  avait  des  canons derrière toi, pointant dans la direction opposée. Vers nos hommes.

— Oui, je pouvais les voir… Gisant morts ou agonisants, par andains.

— Des andains ?

— Ils tombaient par rangées, dit-il d’une voix lointaine et détachée. Les canons  et  les  mousquets  anglais  ont  une  portée  de…  Peu  importe.  Tous ceux  qui  se  trouvaient  au  bout  de  cette  portée  tombaient.  Certains  étaient déchiquetés ou écrasés par les boulets de canon, mais la plupart étaient tués par les mousquets. Les baïonnettes sont venues plus tard… C’est ce qu’on m’a dit, je n’ai rien vu. Que s’est-il passé ensuite ?

Elle  souffla  par  le  nez  et  il  constata  qu’elle  serrait  sa  main  autour  du rosaire, comme pour puiser de la force dans les perles.

— Tu as dit que tu ne savais pas quoi faire. Il y avait un canon non loin et ses artilleurs te tournaient le dos. Quand tu as voulu te ruer sur eux, un groupe  de  tuniques  rouges  est  apparu  devant  toi.  Quand  tu  as  essuyé  la sueur dans tes yeux, tu as reconnu Jack Randall parmi eux.

Sa main libre fit le signe des cornes puis elle serra le poing.

Il se souvint et son ventre se noua tandis que l’image qu’il voyait dans ses rêves rencontrait et fusionnait avec son souvenir.

—  Il  m’a  vu,  murmura-t-il.  Il  est  resté  pétrifié  et  moi  aussi.  Sous  le choc, je ne pouvais plus bouger.

— Et Murtagh…, dit doucement Jenny.

—  Je  l’avais  renvoyé.  Je  lui  avais  demandé  d’emmener  Fergus  et  les autres à l’abri à Lallybroch, parce que… parce que…

Il  revoyait  le  visage  fermé  de  son  parrain,  refusant  obstinément  de  le quitter.

« — Parce que tu ne pouvais pas le faire, acheva-t-elle pour lui. Pourtant, Murtagh était là, sur le champ de bataille, tu l’as dit toi-même.

— Oui, oui, c’est vrai.

Un mouvement soudain avait perturbé la scène figée devant lui. Il avait arraché son regard de Jack Randall et vu Murtagh courir…

Une fois de plus, le rêve se referma sur lui, l’englobant. Il avait froid, si froid  que  sa  voix  gelait  dans  sa  gorge,  la  pluie  et  la  sueur  plaquaient  ses vêtements  trempés  contre  son  corps  et  le  vent  glacé  pénétrait  jusque  dans ses os. Il avait essayé de crier, de prévenir Murtagh avant qu’il atteigne les soldats  anglais.  Mais  il  aurait  fallu  plus  que  des  mousquets  et  des  canons anglais  pour  arrêter  Murtagh  FitzGibbons Fraser,  et  il  avait  poursuivi  sa course,  bondissant  sur  les  monticules  en  projetant  derrière  lui  des  giclées d’eau tels des éclats de verre.

— Tu as dit que le capitaine Randall t’avait parlé…

— « Tue-moi », s’entendit-il murmurer. Il m’a demandé de le tuer.

«  C’est  ce  que  désire  mon  cœur.  »  Les  mots  tombaient  comme  des gouttes  de  plomb  dans  ses  oreilles.  Le  vent  sifflait  au-dessus  de  sa  tête, arrachant des mèches de ses cheveux hors de son lacet et les rabattant sur son visage. Pourtant, il avait bien entendu, il en était sûr, il ne l’avait pas rêvé…

Mais  son  regard  était  fixé  sur  Murtagh.  Il  y  avait  eu  un  mouvement confus, quelqu’un se ruait sur lui. Il avait aperçu la lame d’une baïonnette, trempée de pluie, de sang ou de boue. Il l’avait repoussée et il y avait eu un corps à corps, deux hommes contre lui, le frappant, essayant de l’assommer.

Un son soudain lui fit rouvrir les yeux. Il en fut désorienté, avant de se rendre compte que c’était lui qui avait crié en sentant sa jambe gauche être balayée  par  un  coup  de  pied.  Il  était  tombé  à  la  renverse  dans  un grognement d’impact, gesticulant, essayant de se relever…

—  Puis  le  capitaine  Randall  t’a  tendu  la  main,  là,  alors  que  tu  étais étendu sur le sol…

— J’avais mon poignard dans la main et je…

Il s’interrompit et interrogea sa sœur du regard.

— Je l’ai tué ? C’est ce que j’ai dit ?

Elle  le  dévisageait  attentivement,  profondément  préoccupée.  Il  fit  un geste  impatient  et  elle  lui  adressa  un  regard  de  reproche.  Non,  elle  ne  lui mentirait pas, il le savait bien.

— C’est ce que tu as dit. Encore et encore.

— J’ai dit que je l’avais tué encore et encore ? »

« — Non, que c’était chaud. Son sang. Tu répétais « Bon sang, c’était si chaud… »

«  Chaud  »,  l’espace  d’un  instant,  cela  lui  parut  absurde.  Puis  il  se souvint  :  l’obscurité  autour  de  lui,  le  contact  de  l’étoffe  mouillée  sur  son visage,  l’effort,  l’effort  surhumain  pour  lever  le  bras  une  dernière  fois, tremblant. Il revit les gouttes de pluie sur la lame, coulant sur son poignet tremblant, et  l’effort  de  pousser,  pousser,  pousser  ;  la  laine  épaisse  et râpeuse qui faisait obstacle, la résistance d’une surface dure,  Pousse, pousse bon  sang  !   puis  une  chaleur  inattendue  et  saisissante  se  répandant  sur  sa main  glacée  et  le  long  de  son  bras  engourdi  par  le  froid.  Il  se  souvenait d’avoir été désespérément soulagé par cette chaleur, mais pas d’avoir porté le coup de grâce.

— Murtagh…, dit-il. T’ai-je dit ce qui lui était arrivé ?

La chaleur qu’il avait ressentie l’avait quitté aussi soudainement qu’elle était apparue.

—  Pourquoi  n’est-il  pas  parti  comme  je  le  lui  avais  demandé,  maudit vieux bougre !

« —  Il  t’a  obéi,  répondit  Jenny  contre  toute  attente.  Il  a  conduit  les hommes aussi loin qu’il le pouvait, puis leur a dit de poursuivre leur route.

Ce sont eux qui me l’ont raconté lorsqu’ils sont rentrés à Lallybroch. Puis il est retourné à Culloden… pour toi.

— Pour moi.

Il  n’avait  plus  besoin  de  fermer  les  yeux,  il  le  voyait.  Il  le  ressentait dans  son  propre  dos,  pouvait  suivre  la  trajectoire  du  coutelas  de  Murtagh jusqu’à  ce  qu’il  s’enfonce  dans  les  reins  de  Randall.  Celui-ci  s’était effondré d’un bloc… Vraiment ? Alors pourquoi était-il debout plus tard…lorsque tous les autres étaient tombés sur eux ? 

Il était tombé à plat ventre. Quelqu’un lui avait marché sur le dos, lui avait donné un coup de pied dans la tête, un coup de crosse dans les côtes, lui  coupant  le  souffle…  Des  cris  retentissaient  dans  tous  les  coins  et  une froideur  glaçante  se  diffusait  en  lui.  Il  était  grièvement  blessé  et  ne  se rendait pas compte qu’il se vidait lentement de son sang. Il ne pensait qu’à Murtagh…  Rejoindre  Murtagh…  Il  avait « rampé.  Il  revoyait  l’eau  suinter entre ses doigts tandis qu’il agrippait des branches noires de bruyère pour se traîner.  Son  kilt  trempé  l’alourdissait,  se  prenant  entre  ses  jambes, l’entravant…

— Je l’ai trouvé, dit-il. Il était arrivé quelque chose, les soldats n’étaient plus là. Je ne sais pas combien de temps ça m’a pris, entre une respiration et l’autre, une éternité semblait s’être écoulée.

Son  parrain  gisait  à  quelques  verges  de  lui,  recroquevillé  comme  un bébé  endormi.  Mais  il  ne  dormait  pas…  et  n’était  pas  mort.  Pas  encore.

Jamie l’avait pris dans ses bras et avait vu l’horrible plaie près de sa tempe où son crâne avait été enfoncé, le sang qui coulait par giclées de l’entaille dans son cou. Il avait vu également la beauté de la lumière sur le visage de Murtagh lorsqu’il avait ouvert les yeux et avait vu Jamie qui le tenait.

— Il m’a dit que mourir ne faisait pas mal, se souvint Jamie d’une voix rauque. Il a touché mon visage et m’a dit de ne pas avoir peur.

Il se souvenait aussi du sentiment de paix qui l’avait soudain submergé.

De la légèreté. De l’exultation qu’il avait si souvent revécue en rêve. Plus rien  n’avait  d’importance.  C’était  fini.  Il  avait  penché  la  tête,  embrassé Murtagh sur les  lèvres,  posé  son  front  contre  ses  cheveux  ensanglantés  et avait remis son âme à Dieu.

Il rouvrit les yeux sans se souvenir de les avoir fermés et se tourna vers Jenny, pris d’une urgence.

— Mais… il est revenu ! Randall. Il n’était pas mort, il est revenu !

Une silhouette noire se dressant sur un ciel d’une blancheur aveuglante.

Jamie serra les poings en enfonçant ses ongles dans ses paumes.

— Il est revenu !

Jenny  se  taisait  et  ne  bougeait  pas.  Elle  le  fixait,  l’encourageant  en silence à fouiller dans sa mémoire. 

Ses membres s’étaient ramollis. Sans s’en rendre compte, il avait lâché Murtagh et s’était retrouvé allongé sur le dos. Il avait perdu toute sensation dans sa jambe, ne sentant plus que la pluie sur son visage. Il ne se souciait plus  de  la  silhouette  noire  ni  de  rien  d’autre.  La  paix  de  la  mort l’envahissait.  La  douleur  et  la  peur  l’avaient  quitté,  même  la  haine  avait disparu.

En  fermant  les  yeux,  il  avait  imaginé  la  main  de  Murtagh,  dure  et calleuse, tenant la sienne.

—  L’ai-je  tué  ?  murmura-t-il.  Oui,  je  sais  que  je  l’ai  tué…  Mais comment… ?

 Le sang. Le sang chaud.

— Le sang coulait le long de mon bras, puis je… puis je n’étais plus là.

Quand  j’ai  repris  connaissance,  mes  paupières  étaient  collées  par  le  sang séché. C’est pourquoi je me suis cru mort. Je ne voyais qu’une lueur rouge sombre. Ensuite, ne trouvant aucune blessure sur ma tête, j’ai compris que c’était  son sang qui m’aveuglait. Il était couché sur moi, sur ma jambe…

En rouvrant les yeux, il découvrit qu’il était assis par terre, se parlant à lui-même, sa main serrant fort celle de sa sœur. Elle l’observait tandis que des larmes coulaient en silence sur son visage.

Il se redressa sur ses genoux et la serra dans ses bras.

— Oh, ne pleure pas,  a leannan. C’est du passé.

—  C’est  ce  que  tu  crois,  répondit-elle  d’une  voix  étouffée  dans  sa chemise.

Elle  avait  raison,  il  le  savait.  Elle  le  tint  fermement  contre  elle  et, lentement, lentement, il revint au jour présent. »