Pour terminer, dans l’épisode 9 saison 1, lorsque Jamie explique ne plus autant souffrir à l’idée de ne peut-être plus jamais retourner à Lallybroch depuis que Claire est à ses côtés, il lui déclare ‘you’re my home now’(maintenant c'est toi mon foyer). Quelle merveille ! Du moment qu’ils sont ensemble, il est protégé, entier, heureux. Car finalement, au-delà des pierres, des briques, du ciment, des charpentes, et peu importe l’endroit, le seul vrai point d’ancrage n’est-il pas celui où se trouve l’être aimé, celui où est notre cœur ?
Ainsi, l’arrivée en Amérique après un périple cauchemardesque et l’arrivée prochaine du petit Germain sont l’occasion pour la famille Fraser de se poser vraiment. Et c’est là que Fraser’s Ridge prend tout son sens : s’installer, construire ensemble, partager, recréer une communauté comme à Lallybroch, lui donner son propre nom. C’est en effet Jamie qui, comme son père en Ecosse, construit à son tour sa propre maison à la sueur de son front. Comme à Lallybroch, il veut y réunir tous les êtres aimés et s’entourer d’autres familles travaillant sur ses terres. Jamie y redevient le propriétaire terrien qu’il était là-bas. Dans l’épisode 6 saison 4 il précise à Willie avec fierté ‘Fraser’s Ridge is mine’ (Fraser's Ridge est à moi, j'en suis le propriétaire). Et puis, bien sûr, Fraser’s Ridge est un lieu coup-de-foudre, choisi ensemble avec Claire, construit ensemble pour y vivre enfin ensemble. Jamie porte Claire dans ses bras pour en franchir le seuil comme s’il portait sa jeune femme tout juste épousée dans la grande tradition alors qu’ils sont un couple mûr, faisant ainsi disparaître en un instant toutes ses années perdues loin de l’autre. Et Claire le regarde, admirative et tendre, si reconnaissante et heureuse des belles perspectives qui s’offrent à eux désormais. Son commentaire ‘it’s perfect’ résume tout cela.
En comparaison, River Run, la magnifique plantation de Jocasta Cameron est quant à elle symboliquement ambigüe. En effet, elle est une maison accueillante pour Jamie et Claire à leur arrivée, puis pour Brianna pendant l’absence de ses parents, mais elle incarne aussi la réussite financière d’une classe sociale qui profite du système esclavagiste, véritable institution pas encore remise en question. Ainsi, malgré sa splendeur, Claire ne s’y sentira jamais à l’aise et Jamie refusera de devenir le successeur de sa tante aux commandes du domaine. Il manque à River Run ce supplément d’âme qui transforme ‘a house’ en ‘home’.
Enfin, la notion de ‘home’ s’exprime aussi parfois tout simplement au travers de l’amour que l’on se porte les uns les autres. Le personnage de Fergus incarne cette idée : lui, l’enfant sans attaches que Jamie recueille à Paris et qu’il élèvera et aimera avec Claire comme leur propre fils, de la France à l’Ecosse et de l’Ecosse à l’Amérique. C’est bien plus qu’un foyer que Fergus a trouvé, plus encore que la promesse de ‘always have a home with you’ (d'avoir toujours une place à vos côtés)(épisode 8 saison 2), c’est l’amour d’une famille, son ‘home’ est là où elle se trouve.
Mais Claire semble n’avoir trouvé là qu’une ‘house’, à part le bonheur d’y élever sa fille Claire n’y aura connu que des frustrations intimes, des rancœurs et, en fait, une immense solitude. Cette maison n’aura été ‘home’ que pour Franck sans doute et Brianna qui y grandit.
Quant à la somptueuse maison du Jared, riche négociant en vins à Paris, elle abritera principalement parmi les moments les plus douloureux de leur vie de couple ainsi que toutes sortes de manigances et trahisons. Elle est elle aussi un lieu transitoire avant un retour nécessaire et salvateur en Ecosse.
Ainsi, avant même d’entrer dans ce lieu emblématique, nous en connaissions l’importance. Une importance telle que Jamie fait façonner l’alliance de Claire à partir de sa clé de Lallybroch et attendait pour le lui révéler qu’elle s’y sente autant chez elle que lui :’so you’d know the place is as much yours as mine’ (de sorte que tu saches que cet endroit est autant le tien que le mien) (épisode 9 saison1). Cette bague n’est donc pas seulement pour Jamie le symbole de son union avec Claire et de tout l’amour qu’il lui porte, mais aussi la volonté que Claire fasse désormais partie non seulement de sa vie intime mais aussi de son histoire familiale et qu’elle y prenne elle-même racine.
Après cet ancrage si facile et salutaire à Lallybroch, on conçoit aisément que Claire soit désorientée à son arrivée dans sa maison de Boston (épisode 1 saison 3). Après la perte inguérissable de l’amour de sa vie, elle doit se construire une nouvelle vie qu’elle n’a pas choisie et faire sienne une nouvelle maison. Celle-ci nous apparaît d’abord symboliquement vide, presque trop grande. Progressivement elle se meuble, se décore, se remplit des objets du quotidien - mais jamais un seul bouquet dans un vase- et si on y regarde bien, surtout des affaires de Franck dont le bureau occupe une place centrale. Cette nouvelle maison semble être davantage la sienne, maison dans laquelle il espère faire oublier à Claire les années passées auprès de Jamie, repartir de zéro avec la naissance du bébé qui approche.
Bien sûr Lallybroch n’est pas la seule demeure importante de la série, on peut citer Castle Leoch, la maison du cousin Jared à Paris ou encore la maison des Randall à Boston. Mais à Leoch, par exemple, Claire n’est pas chez elle, mais une sassenach, une étrangère, au mieux, considérée comme une invitée, au pire comme une espionne pour les Anglais. Jamie lui-même ne s’y sent pas chez lui, n’y restant que parce que sa tête est prise à prix et que c’est le lieu le plus sûr car il y est protégé par son oncle Colum, chef du clan Mackenzie. Jamie est conscient que cette situation est temporaire et son souhait maintes fois exprimé est de pouvoir retourner vivre chez lui à Lallybroch.
Le retour de Claire à Lallybroch en 1968 y est déchirant, tous ses souvenirs des jours heureux refaisant surface. Lallybroch désormais en ruines et abandonné apparaît comme un paradis perdu. Cependant, les recherches qu’elle entreprend au service des archives lui apprennent que la maison est restée, grâce à la saisine rédigée par Jamie juste avant Culloden, propriété de la famille Fraser pendant de nombreuses générations. C’est une consolation évidente pour Claire et nous savons, en poursuivant la lecture bien au-delà du tome 5 que Lallybroch reprendra vie grâce à Roger et Brianna au 20ème siècle.
Ainsi Lallybroch est indéniablement l’habitation qui dans Outlander conjugue le mieux l’idée de ‘house’ et de ‘home’ : ‘house’ en tant que bel édifice construit pierre par pierre par Brian Fraser et transmis de génération en génération, mais aussi ‘home’, le foyer accueillant, rassurant, lieu privilégié de la vie familiale.
L’épisode 12 de la saison 1 est un écho magnifique à ce souhait lorsque Lord et Lady Broch Tuarach reçoivent leurs métayers à Lallybroch et que Claire se voit offrir un vase rempli de fleurs des champs. Elle y pose un regard tellement reconnaissant, un regard de plénitude qu’elle pose ensuite sur Jamie à ses côtés : elle a enfin son vase, enfin elle a trouvé une vraie maison, ‘a home’, un havre de paix et d’amour.
C’est d’ailleurs dans ce même épisode qu’elle avoue pour la première fois son amour à Jamie après avoir exprimé qu’elle se sentait là chez elle : ‘I’m beginning to feel like I actually belong here’ (je commence à prendre mes marques, je sens que ma place est ici) Lallybroch sera toujours le symbole du repère, du foyer bienveillant où on peut venir panser ses plaies. C’est là que Jamie est envoyé après Culloden pour guérir auprès de Jenny et Ian, c’est là qu’après la perte cruelle de leur fille Faith à Paris, Claire et Jamie reviendront et où la paisible routine de la vie familiale ‘worked like a tonic on our battered souls’ (a agi comme un fortifiant sur nos âmes éprouvées) (épisode 8 saison 2).
Ainsi, devant une vitrine à Inverness s’émeut-elle avec nostalgie de n’avoir jamais possédé ne serait-ce qu’un simple vase, réalisant soudain qu’elle n’avait jamais : ‘owned a vase, I’d never lived in any place long enough to justify having such a simple thing, and how at that moment I wanted nothing so much in all the world than to have a vase of my very own’ (je réalisais que je n'avais jamais possédé un vase, que je n'avais jamais vécu dans n'importe quel endroit assez longtemps pour justifier l'acquisition d'une chose aussi simple, et à ce moment précis je ne voulais rien de plus au monde que d'avoir un vase rien qu'à moi).
Dès le premier épisode de la saison 1, Claire nous apprend son enfance itinérante auprès de son oncle archéologue, her ’unusual upbringing’ (l'éducation peu courante qu'elle a reçue), comme l’évoque plus tard Geillis Duncan (épisode 3 saison1). En effet, Claire ne semble pas avoir eu de port d’attache, voyageant de par le monde.
Nous la découvrons juste après la fin de Seconde Guerre Mondiale où elle était infirmière sur le Front, en Écosse pour un deuxième voyage de noces avec son mari retrouvé, et l’envie pour la première fois de sa vie de se poser quelque part, d’avoir enfin une maison à elle.
Vous me pardonnerez, l’usage de ce mot anglais et de tous les autres qui apparaîtront dans cet article, d’autant plus facilement je l’espère quand vous en saisirez toute la richesse par rapport au français – c’est l’angliciste que je suis qui parle !
Qui lit ‘home’ pense tout de suite à ‘maison’ évidemment, mais il s’agit davantage du foyer que de la construction elle-même, c’est le sein même de la vie familiale, c’est un lieu protecteur de confort rassurant. Or, dans le langage courant, le français ne fait pas de distinction entre : "je rentre à la maison", "j’ai passé le week-end à la maison" et "j’ai construit ma maison tout seul", alors qu’en anglais ‘I’m going home’, ‘I spent the week end at home’ s’opposent à ‘I built my house on my own’. Dans ce dernier cas ‘house’ peut d’ailleurs être remplacé par des termes vagues comme ‘place’ (endroit, lieu).
Ainsi, dans l’épisode 13 de la saison 2, Jamie rappelle que son père a construit Lallybroch de ses propres mains : ‘my father, he built this place (…) his blood and sweat are in this stone’ (mon père a construit cet endroit, son sang et sa sueur sont dans cette pierre) . Il insiste ici sur son courage et la valeur de cet héritage familial. Par contre, après leurs retrouvailles, Claire déclare à Jamie ‘I want us to build a home together’ (je veux qu'on se fasse notre propre maison), parlant ici de leur intimité retrouvée, du besoin d’enfin partager un même toit, un lieu calme et sûr où abriter leur amour.
Vous l’aurez donc compris, les notions de ‘home ‘ et ‘house’ sont certes intimement liées mais s’opposent aussi parfois. Mais, assez de sémantique et intéressons-nous à ce qui me paraît être un des fils conducteurs dans Outlander : ‘home’ ou la quête d’un foyer.
Haut de page
Autres textes qui pourraient vous plaire