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Par Françoise Rochet 

Illustration Gratianne Garcia  

  

Un trésor enfoui : La pomme de terre
Chez les Fraser, en Écosse et en Amérique

 

 

La pomme de terre, cultivée depuis des millénaires par les Indiens des Andes, provenait d’une tubéreuse (Solanum tuberosum) qui poussait à l’état sauvage. Elle était consommée par les tribus indiennes jusque dans le sud des États-Unis.


Au moment de la conquête espagnole, au XVIe siècle, les agriculteurs andins produisaient déjà trois mille sortes de pomme de terre différentes, en raison de la diversité des sols, des climats, de l’humidité, des altitudes… La pomme de terre était la base alimentaire de l’empire des Incas, anéanti en 1531 par Francisco Pizarro.


En Amérique du Nord, elle s’installa rapidement. Les Indiens la cultivaient. Cette plante s’adaptait à tous les climats. De la Louisiane au Canada, la pomme de terre était consommée.
De plus, les Hollandais, les Flamands, les Suédois installés dans les colonies centrales, comme New York et très grands consommateurs, la propagèrent chez tous les autres colons.


Tout au long des livres de Diana Gabaldon, nous rencontrons ce tubercule sur la table du Ridge. Le tome 9.1 est très généreux en énumération de plats à base de pommes de terre.
Et la série, nous laisse souvent entrevoir ces ragoûts et purées …


En Europe, la « patate dut s’imposer » !
« Chargé de planter des pommes de terre dans un pays où on n'en avait encore jamais vu, Ian avait procédé avec méthode et logique, et commandé à Édimbourg à la fois les tubercules et un livre sur le sujet. Quelque temps plus tard, il avait reçu le Traité scientifique sur les méthodes agricoles, de sir Walter O'Bannion, ainsi que plusieurs plants provenant d'une exploitation expérimentale irlandaise.
Ian portait le gros volume sous le bras. Jenny m'avait raconté qu'il ne se rendait jamais au champ sans lui, au cas où il lui viendrait soudain à l'esprit une question philosophique ou technique épineuse. Il sortit ses lunettes de sa besace et les chaussa. Elles avaient appartenu à son père : de vieilles besicles rondes en métal qu'il portait au bout de son nez et qui lui donnaient un air de cigogne savante. Il ouvrit son livre et lut :
– La récolte doit avoir lieu simultanément au passage des premières oies d'hiver.
Il leva le nez et scruta le ciel, semblant chercher un groupe d'oies volant en formation.
– Des oies d'hiver ? répéta Jamie en lisant par-dessus l'épaule de son beau-frère. Qu'est-ce que c'est ? Il veut peut-être parler des oies cendrées[…] » 


Le Talisman Tome 2 - Chapitre 32


Tout comme l’or des Amériques déferla sur l’Europe, la modeste pomme de terre se répandit dans le monde entier. Il lui fallut plus de temps, mais finalement, elle eut, ainsi que d’autres plantes autochtones d’Amérique, un rôle essentiel pour l’humanité.
L’historien français Fernand Braudel pose les questions suivantes au sujet de ce qu’il appelle « la plante du miracle » : 


Que serait aujourd’hui l’Irlande sans la pomme de terre ?
Que mangeraient les Russes, les Allemands, les Belges, les Polonais et les Scandinaves ?
Sans la pomme de terre, l’Union soviétique ne serait-elle devenue une grande puissance mondiale ?
L’Allemagne aurait-elle mené deux guerres mondiales ?
Quel aurait été le niveau de vie du Benelux sans la pomme de terre ?


Avant ses contacts avec l’Amérique, l’Europe dépendait essentiellement de la culture du grain : le blé, le seigle, l’orge et l’avoine. Mais ces plantes étaient des proies faciles pour le vent, la grêle, l’orage et la neige, ainsi que pour les oiseaux, les insectes et d’autres animaux.
Pendant des siècles, les pays du Nord de l’Europe souffrirent de famines périodiques. Seuls les pays du Bassin Méditerranéen se développaient où le grain poussait en abondance.
Ces pays du Nord attendaient leur heure pour agir sur la scène politique et culturelle du monde, mais elles avaient d’abord besoin d’un apport nutritif consistant.


Les Européens n’accueillirent pas avec enthousiasme cette plante. Elle fut méprisée. Exception faite du panais, des navets et des carottes, qu’ils consommaient occasionnellement, ils ne mangeaient pas de racine.
Le régime de base était constitué par les grains qu’ils pouvaient moudre puis cuire sous forme de pain, ou manger en bouillie, en porridge, tels les flocons d’avoine des Écossais et des Irlandais ou le gruau des Anglais.


« La femme d'un métayer se pencha sur le panier et inspecta son contenu. Elle saisit une pomme de terre d'un geste hésitant et la retourna entre ses doigts.
– Vous dites que ça se mange ? demanda-t-elle d'un air sceptique. Je ne vois pas comment on va pouvoir les moudre dans le moulin à bras pour en faire de la farine ou du porridge. – C'est que... on ne les moud pas, madame Murray, expliqua Jamie.
– Ah non ? Mais qu'est-ce qu'on en fait alors ?
– Eh bien...
Jamie s'interrompit, apparemment à court d'inspiration.
Je réprimai un sourire : il avait déjà mangé des pommes de terre en France, mais il n'avait jamais vu personne en préparer. Ian semblait aussi embarrassé que lui. Manifestement, sir Walter avait oublié d'écrire le chapitre sur la consommation de la pomme de terre.
Une fois de plus, Fergus vint à notre secours :
– On les rôtit, indiqua-t-il. On les met dans les braises de la cheminée, et on les mange avec du sel, ou du beurre s'il y en a.
– Voilà, c'est ça ! confirma Jamie, soulagé. » 


Le Talisman Tome 2 - Chapitre 32


Nous savons que les Espagnols et les Portugais la connaissaient après leurs conquêtes en Amérique du Sud. Elles restaient un met aristocratique, rare et cher.
Mais qu’en fut-il au Nord de l’Europe ?


Les Irlandais furent les premiers à se convertir avec enthousiasme à sa culture.
Beaucoup de légendes virent le jour afin d’expliquer l’origine de l’introduction de la pomme de terre.
Selon l’une d’entre elles, sir Walter Raleigh, le grand navigateur qui offrit la Virginie à sa souveraine Elisabeth 1ère, la rapporta des Caraïbes et l’introduisit en Irlande au XVIe siècle alors qu’il rentrait chez lui en Angleterre.


Une autre légende affirme que les paysans irlandais découvrirent la pomme de terre en 1588 dans les cuisines des bateaux naufragés de l’Armada espagnole qui avaient échoué, après l’attaque par la flotte anglaise, sur les plages.
L’époque des deux légendes semble correspondre : c’est à la fin du XVIe que les Irlandais l’adoptèrent et devint la nourriture de base de l’Irlande.
À partir de l’Irlande, et tout au long du XVIIIème, la pomme de terre se répandit en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles, traversa la mer du Nord vers les Pays-Bas puis atteignit l’Allemagne et l’est de l’Europe. En France, Antoine Parmentier eut bien du mal à la faire adopter juste avant la Révolution française.


« Je savais qu'avec le temps, la pomme de terre allait devenir un aliment incontournable du régime des Écossais, car elle était moins vulnérable aux parasites et au gel. Mais me remémorer par hasard un bref paragraphe lu dans un livre de géographie était une chose, en assumer la responsabilité auprès des gens qui allaient devoir se nourrir de ce nouveau produit en était une autre. Je me demandais si le fait de prendre des décisions qui impliquaient le destin d'autres personnes deviendrait plus facile avec le temps. Jamie le faisait constamment, gérant le domaine et ses habitants comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Mais il avait été élevé dans ce sens ; pas moi. » 


Le Talisman Tome 2 - Chapitre 31


Les paysans finalement l’aimèrent dès qu’ils y furent habitués. La consommation de grain tomba et la pomme de terre remplaça quarante pour cent de la consommation de céréales.


« Jamie et Ian avaient déjà constaté que la récolte d'orge serait moins abondante cette année, bien que suffisante pour satisfaire les besoins des habitants de Lallybroch. Mais si l'année suivante était aussi mauvaise, les maigres réserves du domaine seraient vite épuisées. Comparée aux autres fermes des Highlands, Lallybroch était prospère, ce qui donnait une idée des maigres ressources des autres exploitations. Pendant les deux années qui allaient suivre, les habitants du domaine de Broch Tuarach dépendraient de la récolte de pommes de terre. Sa réussite ou son échec déterminerait s'ils allaient manger ou non à leur faim. » 


Le Talisman Tome 2 - Chapitre 31


L’alimentation s’améliora de façon significative et la population augmenta en proportion.
Il fallut attendre la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour que la pomme de terre prenne définitivement racine dans les champs de toute l’Europe. Les paysans allaient rapidement apprendre : un champ de pommes de terre produit plus de nourriture, d’une valeur nutritive plus sûre et avec moins de travail que le même champ portant une autre culture.


« La première récolte de pommes de terre de Lallybroch aurait lieu dans quelques jours et, sur mon conseil, on creusait une petite cave à tubercules sous la maison pour les entreposer. Chaque fois que je voyais le champ de pommes de terre, j'avais un petit serrement de cœur. J'étais à la fois très fière de l'étendue de feuilles vertes qui s'étalait au-dessus des plants, et complètement affolée à l'idée que soixante familles allaient peut-être devoir survivre grâce à ces seuls légumes pendant tout l'hiver. C'était moi qui avais, l'année précédente, conseillé à Jenny de consacrer un de ses meilleurs champs d'orge à cette plante encore inconnue dans les Highlands. » 


Le Talisman Tome 2 - Chapitre 31


Un hectare planté en pommes de terre produit sept millions et demi de calories. Avec le blé, le même terrain en produit seulement quatre millions deux. La culture des pommes de terre consomme également moins d’énergie que le blé. Elle vient à maturité en trois ou quatre mois alors que le grain en réclame presque le double. Elle demande beaucoup moins d’attentions et de soins pendant sa croissance. Elle ne requière ni moulin ni aucun des traitements indispensables aux grains, qui nécessitaient un investissement important en équipement. Au contraire, elle est ramassée et consommée immédiatement ou stockée dans un sous-sol pendant presque un an avant d’être consommée.
Elle pouvait servir à la fabrication de farine. Les cuisinières pouvaient utiliser la pomme de terre dans de nombreux plats nouveaux qui remplacèrent le gruau, les pâtes et le porridge devenus rares. Elle pouvait se cuire au four, à l’eau, être rôtie, frite ou incorporée à la soupe, aux crêpes, aux beignets, aux soufflés et aux tartes.


Dès qu’elle fut acceptée par les agriculteurs européens, sa culture devint prospère.
Sous les climats nordiques, où les hivers froids sans légumes frais étaient la règle, la pomme de terre offrit une nouvelle source de vitamine C qui améliora notablement la santé des populations.
Pendant le siècle des Lumières les cultures du Nord se libérèrent de la domination économique, culturelle et politique du Sud. La puissance passa à l’Allemagne et à l’Angleterre et quitta l’Espagne et la France.
Les pommes de terre soignèrent l’Europe des famines régulières qui avaient été l’un des fléaux pesant sur les populations depuis des millénaires.


Un acre et demi suffisait pour nourrir une famille, si elle plantait des pommes de terre et complétait son alimentation avec du lait, du beurre ou du fromage.
L’amélioration de l’alimentation est principalement responsable de la croissance démographique. C’est seulement depuis un siècle que l’amélioration de la santé publique a un impact parce que la médecine a fait des progrès notables avec des répercussions sur la population.


Quelques légendes…. 


Des légendes européennes affirmèrent que la pomme de terre donnait la lèpre, à cause de sa difformité et de sa laideur. Certains orthodoxes de Russie l’appelèrent « plante du diable car elle n’était pas mentionnée dans la Bible. Même l’Encyclopédie de Denis Diderot (1765) accusait la pomme de terre de ne pas avoir de goût et de causer un excès de flatulence.
La population augmenta…


Est-ce à cause de la croyance populaire en son effet aphrodisiaque ? Cette réputation peut aussi avoir été due à la forme parfois phallique du tubercule. Sa réputation érotique augmenta à cause de sa ressemblance avec la truffe, un mets d’un prix exorbitant associé à la vie des riches et des aristocrates.
Enfin, les connaissances culinaires de Fergus sur la pomme de terre sont le fruit de la créativité littéraire de Diana Gabaldon. Chronologiquement, le Petit français ne pouvait connaître ce tubercule lorsqu’il en parle.
En effet cette scène se situe avant Culloden, donc avant 1746.
A l’époque Parmentier est un petit garçon puisqu’il naquit en 1737.
Antoine Parmentier introduisit la pomme de terre en France après la Guerre de Sept ans.
En effet, c’est au cours de cette guerre qui se déroula de 1756 à 1763 que prisonnier militaire en Prusse, Parmentier goûta la bouillie de pommes de terre et reconnut les avantages alimentaires de ce tubercule. Jusqu’à cette époque, la pomme de terre était juste bonne à nourrir le bétail en France !


https://agriculture.gouv.fr/antoine-parmentier-la-science-au-service-des-hommes 


https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_pomme_de_terre_dans_les_îles_britanniques 


Ernest Roze Payen A. & Chevalier A ; Histoire de la pomme de terre depuis son origine et son introduction en Europe ; Collection « Les Pages de l’Histoire »

Jamie et les pommes de terre