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Pour rappel, la correction se fera ainsi
En noir : le texte tel qu'il est dans la version française et validé par la traductrice
En Bleu : le texte tiré de la version originale, absent dans la version française d'origine et enfin traduit.
En blanc et rayé, le texte ajouté dans la version française d'origine ne figurant pas dans la version originale.
Outlander, tome 4, Les Tambours de l’Automne, chapitre 10, ©Diana Gabaldon
Description : Jamie et Claire arrivent à River Run et font la connaissance de Jocasta. Ils reçoivent une lettre de Ian père qui a été un petit peu écourtée en français…
Traduit par Lucie Bidouille
Corrigé par Agnès McMaille
10 Jocasta
(…)
[Jamie] décacheta la deuxième lettre et parcourut la première page.
— Je me demande si… commença-t-il.
Comme il ne finissait pas sa phrase, je vins me placer derrière son fauteuil afin de lire par-dessus son épaule. Ian Murray avait une écriture ample et ronde, lisible de loin.
« Mon cher frère,
Ici, nous allons tous bien et remercions Dieu de vous savoir arrivés sains et saufs dans les colonies d’Amérique. J’envoie cette lettre chez Jocasta Cameron, en me disant que tu passeras bien par chez elle tôt ou tard. Le cas échéant, Jenny te demande de transmettre ses amitiés à votre tante.
Comme tu as pu le constater en ouvrant cette enveloppe, tu as retrouvé les bonnes grâces de ma tendre épouse. Elle a cessé d’associer à ton nom le terme de “misérable ordure” et cela fait un certain temps que je ne l’entends plus parler d’émasculation ou d’autres sévices de ce genre, ce qui te soulagera sans doute.
Plaisanterie à part, son cœur, comme le mien, est nettement plus léger de savoir petit Ian en bonne santé. Inutile que je te répète à quel point nous te sommes redevables de veiller sur lui.
Ici, nous parvenons à nourrir tout le monde, même si cette année les champs d’orge ont été gravement endommagés par la grêle. Ce mois-ci, la grippe a emporté deux enfants du village, Annie Fraser et Alasdair Kirby. Que Dieu ait pitié de leur innocence !
Passons à des nouvelles plus joyeuses. Michael nous a écrit de Paris. Ses affaires dans les spiritueux se portent au mieux. Il songe même à prendre femme !
J’ai la joie de t’annoncer la naissance de mon dernier petit-fils : Anthony Brian Montgomery Lyle, le premier-né de Maggie et de Paul. Je laisse à Jenny le soin de te le décrire plus en détail, elle est folle de lui, comme nous tous d’ailleurs. Le mari de Maggie étant soldat, elle et le petit Anthony habitent chez nous. Paul est actuellement en France. Nous espérons qu’il y restera car on y jouit pour le moment d’une paix relative. Prions qu’on ne l’envoie pas aux colonies ou au Canada !
Cette semaine, nous avons eu des visiteurs : lord Simon Lovat et ses compagnons d’armes. Il est de nouveau en campagne, cherchant des recrues pour le régiment de Highlanders qu’il commande. Tu en auras peut-être entendu parler dans les colonies, où ils semblent s’être déjà forgé une petite réputation. Simon a la bouche pleine de récits de Highlanders s’illustrant par leur courage contre les Indiens et les Français. Certains sont peut-être fondés. »
Jamie sourit et tourna la page.
Il a captivé Henry et Matthew avec ses histoires, de même que les filles. Joséphine (« l’ainée de Kitty », me fit remarquer Jamie en aparté) était en effet si inspirée qu’elle a organisé un raid sur le poulailler, d’où elle et ses cousins sont tous sortis couverts de plumes, la boue du jardin ayant servi de peinture de guerre.
Comme tout le monde voulait jouer aux sauvages, le jeune Jamie, le mari de Kitty, Geordie, et moi-même avons été appelés à servir en tant que régiment des Highlanders, et avons dû subir des attaques au Tomahawk (cuillères et louches de cuisine) et d’autres formes d’assauts enthousiastes, essayant de nous défendre vaillamment avec nos sabres (morceaux de lattes et brindilles de saule).
J’ai mis un terme à la suggestion de mettre le feu au toit du pigeonnier avec des flèches enflammées, mais j’ai dû me soumettre à l’épreuve du scalp. Je me flatte d’avoir fini en bien meilleur état suite à cette opération que les pauvres poules.
La lettre continuait dans cette veine, donnant d’autres nouvelles des différents membres de la famille et faisant un rapport détaillé sur les affaires de la ferme et les événements survenus dans la région. L’émigration, écrivait Ian, était devenue « endémique ». Presque tous les habitants du village de Shewglie avaient décidé de tenter l’aventure.
Jamie acheva de lire la lettre et la reposa, le regard rêveur, comme s’il voyait les collines embrumées et les pierres moussues de Lallybroch.
La deuxième lettre était également signée de Ian, mais sous le cachet en cire bleue était inscrit « confidentiel ».
— Qu’est-ce que ça peut être ? murmura Jamie.
Celle-ci commençait sans salutation et constituait manifestement un appendice à la première lettre.
« Mon cher frère, je ne t’ai pas encore tout dit, mais je préfère te faire part de mes préoccupations dans un billet séparé afin que tu puisses faire lire la première lettre à Ian, sans qu’il sache ce que j’ai de particulier à te communiquer.
Dans ta dernière lettre, tu parles de nous le renvoyer en bateau depuis Charleston. Si cela est déjà fait, nous nous réjouissons de sa venue et l’attendons avec impatience. Dans le cas contraire, Jenny et moi préférerions que tu le gardes auprès de toi, si cela ne vous pèse pas trop, à toi et à Claire. »
— Si cela ne nous pèse pas trop ! bougonna Jamie.
Il leva les yeux vers la fenêtre. Ian et Rollo luttaient sur la pelouse avec deux jeunes esclaves, roulant dans l’herbe dans un tintamarre de rires et de cris.
— Mmphm… fit-il en reprenant sa lecture.
« Je t’ai déjà parlé de Simon Fraser et de la raison de sa présence parmi nous. La levée de troupes nous inquiète depuis un certain temps, même si nous sommes relativement protégés par l’éloignement et la difficulté d’accès de Lallybroch.
Lovat rencontre peu de difficultés à recruter de jeunes hommes pour l’armée du roi. Qu’est-ce qui les retiendrait ici ? Nous ne pouvons leur offrir que la misère et la honte, sans grand espoir d’amélioration. Pourquoi resteraient-ils sur leurs terres ? Ils n’ont plus rien à hériter. Ils n’ont pas le droit de porter leur plaid ni leurs armes. Pourquoi ne saisiraient-ils pas cette chance de retrouver la fierté d’être des hommes, même si cela signifie porter le tartan et l’épée sous l’étendard de l’usurpateur allemand ?
J’ai parfois l’impression que nous avons touché le fond. Le meurtre et l’injustice règnent partout sans que nous puissions nous défendre, mais le pire, c’est que nos jeunes, notre seul espoir d’avenir, nous sont à présent arrachés, et leur vie gaspillée à servir notre oppresseur, payés avec la petite monnaie de leur fierté. »
Jamie me regarda, un sourcil levé.
— On ne penserait pas, en le regardant, que Ian a tant de poésie en lui, aye ?
Ian avait fait une pause ensuite. Quand le texte reprit, vers le bas de la page, l'écriture, qui était jusqu’ici étalée en un gribouillis furieux avec de fréquentes taches et rayures, était à nouveau maîtrisée et ordonnée.
« Pardonne-moi cet accès de colère, mais à qui d’autre pourrais-je ouvrir ainsi mon cœur ? Je ne peux pas dire ma rancœur à Jenny, même si elle la perçoit dans mes pensées.
J’en viens au fait. Le petit Jamie et Michael ne sont pas en danger pour le moment… du moins, il y a peu de chances que l’un comme l’autre soient tentés par une vie de soldat.
Il n’en va pas de même pour petit Ian. Tu le connais aussi bien que moi, c’est de toi qu’il tient sa soif d’aventures. Il n’y a rien pour lui ici. Il n’a pas l’âme d’un homme de lettres ni le sens des affaires. Que deviendra-t-il dans un monde où il devra choisir entre la mendicité et la guerre ? Car c’est tout ce qu’on lui proposera.
Garde-le auprès de toi, si tu veux bien. Il aura peut-être plus de chances dans le Nouveau Monde. Et cela épargnera à sa mère la douleur de le voir s’enrôler dans le régiment de Lovat.
Je ne pourrais souhaiter à Ian un meilleur tuteur que toi. Je sais que c’est une immense faveur que je te demande. Qui sait ? Peut-être même te sera-t-il utile, au-delà du plaisir que sa conversation te procure certainement ! »
— C’est ça, ironise, pendant que tu y es ! grogna Jamie.
Il y avait une rupture dans le texte, où l’on devinait que Ian s’était arrêté, pour reprendre sa lettre un peu plus tard, avec une plume fraîchement taillée et une écriture plus calme.
« Mon frère, je continue cette lettre après avoir mûrement réfléchi à un sujet qui me pèse cruellement. J’ai saisi ma plume et l’ai reposée une douzaine de fois avant de me décider, ne sachant si je devais me taire ou non. J’ai peur de t’offenser au moment même où je te demande un si grand service. Pourtant, il faut que je te le dise.
Je t’ai parlé plus tôt de Simon Fraser. C’est un homme d’honneur, en dépit du père qu’il a eu… mais c’est aussi un homme sanguinaire. Je le connais depuis que nous sommes enfants (cela semble hier, n’est-ce pas ?), mais il a changé. Il y a maintenant chez lui une dureté, un éclat d’acier dans le fond de ses yeux, qui n’y était pas avant Culloden. Ce qui me trouble le plus (si j’ose te le dire à présent, c’est parce que je sais que tu ne douteras pas de la sincérité de mon affection), c’est que j’ai déjà vu cette même lueur briller dans tes yeux, mon frère.
Je ne connais que trop bien les spectacles capables de geler le cœur d’un homme et de durcir son regard à ce point. Pardonne ma franchise, mais j’ai craint pour ton âme de nombreuses fois depuis Culloden.
Je n’en ai jamais parlé à Jenny, mais elle l’a remarqué, elle aussi. C’est une femme, et elle te connaît mieux que je ne pourrai jamais te connaître. C’est cette peur qui l’a incitée à pousser Laoghaire dans tes bras. Je n’avais pas beaucoup d’espoir en cette union mais… (ici, un pâté délibéré masquait plusieurs lignes)… tu as beaucoup plus de chance avec Claire. »
— Mmphm… fit Jamie en me lançant un regard ironique.
Je posai la main sur son épaule et me penchai un peu plus pour lire la suite.
« Il est tard et je m’égare. Revenons à Simon… Le soin avec lequel il veille sur ses hommes est désormais son unique lien avec l’humanité. Il n’a ni femme ni enfant. Il vit sans racines ni maison, son patrimoine étant tombé sous la coupe de l’oppresseur qu’il sert. Il y a un feu qui couve en cet homme, mais pas de cœur. J’espère ne jamais dire la même chose de toi, ni de petit Ian.
Aussi, je vous confie l’un à l’autre. Que Dieu vous accompagne en tout.
Ecris-nous dès que tu le pourras, nous sommes avides de vos nouvelles. Parle-nous encore de ce pays étrange où vous êtes.
Ton frère très affectionné,
Ian Murray. »
Jamie replia lentement la lettre et la rangea dans la poche intérieure de sa veste.
— Mmphm… fit-il encore.
- Fin du chapitre -