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Outlander, tome 4, Les Tambours de l'Automne, chapitre 47, ©Diana Gabaldon
Description : Brianna est installée à Fraser's Ridge depuis peu. Elle vient de confier à Claire qu'elle
avait été violée par Stephen Bonnet. Il s'agit maintenant d'en informer Jamie
Traduit par Marie Modica
Corrigé par Céline Indignada
47
Le chant du père
II faisait nuit depuis longtemps quand Jamie rentra enfin. L'attente m'avait mise sur les nerfs et je n'osais imaginer dans quel état se trouvait Brianna. Nous avions dîné ou, plutôt, nous étions déjà passées à table. Nous n'avions d'appétit ni l'une ni l'autre, que ce soit pour la nourriture ou la conversation. Même la voracité habituelle de Lizzie semblait tarie. J'espérais qu'elle n'était pas malade. Pâle et silencieuse, elle avait prétexté une migraine et s'était retirée dans sa remise. Cela dit, vu les circonstances je n'en étais pas fâchée, cela m'évitait de chercher une excuse pour l'éloigner quand Jamie serait de retour.
Les chandelles étaient allumées depuis plus d'une heure quand j'entendis enfin les chèvres nous annoncer son arrivée. Aussitôt Brianna redressa la tête, affolée son visage était pâle sous cette lumière jaune.
« Ne t'inquiète pas, tout se passera bien, » la rassurai-je. Mon ton confiant parut l'apaiser. Si mon assurance était sincère, elle était assez nuancée. Je ne doutais pas que tout finirait bien... au bout du compte. Mais je savais aussi que nous avions une charmante soirée familiale en perspective ! Aussi bien que je connaissais Jamie, il y avait encore un grand nombre de circonstances dans lesquelles je ne savais pas comment il réagirait – et apprendre que sa fille avait été mise enceinte par un violeur était certainement l'une de celles-ci.
Aussi depuis que Brianna avait confirmé mes soupçons, j'avais envisagé toutes les réactions possibles et imaginables de Jamie à l'annonce du viol et de la grossesse de sa fille. Ces dernières allaient des cris aux coups de poing contre des surfaces dures, comportement que j'avais toujours trouvé déroutant. Pour ne rien arranger, je connaissais assez bien ma fille et n'ignorais pas ce dont elle était capable quand elle était énervée.
Pour le moment, elle se contrôlait plutôt bien. Mais ce n'était qu'un équilibre précaire. Qu'il dise quelque chose qui la blesse et elle s'enflammerait comme une allumette ! Au-delà des cheveux roux et d'une taille remarquable, elle avait hérité de Jamie à la fois une nature passionnée et une sérieuse propension à dire le fond de sa pensée.
Si peu familiers mais désireux de se plaire l'un à l'autre, ils avaient jusqu'ici avancé à petit pas – mais il ne semblait pas y avoir de moyen délicat de gérer cela. Ignorant si j'allais devoir jouer le rôle d'avocate, d'interprète ou d'arbitre, ce ne fut pas sans une certaine appréhension que je
soulevai le loquet pour le laisser entrer.
Il s'était lavé dans le ruisseau. Ses cheveux étaient encore mouillés, et sa chemise, avec laquelle il avait dû se sécher, portait des taches d'humidité. Je me haussai sur la pointe des pieds pour l'embrasser.
« Tu rentres bien tard, où étais-tu passé ? » demandai-je. « Et où est Ian ? »
« Fergus nous a demandé un coup de main pour monter les pierres de sa cheminée comme il ne peut pas très bien se débrouiller tout seul. Ian y est encore pour aider à terminer. Il passera la nuit chez eux. » Il déposa un baiser distrait sur mon front et fit une petite tape sur mes fesses. Il avait travaillé dur, pensai-je. Il était chaud au toucher et avait l'odeur âcre de la sueur, même si la peau de son visage était rafraîchie par ses ablutions.
« Est-ce que Marsali t'a donné à souper ? » Je l'observai, intriguée dans la pénombre. Il avait quelque chose de différent, ce soir mais je ne trouvais pas ce que c'était.
« Non. Je me suis laissé tomber une pierre sur la main et je crois que je me suis encore cassé ce fichu un doigt. J'ai préféré rentrer pour que tu l'examines. » C'était ça, pensai-je ; il m'avait tapotée avec sa main gauche au lieu de sa droite.
« Viens à la lumière, que je voie. » Il s'assit près de la cheminée. Je l'attirai vers le feu et le fis asseoir sur l'une des banquettes en chêne. Brianna reposa sa couture et s'approcha se tenait sur l'autre, sa couture étalée devant elle. Elle se leva et vint regarder par-dessus mon épaule.
« Oh, Pa’ ! qu'as-tu fait à tes mains ? » Il avait les articulations enflées et la peau à vif.
« Oh ce n'est rien, » dit-il, en y jetant un regard dédaigneux « Sauf ce foutu doigt... Aïe ! »
Je palpai délicatement son index annulaire droit qui de la base jusqu'à l'ongle, sans tenir compte de son petit grognement de douleur. Il était salement amoché rouge et légèrement enflé mais ne semblait pas luxé.
Cela me troublait toujours un peu d'examiner cette main. J'y avais réparé un certain nombre de fractures il y a longtemps, avant de connaître quoi que ce soit de la chirurgie formelle et j'avais travaillé dans des conditions loin d'être idéales. J'avais réussi ; j'avais sauvé sa main de l'amputation, et il s'en servait bien, mais il y avait de petites gênes ; de légères torsions et des épaississements dont j'étais consciente chaque fois que je la sentais de près. Pourtant, à cet instant, je bénis l'opportunité d'un retardement.
Je fermai les yeux, sentant le scintillement chaud du feu sur mes paupières alors que je me concentrais. L'annulaire était toujours raide ; l'articulation du milieu avait été écrasée et était restée coincée en guérissant. Je pouvais voir l'os dans mon esprit ; pas la surface sèche et polie d'un spécimen de laboratoire, mais la lueur mate faiblement lumineuse d'un os vivant, tous les minuscules ostéoblastes déposant activement leur matrice cristalline et l'impulsion cachée du sang qui les nourrissait.
Une fois de plus, je fis descendre mon propre doigt sur la longueur du sien, puis je le pris doucement entre mon pouce et mon index, juste en dessous de l'articulation distale. Je pouvais sentir la fissure dans mon esprit, une fine ligne sombre de douleur.
« Là ? » questionnai-je en ouvrant les yeux.
Il hocha la tête, il avait un léger sourire aux lèvres alors qu'il me regardait.
« Exactement là. J'aime bien te regarder l'air que tu as quand tu fais ça, Sassenach. »
« Et j'ai quel air ? » lui demandai-je, un peu surprise d'entendre que je regardais d'une manière ou d'une autre en particulier.
« Je ne peux pas le décrire exactement » Il inclina la tête, songeur dit-il en inclinant la tête comme
s'il m'examinait. Tu me fais penser à... C'est peut-être comme... »
« Mme Lazonga et sa boule de cristal, » acheva Brianna en riant.
Levant les yeux, je la vis fus abasourdie de la voir qui m'observait, penchant la tête exactement comme son père penchait la tête comme son père et, comme lui, m'observait avec un regard évaluateur. Elle reporta son regard sur Jamie. « Une diseuse de bonne aventure, » lui expliqua-t-elle. « Une voyante. »
Il se mit à rire à son tour.
« Oui, je pense que tu as peut-être raison, a nighean. En fait, je pensais plutôt à un prêtre pendant la messe. Tu sais, quand il regarde l'hostie et voit le corps du Christ. Non pas que je compare mon doigt avec le corps de Notre-Seigneur, » ajouta-t-il, avec un signe de tête modeste vers son doigt fâcheux.
Brianna rit, et un sourire courba sa bouche d'un côté alors qu'il la regardait, ses yeux doux marqués pourtant par des lignes de fatigue. Il avait eu une longue journée, pensai-je. Et elle n'était certainement pas terminée. J'aurais donné n'importe quoi pour retenir ce moment fugace de connexion entre eux, mais c'était déjà passé.
« Je pense que vous n'êtes que deux idiots, » déclarai-je. Je lui touchai le doigt, juste sous la deuxième phalange. « L'os est fêlé, ici, » expliquai-je, juste en dessous de l'articulation. « Ce n'est pas trop grave mais je ferais mieux de te poser une attelle au cas où. »
Je partis fouiller dans mon coffre de remèdes, en quête d'un bandage en lin et des bâtonnets plats qui me servaient d'abaisse-langue. Cachée derrière le couvercle levé, j'observai Jamie. Il avait quelque chose de bizarre ce soir même si je ne pouvais toujours pas mettre le doigt dessus.
Je l'avais senti dès le début, malgré ma propre agitation, et je l'avais senti encore plus fortement quand je lui avais tenu la main pour l'examiner. Je sentais Une sorte d'énergie étrange le parcourir parcourait, comme s'il était troublé excité ou fâché, bien qu'il n'en ait donné aucun signe extérieur. Il était vraiment doué pour cacher des choses quand il le voulait. Que s'était-il donc passé chez Fergus ?
Brianna dit quelque chose à Jamie, trop bas pour que je puisse le comprendre, puis se détourna sans attendre de réponse et vint me rejoindre près du coffre ouvert.
« As-tu de la pommade pour ses mains ? » demanda-t-elle. Puis, se penchant tout près sous prétexte de regarder dans le coffre, dit à voix basse : « Dois-je lui dire ce soir ? Il est fatigué et blessé. Ne ferais-je pas mieux de le laisser se reposer ? »
Je jetai un coup d'œil à Jamie. Il était adossé contre la banquette, les yeux grands ouverts alors qu'il regardait les flammes, les mains posées à plat sur ses cuisses. Il n’était pas détendu, cependant ; quel que soit le courant étrange qui le traversait, il le faisait pendre comme un fil télégraphique.
« Il se reposera peut-être mieux sans le savoir, mais toi non, » dis-je, tout aussi bas. « Vas-y et dis-lui. Mais tu pourrais le laisser manger en premier, » ajoutai-je pratiquement. Je croyais fermement au bien-fondé de recevoir de mauvaises nouvelles l'estomac plein.
Je lui bandai le doigt de Jamie avec une attelle pendant que Brianna, assise à côté de lui passait un onguent à la gentiane sur les écorchures de son autre main. Elle montrait un visage assez calme et personne n'aurait jamais deviné ce qui se passait à l'intérieur.
« Tu as déchiré ta chemise, » remarquai-je en terminant le dernier bandage avec un petit nœud carré. « Donne-la-moi après le dîner et je te la raccommoderai. Comment ça va, maintenant ? »
« Très bien, madame Lazonga, dit-il en examinant sa main éclissée en remuant avec précaution son doigt fraîchement éclissé. Si vous continuez à me dorloter comme ça, je vais finir par me ramollir.
« Tant que je ne me mets pas à mâcher ta nourriture, tu n'as pas à t'inquiéter. Quand je me mettrai à mâcher ta nourriture, tu pourras t'inquiéter, » lui dis-je aigrement.
Il rit et tendit la main attelée à Bree pour recevoir de l'onguent.
Je m'éloignai J'allai au placard pour lui sortir une assiette et réchauffer son dîner, les laissant tous les deux assis près du feu, Brianna s'attaquant à sa main bandée. En me retournant vers le foyer, je vis qu'il la regardait attentivement. Elle gardait la tête penchée, les yeux sur la grande main calleuse qu'elle tenait entre les siennes. Je la voyais recherchant les mots par lesquels elle commencerait, et mon cœur avait mal pour elle. Peut-être aurais-je dû lui en parler en privé moi-même, pensai-je ; ne pas le laisser s'approcher d'elle jusqu'à ce que la première vague de sentiments soit passée en toute sécurité et qu'il ait retrouvé le contrôle de lui-même.
« Ciamar a tha tu, mo chridhe ? » lui demanda-t-il soudain. Brianna sursauta. C'était sa salutation habituelle pour elle, son introduction habituelle au cours de gaélique mais sa voix était différente ce soir ; douce et très tendre. "Comment vas-tu, ma chérie ?" Il retourna sa main pour couvrir celle de Brianna, enveloppant ses longs doigts.
Normalement, la leçon ne commençait qu'après le dîner. « Tha mi gle mhath, athair. » répondit-elle, l'air un peu surprise (Je vais bien, mon père.) Il retourna sa main et recouvrit la sienne, caressant ses longs doigts. Il posa sa main libre sur le ventre de sa fille avant de demander à nouveau. Normalement, il commençait la leçon après le dîner.
Lentement, il tendit son autre main et la posa doucement sur le ventre de sa fille.
« An e'n fhirinn a th'agad ? demanda-t-il (Tu me dis la vérité ?) Je poussai un soupir de soulagement. Je fermai les yeux et laissai échapper un souffle que j'avais retenu sans m'en rendre compte. Finalement, nous n'aurions pas besoin de lui annoncer la nouvelle. À présent, je comprenais son étrange tension. Il savait et, bien que cela dût lui coûter, il se maîtriserait et la traiterait avec tendresse.
Elle ne connaissait pas encore assez le gaélique pour dire ce qu’il avait demandé, mais elle en savait assez bien le sens. Brianna le fixa un moment, immobile puis souleva la main valide qu'elle tenait dans la sienne et la posa sur sa joue, baissant la tête, ses cheveux lâches lui cachant le visage.
« Oh, Pa’ ! » murmura-t-elle. « Je suis désolée. »
Elle resta immobile, tenant sa main comme si c'était une bouée de sauvetage.
« Allez, m'annsachd, répondit-il doucement. Tout ira bien. »
« Non, ce ne sera pas le cas, dit-elle, d'une voix faible mais claire. rien ne sera plus jamais comme avant. Tu le sais bien. »
Il passa un bras autour de son épaule et la serra contre lui. Il me regarda par habitude, mais seulement brièvement. Je ne pouvais pas lui dire quoi faire maintenant. Il inspira profondément, la prit par l'épaule et la secoua tendrement.
« Tout ce que je sais, répondit-il doucement, c'est que je suis là près de toi, ta mère aussi. Nous ne laisserons jamais personne te déshonorer ou te faire du mal. Jamais. Tu m'entends ? »
Elle ne répondit pas, gardant les yeux baissés, son épaisse chevelure retombant devant son visage. Les cheveux d'une jeune fille, épais et non liés. Sa main traça la courbe brillante de sa tête, puis ses doigts glissèrent le long de sa mâchoire et soulevèrent son menton pour que ses yeux regardent dans les siens.
« Lizzie a dit vrai ? demanda-t-il gentiment. C'était un viol ? »
Elle redressa le menton, évitant son regard, et hocha la tête. Elle écarta son menton et baissa les yeux sur ses mains croisées, ce geste valait autant un aveu que son hochement de tête.
« J'ignorais qu'elle était au courant. Je ne lui ai rien dit. »
« Elle a deviné. Brianna, ce n'est pas ta faute. Tu ne dois jamais penser que tu es responsable de ce qui t'est arrivé. » dit-il fermement « Viens ici, a leannan. » Il la souleva et l'assit maladroitement sur ses genoux.
Le tabouret de chêne crissa de façon alarmante sous leur poids mais Jamie l'avait construit à sa manière robuste habituelle ; il aurait pu en soutenir six. En dépit de sa taille, Brianna paraissait une petite fille dans les bras de son père, sa tête appuyée dans le creux de son épaule. Il lui caressa les cheveux, lui murmurant des paroles réconfortantes, tantôt en gaélique, tantôt en anglais. pour moitié en gaélique.
« Je veillerai à ce que tu aies un bon mari et que ton enfant ait un bon père. lui murmura-t-il Je te le jure, a nighean. »
« Je ne peux me marier avec personne, » dit-elle d'une voix étranglée. « Ce ne serait pas juste. Je ne peux pas accepter quelqu'un d'autre que Roger, car c'est lui que j'aime. Mais maintenant, il ne voudra plus de moi. Quand il saura... »
« Cela n'aura pas d'importance pour lui. » dit Jamie, la serrant plus fort, presque férocement, comme s'il pouvait arranger les choses par la pure force de la volonté. « Si c'est un honnête homme, il ne fera aucune différence. Si ça en fait une, alors c'est qu'il ne te mérite pas. Dans ce cas, je lui casserai la figure et le réduirai en miettes, puis j'irai te chercher un mari digne de toi homme meilleur. »
Elle émit un petit rire qui se transforma en sanglot et enfouit le visage dans son épaule. Il la tint contre lui, se balançant doucement tout en lui tapotant le dos, Il me lança un regard et cligna des yeux. comme si elle était une petite fille avec un genou écorché, et ses yeux rencontrèrent les miens au-dessus de sa tête.
Je n’avais pas pleuré quand elle me l'avait dit ; les mères sont fortes. Mais maintenant, elle ne pouvait plus me voir, et Jamie avait momentanément pris le fardeau d'être forte de mes épaules.
Elle n’avait pas pleuré non plus quand elle me l'avait dit. Mais maintenant elle s'accrochait à lui et pleurait, autant de soulagement, pensai-je, que de chagrin. Il la tenait simplement et la laissait pleurer, caressant ses cheveux encore et encore, son regard tourné vers moi.
J'essuyai mes yeux sur ma manche et il me sourit, faiblement. Brianna s'était calmée en poussant de longs soupirs, et il lui tapota doucement le dos.
« Sassenach, j'ai faim ! » lança-t-il. « En outre, je crois qu'un petit verre nous fera du bien à tous. »
J'essuyai mes yeux remplis de larmes et « C'est vrai, » dis-je et je m'éclaircis la gorge. « Je vais aller chercher du lait dans la remise. »
« Ce n'est pas à ce genre de boisson que je pensais ! » me répliqua-t-il, faussement indigné.
J'ignorai leurs rires étouffés et sortis de la cabane.
La nuit dehors était froide et lumineuse, les étoiles d'automne brillaient au-dessus de ma tête. Je n’étais pas habillée pour être à l’extérieur - mon visage et mes mains commençaient déjà à picoter
- mais je restai tout de même immobile, laissant le vent froid me balayer, emportant avec lui la tension du dernier quart d’heure.
Tout était calme ; les grillons et les cigales étaient morts depuis longtemps ou s'étaient enfouis dans la clandestinité avec les souris bruissantes, les mouffettes et les opossums qui abandonnaient leur recherche interminable de nourriture et allaient rêver leurs rêves d'hiver, la riche graisse de leurs efforts gardant leurs os bien au chaud. Seuls les loups chassaient dans les nuits froides et étoilées de la fin de l'automne, et ils se taisaient, leurs pattes de fourrure avançant sur le sol gelé.
« Qu'allons-nous faire ? » dis-je doucement, adressant la question aux profondeurs accablantes du sombre et vaste ciel au-dessus de ma tête.
Je n'entendis aucun son mais le souffle du vent dans les pins ; pas de réponse, sauf la forme de ma propre question - le faible écho du « nous » qui résonnait à mes oreilles. Il y avait au moins ça de vrai ; quoi qu'il arrive, aucun de nous n'a besoin de faire face seul aux choses. Et je supposai que c'était après tout la réponse dont j'avais besoin, pour l'instant.
Ils étaient toujours sur le banc quand je rentrai, leurs têtes rousses réunies, auréolées par le feu. L'odeur de la pommade à la gentiane se mêlait à l'odeur piquante du pin dans l'âtre et à l'arôme alléchant du ragoût de chevreuil - tout à coup, j'eus faim.
Je laissai la porte se refermer doucement derrière moi et fis glisser le lourd verrou. Je m'approchai pour attiser le feu et préparer un nouveau souper. Je pris une miche de pain fraîche sur l'étagère, puis je me rendis au garde-manger pour chercher du beurre doux dans son pot. Je restai un moment là, jetant un œil sur les étagères chargées.
« Mettez votre confiance en Dieu et priez pour être guidée. Et en cas de doute, mangez. » Un père franciscain m'avait donné un jour ce conseil et, dans l'ensemble, je l'avais trouvé utile. Je choisis un pot de confiture de cassis, un petit fromage de chèvre rond et une bouteille de cordial de fleur de sureau, pour accompagner le repas.
Jamie parlait tranquillement quand je revins. Je terminai mes préparatifs, laissant le son profond de sa voix m'apaiser, ainsi que Brianna.
« J’avais l'habitude de penser à toi, quand tu étais petite », disait-il à Bree, d'une voix très douce. « Quand je vivais dans la grotte, j'imaginais que je te tenais dans mes bras, petit bébé. Je te tenais ainsi, contre mon cœur, et je chantais pour toi, en regardant les étoiles passer au-dessus de ma tête. »
« Que me chantais-tu ?» La voix de Brianna était basse aussi, à peine audible au-dessus du crépitement du feu. Je pouvais voir sa main, posée sur son épaule. Son index toucha une longue mèche brillante des cheveux de son père, éprouvant sa douceur d'une caresse.
« De vieilles chansons. Des berceuses dont je me souvenais, que ma mère me chantait, les mêmes que ma sœur Jenny chantait à ses petits. »
Elle poussa un long et lent soupir. « Chante pour moi maintenant, s'il te plaît, Da. »
Il hésita, puis pencha la tête vers la sienne et se mit à chanter doucement, une étrange chanson sans ton en gaélique. Jamie n'avait pas d'oreille ; la chanson oscillait étrangement de haut en bas, sans ressemblance avec la musique, mais le rythme des paroles était un réconfort pour l'oreille.
Je saisis la plupart des mots ; une chanson de pêcheur, nommant les poissons du loch et de la mer, disant à son enfant ce qu’il lui rapporterait à la maison pour le nourrir. Un chant de chasseur, nommant des oiseaux et des bêtes de proie, des plumes pour la beauté et des fourrures pour la chaleur, de la viande pour tenir l'hiver. C'était la chanson d'un père - une douce litanie de providence et de protection.
Je me déplaçais tranquillement dans la pièce, déposant les assiettes en étain et les bols en bois pour le souper, revenant couper le pain et le tartiner de beurre.
« Tu sais quoi, Da ? demanda doucement Bree.
« Quoi donc ? » dit-il, interrompant momentanément sa chanson.
« Tu ne sais pas chanter. »
Il y eut une douce exhalation de rire et un bruissement de tissu alors qu'il se déplaçait pour les mettre tous les deux plus à l'aise.
« Oui, c’est vrai. Dois-je arrêter, alors ? »
« Non. » Elle se blottit plus près, repliant sa tête dans la courbe de son épaule. Il reprit son chant sans voix, pour s'interrompre quelques instants plus tard.
« Et toi, tu sais quoi, a leannan ?» Elle avait les yeux fermés, ses cils projetant des ombres profondes sur ses joues, mais je vis ses lèvres se courber en un sourire.
« Quoi donc, Da ? »
« Tu pèses autant qu'une biche adulte. »
« Dois-je descendre, alors ? » demanda-t-elle sans bouger.
« Bien sûr que non. »
Elle tendit la main et toucha sa joue.
« Mi gradhaich a thu, athair, » murmura-t-elle. Mon amour pour toi, Père.
Il la serra fort contre lui, pencha la tête et l'embrassa sur le front. Le feu atteignit un nœud du bois qui s'enflamma soudainement dans l'âtre, leur teintant le visage d'or et de noir. Les traits de Jamie étaient durs et audacieux ; les siens, un écho plus délicat de son ossature lourde et bien taillée. Tous les deux têtus, tous les deux forts. Et, Dieu merci, tous les deux à moi.
Brianna s'endormit peu après le dîner, épuisée par l'émotion. Je me sentais plutôt vidée moi-même, mais je n'étais encore trop énervée pour me coucher. Aussi, quand Jamie me demanda si je voulais l'accompagner pour une petite promenade, j'acceptai aussitôt. Nous marchâmes un long moment en silence dans l'obscurité, traversant le champ de maïs coupé, longeant la lisière de la forêt puis rebroussant chemin. pas du tout d'humeur à dormir. J'étais à la fois épuisée et nerveuse, avec cette horrible sensation de champ de bataille, d'être au milieu d'événements au-delà de ma capacité de contrôle, mais qui doivent être traités de toute façon.
Je ne voulais rien faire. Ce que je voulais, c'était repousser toute pensée à la fois présente et future, et revenir à la paix de la nuit précédente.
Je voulais me mettre au lit avec Jamie et m'allonger au chaud contre lui, nous deux scellés en sécurité sous les couettes contre le froid grandissant de la pièce. Regarder les braises s'éteindre progressivement pendant que nous parlions doucement, la conversation passant du bavardage et des petites blagues du jour au langage de la nuit. Laisser notre discours passer des mots au toucher, de la respiration aux petits mouvements du corps qui étaient en eux-mêmes questions et réponses et que l'achèvement de notre conversation fasse place enfin au silence dans l'unité du sommeil.
Mais il y avait des problèmes dans la maison ce soir, et il n'y avait pas de paix entre nous.
Il parcourait la maison comme un loup en cage, ramassant des choses et les déposant. Je rangeai les affaires du dîner, le regardant du coin de l’œil. Je ne voulais rien de plus que lui parler - et en même temps, je le redoutais. J'avais promis à Bree de ne pas lui parler de Bonnet. Mais j'étais assez mauvaise menteuse quelles que soient les circonstances - et il connaissait si bien mon visage.
Je remplis un seau de l'eau chaude du grand chaudron et je sortis avec les assiettes en étain pour les rincer.
Je revins pour trouver Jamie debout près de la petite étagère où il gardait son encrier, ses plumes et son papier. Il ne s’était pas déshabillé pour se coucher, mais il ne faisait aucun mouvement pour
le faire et commencer le travail habituel du soir. Mais bien sûr, il ne pouvait pas écrire, avec sa main endommagée.
« Veux-tu que j'écrive quelque chose pour toi ? » lui demandai-je en le voyant prendre une plume et la reposer.
Il se détourna d'un geste agacé.
« Non. Je dois bien sûr écrire à Jenny - et il y a d'autres choses à faire - mais je ne supporte pas de m'asseoir et de réfléchir là maintenant. »
« Je sais ce que tu ressens. » dis-je avec sympathie. Il me regarda, un peu surpris.
« Je ne peux pas vraiment dire ce que je ressens moi-même, Sassenach. » dit-il avec un rire bizarre.
« Si tu penses le savoir, dis-le-moi. »
« Fatigué. » dis-je, et je posai une main sur son bras. « En colère. Préoccupé. » Je jetai un coup d'œil à Brianna, endormie dans le lit gigogne. « Le cœur brisé, peut-être. » ajoutai-je doucement.
« Tout ça. » dit-il. « Et bien plus encore. » Il ne portait rien de serré à la gorge, mais pinça le col de sa chemise, comme si cela l'étouffait.
« Je ne peux pas rester ici. » dit-il. Il me regarda ; je portais encore mes vêtements de jour ; jupe, chemise et corsage. « Veux-tu sortir et marcher un peu avec moi ? »
J'allai aussitôt chercher mon manteau. Il faisait sombre dehors ; il ne pourrait pas regarder mon visage.
Nous marchâmes lentement ensemble, passant la porte et longeâmes les cabanons, jusqu'à l'enclos et le champ au-delà. Je tenais son bras, le sentant tendu et raide sous mes doigts.
Je n'avais aucune idée de comment commencer, quoi dire. Peut-être devrais-je simplement me taire, pensai-je. Nous étions tous les deux toujours bouleversés, même si nous avions fait de notre mieux pour être calmes pour Brianna.
Je pouvais sentir la rage bouillonner sous sa peau. Très compréhensible, mais la colère est aussi volatile que le kérosène - embouteillée sous pression, sans cible sur laquelle la déchaîner. Un mot imprudent de ma part pourrait suffire à déclencher une explosion. Et s'il explosait sur moi, je risquais de pleurer ou de lui sauter à la gorge - ma propre humeur n'était pas du tout stable.
Nous marchâmes pendant assez longtemps, entre les arbres jusqu'au champ de maïs coupé, là nous en fîmes le tour puis revînmes en arrière, avançant toujours d'un pas feutré à travers un champ de mines de silence.
« Jamie, » dis-je enfin, alors que nous atteignions le bord du champ, « qu'est-il arrivé à ta main qu'as-tu fait à tes mains ? »
« Quoi ? » sursauta-t-il.
« Tes mains. » J'en attrapai une et la tins entre les miennes. « On ne se fait pas ce genre de blessure en empilant des pierres de cheminée. » Il hésita un instant.
« Ah. » Il resta immobile, me laissant toucher les jointures enflées de sa main.
« Brianna... dit-il, « Elle... elle t'a parlé de l'homme qui lui a fait ça ? Est-ce qu'elle t'a dit son nom ? »
J'hésitai - et j'étais perdue. Il me connaissait très bien.
« Elle te l'a dit, n'est-ce pas ? » Sa voix était pleine de colère.
« Jamie, elle m'a fait promettre de ne pas te le répéter, » lâchai-je. « Je lui ai pourtant expliqué que tu devinerais tout de suite si je te cachais quelque chose, mais... j'ai promis. S'il te plaît, ne me force pas à la trahir ! »
Il renifla de nouveau, avec un dégoût à moitié amusé.
« Tu as raison Oui, je te connais bien, Sassenach ; tu es incapable de cacher un secret à quelqu'un qui te connaît un tant soit peu. Même petit Ian peut lire tes pensées comme dans un livre. »
Il agita une main en signe de renvoi.
« Je ne veux pas troubler ta conscience. Elle me le dira elle-même quand elle se sentira prête. Je peux attendre. » Sa main meurtrie se recroquevilla lentement contre son kilt, et un petit frisson me parcourut le dos.
« Tes mains », répétai-je.
Il prit une profonde inspiration et les tendit devant lui, fléchissant les articulations présentant leur dos, il fléchit lentement les articulations.
« Tu te souviens de l'époque où nous nous sommes rencontrés, Sassenach ? Dougal me provoquait sans cesse sans que je puisse me défendre. Tu m'as dit : 'Frappe quelque chose, tu te sentiras mieux.' » Il me fit un demi sourire ironique. C'est ce que j'ai fait. J'ai donné des coups de poing dans un tronc d'arbre. Ça m'a fait un mal de chien mais... tu avais raison, ça va mieux je me suis senti mieux, du moins pour un moment. »
« Oh. » Je libérai ma respiration, Je fus soulagée qu'il n'ait pas l'intention de nous tirer les vers du nez me pousser dans mes retranchements. Qu'il attende ! Il ne se rendait probablement pas compte que sa fille était aussi têtue que lui.
« Elle … elle t'a raconté comment ça s'est passé ? Je veux dire... » Il retint son souffle avec un sifflement profond. « Il lui a fait mal ? » Je ne pouvais voir son visage dans le noir, mais l'hésitation dans sa voix était perceptible.
« Non, pas physiquement. »
J'hésitai à mon tour. J'avais l'impression de sentir le poids de l'alliance dans ma poche pourtant c'était impossible, bien sûr. Brianna m'avait demandé de lui cacher le nom de Bonnet, et je ne tenais pas à entrer dans les détails. De toute manière, il ne voudrait sûrement pas les connaître.
Il se contenta de marmonner des paroles inintelligibles en gaélique, puis il reprit sa marche, tête baissée.
Maintenant que le silence avait été rompu, je ne pouvais plus me taire. Mieux vaut exploser que suffoquer. J'enlevai ma main de son bras.
« À quoi penses-tu ? »
« Je me demandais... est-ce aussi terrible d'être violé … d'être violé... quand c'est... ce n'est pas... quand... il n'y a pas de dégâts physiques ? » Il remua les épaules avec agitation, les haussant à moitié comme si son manteau était trop serré.
Je savais très bien qu'il pensait à la prison de Wentworth et aux cicatrices estompées qui striaient son dos, tel un réseau de souvenirs horribles.
« Ce doit être affreux, mais tu as raison, c'est sans doute moins dur à supporter quand il n'y a pas de cicatrices qui rappellent sans cesse ce qu'on a subi. Mais, en l'occurrence, il lui reste une trace physique, et non des moindres ! » Je me sentis obligée d'ajouter « Et sacrément perceptible, en fait ! » A son côté, son poing gauche se serra dans un geste involontaire.
« Tu peux le dire ! » murmura-t-il. Il me regarda avec incertitude, la lumière de la demi-lune dorait
les traits de son visage. « Toutefois, s'il ne lui a pas fait mal, c'est toujours ça. Autrement... la mort serait encore trop douce pour ce salaud » conclut-il brusquement.
« Tu oublies un tout petit détail. On ne se 'remet' pas vraiment d'une grossesse. » dis-je avec une pointe marquée dans ma voix. « S'il lui avait brisé les os ou s'il avait fait couler son sang, elle pourrait guérir. Mais à présent, elle ne pourra jamais l'oublier. »
« Je sais ! »
Le ton de sa voix me fit tiquer et il le sentit. Il esquissa un geste d'excuse.
« Pardon, je ne voulais pas crier. »
Je lui fis un bref signe de tête d'acquiescement et Nous continuâmes à marcher côte à côte, mais sans nous toucher en silence un moment, puis il reprit.
« Ça… » commença-t-il, puis il s'interrompit en me regardant. Il grimaça, impatient avec lui-même.
« Je sais ce que c'est. » dit-il plus calmement. « Tu m'excuseras, Sassenach, mais j'en connais un peu sacrément plus sur la question que toi. »
« Je ne voudrais pas te contrarier, mais tu n'as pas mis un enfant au monde. Tu ne peux pas savoir ce que c'est. C'est... »
« Si, tu me contraries, Sassenach ! Arrête ça ! » Il me serra le bras puis le lâcha. Il y avait une note d'humour dans sa voix mais il était on ne peut plus sérieux.
« J'essaie de t'expliquer ce que je sais. » reprit-il. Il resta immobile une minute, le temps de se ressaisir.
« J'ai beau faire, je ne pourrai jamais oublier Jack Randall. Je n'ai pas pensé à Jack Randall depuis un bon moment » dit-il enfin. « Je ne veux pas le faire maintenant. Mais c'est là. » Il haussa de nouveau les épaules et se passa une main sur une joue.
Il parlait lentement, ordonnant ses idées avec ses mots : « Il y a le corps, Sassenach, et puis il y a l'esprit. Tu es médecin, tu connais bien le premier. Mais pour moi, le second est le plus important. » J'ouvris la bouche pour répliquer que j'en étais aussi consciente que lui puis me ravisai. Il ne le remarqua pas ; il ne voyait pas le champ de maïs sombre ou le bois d’érable aux feuilles argentées sous le clair de lune. Ses yeux étaient fixés sur une petite pièce aux épais murs de pierre, meublée d'une table, de tabourets et d'une lampe. Et d’un lit.
« Randall - la plupart des choses qu'il m'a fait subir, j'aurais pu les supporter, » poursuivit-il d'une voix songeuse. Il étendit les doigts de sa main droite ; la blancheur du bandage brillait sur son doigt fêlé.
« J'aurais eu peur, j'aurais eu mal, j'aurais eu envie de le tuer, mais j'aurais pu aussi continuer à vivre sans toujours sentir ses mains sur mon corps, sans me sentir souillé. Mais il ne pouvait pas se satisfaire de mon corps. Il lui fallait mon âme aussi... et il l'a eue. Il étendit sa main bandée devant lui, formant une tache blanche dans la nuit. Le bandage blanc disparut quand il referma son poing.
« Mais bon, tu sais tout ça » Il se détourna brusquement et se mit à marcher. Je dus me dépêcher pour le rattraper.
« Ce que j'essaie de dire, c'est que... si cet homme n'était qu'un inconnu qui ne l'a prise que pour un moment de plaisir... s'il n'en voulait qu'à son corps... alors je pense qu'elle guérira. »
Il prit une profonde inspiration et la relâcha ; je vis une légère brume blanche entourer sa tête pendant un moment, comme si la vapeur de sa colère était rendue visible.
« Mais s'il la connaissait, s'il était assez proche pour la vouloir, elle, plutôt que n'importe quelle
autre femme, alors il a peut-être blessé son âme et lui a fait un mal difficilement réparable. »
« Parce que tu crois qu'il ne lui a pas vraiment fait de mal ? » dis-je en haussant la voix malgré moi. « Qu'il l'ait connue auparavant ou pas... »
« C'est différent, je peux te le dire ! »
« Non ! C'est la même chose. Je comprends ce que tu veux dire mais... »
« Tu ne comprends pas ! »
« Si ! Mais pourquoi... »
« Parce que ce n'est pas ton corps qui compte quand je te prends ! » dit-il « Tu le sais très bien, Sassenach ! »
Il pivota sur place et m'embrassa brutalement, me prenant complètement par surprise, il écrasant mes lèvres contre mes dents puis il prit toute ma bouche avec la sienne, à moitié mordante, exigeante.
Je savais qu'il attendait de moi la chose que j'attendais désespérément de lui : d'être rassuré. Mais ce soir-là, ni lui ni moi n'en étions capables.
Ses doigts s'enfoncèrent dans mes épaules, glissèrent vers le haut et saisirent mon cou. Les poils de mes bras se redressèrent alors qu'il me pressait contre lui - puis il s'arrêta.
« Je ne peux pas. » dit-il. Il me serra fort le cou, puis me lâcha. Son souffle était irrégulier. « Je ne peux pas. »
Il recula et se détourna de moi, cherchant la clôture devant lui comme s'il était aveugle. Il agrippa le bois à deux mains et resta là, les yeux fermés.
Je tremblais, mes jambes devenaient liquides. J'enroulai mes bras autour de moi sous ma cape et m'assis à ses pieds. Et j'attendis, mon cœur battant douloureusement fort dans mes oreilles. Le vent nocturne se déplaçait entre les arbres sur la crête, murmurant à travers les pins. Quelque part, loin dans les collines sombres, une panthère cria, ressemblant à une femme.
« Ce n’est pas que je ne veux pas de toi. » dit-il enfin, et j’entendis le léger bruissement de son manteau alors qu’il se tournait vers moi. Il resta un moment debout, la tête baissée, ses cheveux noués luisant au clair de lune, le visage caché par l'obscurité, avec la lune derrière lui. Enfin, il se pencha et prit ma main dans sa main meurtrie, me remettant debout.
« Je te veux peut-être plus que jamais. » dit-il doucement. « Seigneur ! J'ai besoin de toi, Claire. Mais je ne peux même pas me considérer comme un homme pour le moment. Je ne peux pas te toucher et penser à ce qu'il… Je ne peux pas. »
Je touchai son bras.
« Je comprends » dis-je, et c'était le cas. J'étais contente qu'il n'ait pas demandé les détails ; j'aurais aimé ne pas les connaître. Comment serait-ce de faire l'amour avec lui, en imaginant tout le temps un acte identique dans ses mouvements, mais totalement différent dans son essence ?
« Je comprends, Jamie » répétai-je.
Il ouvrit les yeux et me regarda.
« Tu comprends, n'est-ce pas ? Et c'est ce que je veux dire. » Il prit mon bras et m'attira près de lui.
« Tu pourrais m'écarteler Claire, sans me toucher. » murmura-t-il, « Car tu me connais. » Ses doigts touchèrent le côté de mon visage. Ils étaient froids et raides. « Et je pourrais te faire de même. »
« Tu pourrais. » dis-je, me sentant un peu faible. « Mais j'aimerais vraiment que tu ne le fasses pas. »
Il sourit un peu de mes derniers mots, se pencha et m'embrassa, très doucement. Nous nous tenions ensemble, touchant à peine nos lèvres, respirant le souffle de l’autre.
« Oui. » nous nous sommes dit en silence. « Oui, je suis toujours là. » Ce n'était pas du sauvetage, mais au moins une minuscule bouée de sauvetage, tendue à travers le golfe qui s'étendait entre nous. Je savais ce qu'il voulait dire, à propos de la différence entre les dommages au corps ou à l'âme ; ce que je ne pouvais pas lui expliquer, c’était le lien entre deux personnes formé dans le sein maternel. Je reculai enfin, et levai la tête pour le regarder.
« Bree est forte, » dis-je enfin. « Comme toi. »
« Comme moi ? » Il eut un petit grognement. « Alors, que Dieu lui vienne en aide ! »
Il poussa un soupir et reprit sa marche, longeant l'enclos. Je le suivis, hâtant le pas pour le rattraper.
« Cet homme dont elle parle, reprit-il quelques instants plus tard... ce Roger... il l'épaulera ? » demanda-t-il brusquement. Je pris une profonde inspiration et la laissai sortir lentement, ne sachant pas comment répondre. Je n'avais connu Roger que pendant quelques mois. Je l'aimais bien. En fait je l'aimais beaucoup. D'après le peu que j'avais vu de lui, il me paraissait un jeune homme parfaitement honnête et sincère... mais comment savoir ce qu'il penserait, ferait ou ressentirait en découvrant que Brianna avait été violée ? Pire encore, qu'elle portait pourrait bien porter l'enfant de son violeur ?
Le meilleur des hommes pouvait se révéler très lâche devant une telle situation. Au cours de mes années en tant que médecin, j'avais vu des couples bien établis succomber à des problèmes moins graves. Parmi ceux qui avaient résisté, beaucoup étaient restés meurtris par la méfiance.
Malgré moi, je pressai ma main contre ma poche, sentant l'anneau d'or. « De F. à C. pour la vie avec amour. Toujours »
« Et toi ? » demandai-je. « Comment réagirais-tu si c'était moi ? »
Il me lança un regard surpris, ouvrit la bouche, la referma, me dévisagea d'un air troublé.
« J'allais dire : 'Bien sûr que je resterais à ton côté !', dit-il enfin lentement. Mais je t'ai promis d'être toujours sincère, non ?
« Oui. » dis-je, et je sentis mon cœur sombrer sous son fardeau coupable. Comment pouvais-je le forcer à l'honnêteté alors que je ne pouvais pas la lui rendre ? Et pourtant il avait demandé. Il frappa le poteau d'un coup léger avec son poing.
« Ifrinn ! » jura-t-il. « Oui, bon Dieu, je resterais ! Toi, tu serais toujours à moi, même si l'enfant ne l'était pas. Et si tu... Oui, je le ferais. » répéta-t-il fermement. « je te prendrais, toi et l'enfant, et que le monde entier aille au diable ! »
« Mais ensuite... ? » demandai-je « Tu crois que tu n'y penserais pas, chaque fois que tu te glisserais dans mon lit ? Que tu ne verrais pas le visage du père chaque fois que tu regarderais l'enfant ? Que tu ne me le jetterais jamais au visage ou que tu ne le laisserais pas se mettre entre nous ? »
Il allait rétorquer quelque chose, quand il comprit soudain ce dont je voulais parler. mais referma la bouche sans parler. Puis je vis un changement se faire sur ses traits, le choc soudain d’une réalisation qui le rendait mal à l’aise.
« Seigneur ! » Dit-il. « C'est à Frank que tu penses, pas à moi ! Frank. Pas moi. C'est de Frank dont tu parles. »
J'acquiesçai et il me saisit les épaules.
« Que t'a-t-il fait ? » me demanda-t-il. « Quoi ? Dis-le-moi, Claire ! »
« Il m'a soutenue. » dis-je, d'une voix qui me parut étranglée même à mes propres oreilles. « J'ai tout fait pour qu'il parte, mais il est resté. Puis, quand l'enfant est venue le bébé... Brianna est arrivée... il l'a aimée comme si elle était sa propre fille, Jamie. Il n’était pas sûr, il ne pensait pas pouvoir le faire - moi non plus - mais il l’a vraiment fait. Je suis désolée » ajoutai-je.
Il prit une profonde inspiration et lâcha mes épaules.
« Ne sois pas désolée pour ça, Sassenach. » dit-il d'un ton bourru. « Jamais. » Il passa une main sur son visage et j'entendis le léger frottement de son chaume du soir.
Et toi, comment t'a-t-il traitée ? Sassenach ? Ce que tu as dit... quand il venait dans ton lit. Pensait-il… » Il s'interrompit brusquement, laissant toutes les questions en suspens entre nous, non exprimées, mais posées néanmoins.
« C'était ma faute. « C'était peut-être moi - ma faute, je veux dire. » dis-je enfin, dans le silence.
« C'est que... je ne pouvais pas oublier. Si seulement j'avais pu, tout cela aurait été différent. » J'aurais dû m'arrêter là, mais je ne pouvais pas ; les mots qui avaient été endigués toute la soirée se précipitèrent dans une inondation.
« Cela aurait été plus facile ... mieux... pour lui si j'avais été violée ça avait été un viol. C'est ce que lui ont dit les médecins, tu sais, que j'avais été maltraitée, violée et que le traumatisme me faisait délirer. C'est ce que tout le monde pensait, mais je continuais à lui répéter que non, ça ne s'était pas passé comme ça. J'insistais pour lui dire la vérité et, au bout du compte, il a fini par me croire au moins en partie. C'était là tout le problème : non pas que j'avais eu un enfant d'un autre homme, mais que je t'aimais... et que je ne pouvais pas cesser de t'aimer t'avais aimé. Et que je n'arrêterais pas. Je ne pouvais pas, ajoutai-je d'un ton plus doux. Frank était meilleur que moi. Il a eu le courage de tirer un trait sur le passé, au moins pour l'amour de Bree. Mais pour moi... » Les mots moururent dans ma gorge et je m'interrompis.
« Et alors tu as vécu vingt ans auprès d'un homme qui ne pouvait pas te pardonner pour ce qui
n'était pas ta faute n'a jamais été ta faute ? C'est moi qui t'ai fait ça, n'est-ce pas ? » dit-il.
« Pardonne-moi Je suis désolé aussi, Sassenach. »
Je laissai échapper un sanglot étranglé.
« Tu m'as dit un jour que tu pouvais m'écarteler sans même me toucher, » répondis-je doucement.
« Tu avais raison, bon sang. »
« Pardonne-moi. » répéta-t-il dans un murmure, mais cette fois, il m'attira à lui et me serra fort contre lui.
« Te pardonner quoi ? demandai-je. Le fait que je t'aime ? Ne le regrette pas, je t'en prie. » dis-je, ma voix à moitié étouffée dans sa chemise. « Jamais. »
Il ne répondit pas mais pencha la tête et appuya la joue sur le sommet de mon crâne mes cheveux.
Tout était calme. J'entendais les battements de son cœur dans le bruit du vent à travers les arbres.
Ma peau était froide ; les larmes sur mes joues se refroidissaient instantanément.
Enfin, je laissai tomber mes bras autour de lui et me reculai.
« Nous ferions mieux de rentrer, » dit-il soudain. Il est tard. dis-je en essayant d'avoir un ton normal. « Il se fait terriblement tard. »
« Oui, je suppose que oui. » Jamie m'offrit son bras et je le pris. nous reprîmes notre route Dans
un silence plus facile, nous passâmes sur le chemin menant au bord de la gorge au-dessus du ruisseau. Il faisait frais et des cristaux de givre étincelaient sur les rochers éclairés par la lune. Mais le courant était loin d'être gelé. Le gargouillis du ruisseau emplissait la nuit, habitant le silence.
Au moment où nous contournions la porcherie, Jamie reprit la parole : « Oui, eh bien... J'espère que Roger Wakefield saura se montrer plus à la hauteur que nous deux, Frank et moi. » Il me regarda. « Il a intérêt, ou il aura affaire à moi ! »
Je me mis à rire malgré moi.
« Voilà qui arrangera la situation, j'en suis sûre ! »
Il émit un petit ricanement Nous ne dîmes plus rien jusqu'à ce que nous parvenions au sentier qui menait à la porte de la cabane. Là, je l'arrêtai. et reprit le chemin. Arrivés en bas de la colline, nous tournâmes sans parler, et revînmes en direction de la maison. Juste avant le chemin qui menait à la porte, je l'arrêtai.
« Jamie » hésitai-je. « Tu crois que je t'aime ? »
Il tourna la tête vers moi et me dévisagea longuement avant de répondre. La lune brillait sur son visage, soulignant ses traits comme s'ils avaient été ciselés dans le marbre.
« Si ce n'est pas le cas, Sassenach, » dit-il enfin « tu choisis vraiment mal ton moment pour me l'annoncer. »
Je laissai échapper mon souffle dans le fantôme d'un rire.
« Non, ce n’est pas ce que je veux dire. » l’assurai-je. « Mais… » Ma gorge se serra et j'avalai à la hâte, ayant besoin de faire sortir les mots.
« Je... je ne te le dis pas souvent. C’est peut-être seulement que je n’ai pas été élevée pour dire de telles choses ; j'ai passé toute mon enfance auprès de mon oncle. Il était affectueux, bien sûr, mais... nous ne fréquentions pratiquement pas de couples mariés... je vivais avec mon oncle, et il était affectueux, mais pas… eh bien, je ne savais pas comment les gens mariés… »
Il posa deux doigts sur mes lèvres. Je pris une grande inspiration.
Il posa légèrement sa main sur ma bouche, un léger sourire touchant ses lèvres. Au bout d'un moment, il la retira.
Je pris une profonde inspiration pour stabiliser ma voix.
« Écoute, insistai-je ce que je veux dire, c'est que... si je ne le dis pas, comment sais-tu que je t'aime ? »
Il resta immobile, me regardant, puis hocha la tête en signe d'acquiescement.
« Je le sais parce que tu es ici, Sassenach. » dit-il avec calme. « C’est bien ce que tu veux dire, non ? Si ce Roger l'a suivie jusqu'ici, c'est qu'il l'aime vraiment, n'est-ce pas ? Qu'il est venu la chercher - ce Roger. Et alors peut-être qu'il l'aimera assez ? »
« Ce n’est pas une chose que tu ferais juste par amitié. »
Il acquiesça à nouveau, mais j'hésitai, voulant lui en dire plus pour lui faire comprendre ce que cela voulait dire. Cela ne me suffisait pas. Je tenais vraiment à ce qu'il comprenne.
« Je ne t'en ai jamais beaucoup parlé parce que... il n'existe pas de mots pour le décrire. Mais il y a une chose que je peux te dire, Jamie. » Je frissonnai involontairement, et ce n'était pas à cause du froid. « Tous ceux qui traversent le menhir ne ressortent pas de l'autre côté. »
Il tressaillit.
« Comment le sais-tu, Sassenach ? »
« Parce que je les ai entendus. J'ai entendu leurs hurlements je peux... j'ai pu... les entendre. Ils hurlaient. »
Je tremblais carrément, tant en raison du froid qu'à cause du souvenir. Il prit mes mains dans les siennes et m'attira à lui. Le vent d'automne agitait les branches des saules près du ruisseau, un son comme des os secs et nus. Il me tint contre lui jusqu'à ce que les frissons passent, puis me libéra.
« Il fait froid, Sassenach. Rentrons. » Il se tourna vers la maison mais je posai ma main sur son épaule pour l'arrêter à nouveau.
« Jamie ? »
« Oui ? »
« Devrais-je... voudrais-tu... Tu veux... tu as besoin que je te le dise ? »
Il se retourna et baissa les yeux vers moi. Avec la lumière derrière lui, il était auréolé du clair de lune, mais ses traits étaient à nouveau dans la pénombre.
« Non, je n'en ai pas besoin. » Sa voix était douce. « Mais je n'y vois aucun inconvénient si tu veux le faire. Dis-le-moi de temps en temps. Pas trop souvent quand même, je ne voudrais pas gâcher ce plaisir. » Je souris. Je pouvais entendre le sourire dans sa voix, et je ne pouvais pas m'empêcher de sourire en retour, qu'il puisse le voir ou non.
« Mais une fois de temps en temps ne serait pas un luxe, n'est-ce pas ? »
« Non. »
Je m'approchai de lui et posai les mains sur ses épaules.
« Je t'aime. »
Il me regarda longuement.
« J'en suis heureux, Claire. » dit-il doucement, et il toucha mon visage. « Très heureux. Viens te coucher maintenant, je vais te réchauffer. »
Pour rappel, la correction se fera ainsi
En noir : le texte tel qu'il est dans la version française et validé par la traductrice
En Bleu : le texte tiré de la version originale, absent dans la version française d'origine et enfin traduit.
En blanc et rayé, le texte ajouté dans la version française d'origine ne figurant pas dans la version originale.