Point tant d’hésitation avec la version originale : Dragonfly in amber, la libellule dans l’ambre, le cadeau offert par Hugh Monro, l’ami supplicié, à Claire en l’honneur de son mariage avec Jamie. Cette libellule fait l’objet d’une apparition fugace dans l’épisode, au musée commémoratif de Culloden, parmi les objets personnels retrouvés sur le champ de bataille. Pour ceux qui ont la mémoire qui flanche, Claire le laisse à Jamie comme porte-bonheur devant le cercle de pierres, juste avant de repartir en 1948.
Porte-bonheur ? Vraiment ? Les vingt années à venir ne seront pas heureuses, mais au moins, Jamie est en vie. Titre prophétique cependant, et à double entrée, que la traduction, dans un sens comme dans l’autre, ne rend pas ; le talisman, la libellule dans l’ambre, protège notre Highlander de la mort certaine qui l’attend et à laquelle il aspire, permettant ainsi aux amoureux de se retrouver dans l’épisode 6 de la saison 3 (A. Malcolm).
Plus je regarde et regarde cet épisode, je suis frappée par ses déclinaisons des couleurs de la terre. Marron, brun, vert, orange, toutes les couleurs de la fin des années 60, qui m’évoquent irrésistiblement la rousseur, les couleurs de l’Écosse. Mais quoi ? Pas les couleurs vives, brillantes des jours heureux de la saison 1, mais des couleurs ternes, éteintes, tristes.
La couleur état d’âme ? Trench beige, robe marron, foulard vert… Claire trimballe sa tristesse de place en place. Seule Geillis éclate de couleurs : jeune, collants rouges, cheveux roux, elle contraste durement avec Claire, vieillissante, qui semble éteinte. Et subrepticement, ces couleurs m’évoquent aussi l’automne. A l’automne de sa vie (Claire a 50 ans), rongée par la perte de Jamie, Claire se fond dans le décor : la lande boueuse de Culloden, la façade en ruines de Lallybroch, c’est le deuil de Claire.
Et surtout, LA révélation ? Jamie a survécu !
Fin de la saison 2. Que de perspectives ! Et les couleurs ultimes de l’épisode : Claire, éblouie par le soleil levant sur Craigh na Dun, enfin lumineuse, les yeux levés au ciel enfin dégagé d’Écosse d’annoncer qu’elle doit retourner auprès de lui : « He survived ! He survived ! I have to go back… »
Générique.
1746, Culloden Moor. Jamie et Claire savent que tout est perdu. Colum est mort, Claire s’étiole, l’armée est épuisée… et l’issue connue. Errance dans le camp, errance des sentiments, errance de la raison qui les conduit à envisager le meurtre de Bonnie Prince Charlie et à commettre celui de Dougal, errance sur la lande jusqu’aux pierres, urgence de s’aimer une dernière fois avant la déroute dans un dernier sursaut désespéré. Je dois avouer qu’à ce moment-ci que mon cœur de midinette a tendance à fondre.
« Je te retrouverai, murmura-t-il à mon oreille. Je te le promets. Si je dois endurer deux siècles de purgatoire, deux siècles sans toi, c’est que tel est le prix que je dois payer pour mes crimes. J’ai menti, j’ai tué, j’ai volé, j’ai trahi, j’ai manqué à ma parole. Mais lorsque je me tiendrai devant Dieu, j’aurai un argument pour la défense : « Le seigneur m’a donné une femme d’exception, et je l’ai aimée de tout mon être ». (Tome 2, Le Talisman, p.897).
Peut-être la clé pour ce fantôme de l’épisode 1 ? Du souvenir que poursuit Claire dans l’épisode 13 ? Des âmes qui errent dans le temps, et aspirent à se rejoindre.
Circulez, il n’y a rien à voir ? Jamie meurt, Claire retourne dans son temps, et rêve de son amour perdu. Les enjeux de Culloden, c’est que justement les personnages se séparent ; Claire ne peut savoir que Jamie a survécu, Jamie ne peut qu’espérer qu’elle soit en vie, mais aucun moyen à leur disposition pour se le faire savoir. Au-delà des enjeux historiques à proprement parler, puisqu’on ne peut pas réécrire l’Histoire, c’est toute l’histoire d’Outlander qui se joue à Culloden.
L’entrelacs du temps
Cet épisode est déstabilisant ; sur un site de fans, j’ai lu une question qui m’a interpellée : comment Claire peut-elle être dans deux temps à la fois ? Ma nature moqueuse prenant le dessus, j’avoue avoir esquissé un rictus. Pourtant, et en y réfléchissant bien, au-delà de cette question somme toute assez naïve et au-delà de l’incompréhension de la structure de l’épisode qu’elle montre, elle est loin d’être stupide. D’abord, parce que le temps, c’est la problématique de la série ! Enfin, le voyage dans le temps…
L’analyse du « temps » dans l’épisode montre qu’il n’est pas un continuum régulier et linéaire mais que l’alternance des époques vient à la fois briser et enrichir notre compréhension. Le présent de Claire n’est pas un repère stable, les limites entre les différentes époques semblent confondues et troublées car il n’a d’autre objet que la quête du passé. Plongée dans les souvenirs, recherche d’identité, amour de la nation s’entremêlent autour de cette notion essentielle, car nous ne sommes que parce nous avons été. Le temps (sa fuite, sa permanence, sa recherche) est alors un enjeu et un paramètre essentiel de l’épisode: il est l’un des sujets.
Tout d’abord, l’épisode fait alterner subtilement les événements de 1746 et ceux de 1948. La narration du séjour de Claire et Brianna chez Roger s’étale sur plusieurs jours, alors que celle des événements survenus avant la bataille de Culloden dure à peine plus de deux heures ; chaque « moment » est d’ailleurs précédé d’un compte à rebours.
A Inverness, le scénario fait la part belle à la quête solitaire de Claire, alternant avec le duo Roger / Brianna. Le temps s’étire sur quelques moments filmés en temps réel : Claire à Lallybroch, Claire sur la tombe des Fraser, Claire au musée de Culloden, Claire chez Geillis ; Roger et Brianna à Fort Williams, dans les archives du révérend, à l’université, au café. Ensemble, le trio doit seulement faire face à l’aveu de Claire et au départ de Geillis. A Culloden, Jamie et Claire ne sont qu’un et les événements se succèdent à un rythme effréné : en moins de deux heures, ils envisagent de tuer Bonnie Prince Charlie, tuent Dougal, cèdent Lallybroch à James Fraser Murray, vont jusqu’à Craigh na Dun, y font l’amour, se séparent.
L’épisode est exceptionnellement long : 78mn, contre une durée moyenne de 50mn pour les autres épisodes de la saison. Au fur et à mesure que Claire plonge dans le passé, le temps accélère à Culloden ; il y a une dramatisation des événements, un enchaînement fatal qui va pousser les personnages à faire l’inimaginable : se séparer.
Là, je ne peux que penser à la tragédie antique ; vous savez, celle qui amène les personnages jusqu’à la séparation ultime, la mort, qui, et quoi qu’ils fassent, plane au-dessus d’eux comme un spectre ? Jamie et Claire ont eu beau se débattre, tenter l’impossible, allant jusqu’à sacrifier leur enfant pour tenter de changer le cours de l’histoire, des forces qui les dépassent les ramènent toujours dans le cours de l’Histoire, altérant leurs histoires individuelles, comme s’ils étaient les jouets de la fortune et non maîtres de leur destin (« fatum » latin). Cette dramatisation reprend même, et j’ose la comparaison, les poncifs de la tragédie antique : une action accélérée, des lieux restreints, une seule thématique (dite règle des trois unités). Certes, Jamie et Claire ne meurent pas stricto sensu, mais les vingt années l’un sans l’autre, n’est-ce pas une petite mort ? Pour rappel, dans le tome 3 (épisode The first wife, 3-08), Jamie dit à Claire : « Est-ce que tu sais seulement ce que c’est de vivre vingt ans sans un cœur ? De n’être un homme qu’à moitié ? De s’habituer à combler le vide des jours qui te restent à vivre avec ce qui te tombe sous la main, et qui n’a le goût de rien ? » (Tome 3, Le voyage, p.546).
En resserrant l’action de Culloden sur la tragédie qui guette nos personnages, et qui va crescendo jusqu’au sacrifice ultime de Jamie (renvoyer Claire pour sauver l’enfant, et mourir seul sur la lande), c’est bien une tragédie qui se joue ici.
« Revenue d’entre les morts », titre le journal relatant la réapparition miraculeuse de claire en 1948, après 3 ans d’absence. Le fait est.
Brianna dit de sa mère qu’elle vit dans une autre époque. Claire a vécu, elle aussi, vingt ans sans un cœur ; elle voit chaque jour en sa fille son amour perdu : « tu lui ressembles tellement » murmure-t-elle à Brianna endormie. Tout la ramène au passé, et cette escapade écossaise, nous l’avons vu, lui fait remonter le temps à la recherche des fantômes. Claire n’est pourtant pas au bout de ses peines ; si elle a évité soigneusement Craigh na Dun lors de son errance mémorielle, elle va devoir affronter les pierres à nouveau. Geillis Duncan, puisque c’est le nom que Claire connaît, va réapparaître sous les traits Gillian Edgars, une nationaliste écossaise qui, en 1968, s’apprête à passer les pierres pour défendre la cause jacobite. La suite, on la connaît déjà : arrivée avant Claire au XVIIIe siècle, elle y épousera le juge Arthur Duncan, mettra au monde un enfant illégitime (l’ancêtre de Roger), sera brûlée (croit-on) sur le bûcher pour actes de sorcellerie… Le choix est cornélien : empêcher Geillis d’être immolée en la retenant, et condamner Roger au néant, ou laisser à Roger la chance d’exister et condamner Geillis ? Décision sera prise de l’avertir des dangers qui la guettent. Et c’est là, devant les pierres dressées que Claire apprend de la bouche de Roger que Jamie a survécu. Rattrapée par ses fantômes, claire n’a plus d’autre choix que celui de retourner auprès de Jamie. Le futur qui se dessine mettra-t-il fin à l’errance sentimentale et existentielle de Claire ? Jamie est-il toujours vivant de l’autre côté du temps ?
Épisode lacrymal par excellence, il noue le drame de nos héros lorsque Jamie prend la décision de renvoyer Claire auprès de Frank. Il a découvert la grossesse que Claire lui a cachée et à défaut de se sauver lui-même, il décide de sauver son épouse et son enfant.
Nous avons évoqué l’enchaînement fatal des événements, confrontés à une destinée qui leur échappe, puisque l’Histoire ne peut pas être changée et que la bataille de Culloden et ses conséquences les rattrapent. Il n’y a que sur leurs destinées individuelles qu’ils semblent avoir une prise, et c’est pour cette raison que Jamie renvoie Claire dans son temps. Il sait que grâce à la médecine moderne, l’enfant aura des fortes chances de survivre et sera la marque de son passage sur terre et de l’amour immense qui les aura réunis.
« Jamie… je ne veux pas… je ne peux pas… je ne vivrai pas sans toi, un point c’est tout !
Il ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit. Le ciel s’assombrissait au-dessus des montagnes, teintant les nuages de rose pâle.
- Tu crois que je ne le sais pas ? dit-il enfin. De nous deux, c’est encore moi qui m’en sors le mieux. Car si tu ressens ce que je ressens pour toi, alors ce que je te demande revient à t’arracher le cœur et à accepter à vivre sans moi. Tu dois le faire, mo duinne. Il le faut.
- Mais pourquoi ? m’écriai-je. Quand tu m’as sauvée de la foule hystérique de Cranesmuir, tu m’as avoué que s’il l’avait fallu, tu étais prêt à monter sur le bûcher avec moi.
- C’est vrai, je l’aurais fait sans hésiter. Mais je ne portais pas ton enfant en moi. »
(p.898, Tome 2, Le Talisman)
Notons surtout que ce poème revêt une importance particulière par sa réapparition cyclique dans la série; en effet, dans l’épisode Blood of my Blood (saison 4), Jamie fera forger par Murtagh et pour Claire, à partir des chandeliers de sa mère, une nouvelle alliance remplaçant celle volée par Steven Bonnet ; à l’intérieur, sont gravés les mots Da mi basia mille. La boucle est bouclée, d’autant que le titre Blood of my Blood est aussi à double entrée : le sang de mon sang, c’est le fils biologique, Willie, et le sang de mon sang, c’est aussi le vœu indéfectible du mariage, la promesse faite à Claire dans l’épisode 7 de la saison 1, The wedding (le mariage) (Voir focus sur cet épisode).
Dans le livre comme dans la série, Claire erre d’Inverness à Culloden Moor, retrouve la tombe des Fraser et parle à celui qu’elle croit mort pendant la bataille. Elle erre au musée de la bataille, erre dans la ville, erre aussi d’un sentiment à un autre, et d’une époque à l’autre. Chaque lieu fait ressurgir un souvenir douloureux et Claire ne sait plus où est sa place. L’a-t-elle jamais su ? Ce chemin de mémoire, elle doit cependant le faire seule ; elle seule connaît son histoire, tous ceux qui en ont été le témoin sont morts : Jamie, Frank, le Révérend Wakefield et miss Graham, exception faite de Roger, qui palliera sa mémoire défaillante en devenant « the dog on a bone », le chien sur son os, définition qu’il donne de l’historien qui cherche et trouve (Freedom and whisky, épisode 5, saison 3) et retrouvera Jamie à Edimbourg.
Le Talisman (Tome 2, p. 89-90)
« La mort de Frank avait fissuré ma carapace. Les craquelures s’écartaient de plus en plus et je ne parvenais plus à les colmater en faisant mine de rien. J’avais emmené ma fille en Écosse, elle dont les os étaient durs comme les falaises escarpées des Highlands dans l’espoir que son enveloppe serait suffisamment résistante pour supporter le choc, mais que son âme tendre me serait encore accessible.
Ma carapace avait volé en éclats et plus rien ne protégeait mon noyau tendre. Je ne savais plus ce que j’étais ni ce que ma fille deviendrait. Je savais uniquement ce que je devais faire.
Car j’étais revenue, et les rêves étaient réapparus, comme la brise fraîche des Highlands. La voix de mon rêve résonnait dans les oreilles et dans mon cœur.
Elle me disait : « Tu es à moi ! A moi ! Et je ne te laisserai plus m’abandonner. »
La solitude de Claire est donc le thème récurrent de 1968 : elle ne peut partager son histoire avec personne, et a besoin de retrouver Jamie. En pleine débâcle émotionnelle, elle part donc à la recherche d’un fantôme. Ceci est assez savoureux, si l’on se souvient de l’épisode 1 de la saison 1 (et accessoirement tome 1, Le chardon et le tartan), où un fantôme cherche Claire la nuit de Samhain… L’épisode 2-13, c’est ce même fantôme que poursuit Claire.
En aparté, je dirais que ce fantôme de l’épisode 1 a fait couler beaucoup d’encre… Assurément il s’agit de Jamie. Diana Gabaldon a promis de dévoiler la raison de sa présence à la fin de sa saga… Patience donc…
Notons là une différence avec le livre ; Claire ne porte pas la même alliance que dans la série, mais une alliance offerte par Jamie après l’épisode de la fessée… et c’est là qu’elle y découvre la citation « Da mi basia mille » :
P.909, tome 2, Le Talisman :
« Roger eut soudain une idée.
-Votre bague, dit-il, celle en argent. Porte-t-elle un poinçon ? Certains orfèvres écossais signaient ainsi leurs œuvres au XVIIIe siècle. Ça ne prouverait rien, bien sûr, mais c’est toujours une piste.
Claire prit un air surpris et effleura machinalement les fleurs de chardon ciselées dans le métal.
-Je n’en sais rien, dit-elle, je ne l’ai jamais enlevée.
[…] Da mi basia mille…
C’était la voix de claire, qui récitait de mémoire, entre deux sanglots.
-Ce sont des vers de Catulle, expliqua-t-elle. Un fragment de poème d’amour. Hugh… Hugh Munro me l’avait offert en cadeau de noces. Il l’avait écrit sur un bout de papier avec lequel il avait enveloppé un éclat d’ambre renfermant une petite libellule fossilisée. Je ne me souviens pas de tout, juste d’une petite partie :
Laissons parler les baisers langoureux
Qui s’attardent sur nos lèvres
Mille et cent fois repris,
Cent et mille fois encore. »
Son errance se poursuit à travers les lieux d’autrefois. Sa visite Lallybroch en ruines lui arrache des larmes. Lallybroch, c’est la maison, celle des Fraser, celle du bonheur perdu. « Home », le foyer Lallybroch c’est le cœur de Jamie, c’est l’histoire son père et d’Ellen, sa mère trop tôt perdue, celle de l’amour fou de Brian Dubh, c’est son sang, c’est son âme.
"Vivamus, mea Lesbia, atque amemus,
rumoresque senum severiorum
omnes unius aestimemus assis.
Soles occidere et redire possunt ;
nobis cum semel occidit brevis lux,
Nox est perpetua una dormienda.
Da mi basia mille, deinde centum,
dein mille altera, dein secunda centum,
deinde usque altera mille, deinde centum.
Dein, cum milia multa fecerimus,
conturbabimus illa, ne sciamus,
aut ne quis malus invidere possit,
cum tantum sciat esse basiorum.
----------------------------------------------------------------------------------
Vivons, ma Lesbie, aimons-nous et, à tous les commérages des vieillards trop sévères, donnons la valeur d'un sou.
Les rayons du soleil peuvent mourir et renaître ; pour nous, une fois que la brève lumière s'est éteinte, c'est une seule nuit éternelle qu'il faut dormir.
Donne-moi mille baisers, et puis cent, et puis mille autres, puis une seconde fois cent, puis encore mille autres, puis cent.
Ensuite, lorsque nous nous serons embrassés des milliers de fois, nous brouillerons les comptes pour ne plus les reconnaître, de peur qu'un esprit malin ne puisse nous jeter le mauvais oeil, lorsqu'il connaîtra le nombre de nos baisers.
OUT OF CATULLUS
Come and let us live my Deare,
Let us love and never feare,
What the sowrest Fathers say:
Brightest Sol that dies to day
Lives againe as blithe to morrow,
But if we darke sons of sorrow
Set; o then, how long a Night
Shuts the Eyes of our short light!
Then let amorous kisses dwell
On our lips, begin and tell
A Thousand, and a Hundred, score
An Hundred, and a Thousand more,
Till another Thousand smother
That, and that wipe of another.
Thus at last when we have numbred
Many a Thousand, many a Hundred;
Wee’l confound the reckoning quite,
And lose our selves in wild delight:
While our oys so multiply,
As shall mocke the envious eye.
De Lallybroch il ne reste plus que la façade, une porte cadenassée, un perron envahi d’herbes folles. Dans l’épisode 9 de la saison 1 sobrement intitulé Lallybroch, elle dit qu’elle y est chez elle ; l’anneau qu’elle porte au doigt, c’en est la clé ; Jamie et Lallybroch, c’est la même chose : « you are my home » lui dit-elle à de nombreuses reprises. Lallybroch, c’est le symbole de l’amour perdu, dont il ne reste que des ruines, et pourtant terriblement là.
Assise là, elle y entend les enfants Murray, Jenny, Jamie, tout lui rappelle le bonheur passé. Jamie est partout : elle l’aperçoit mentalement sous le porche, ils récitent à l’unisson le sublime poème de Crashaw intitulé Out of Catullus :
(en gras, le passage du poème en latin de Catulle, sa traduction en anglais par Richard Crashaw, et sa traduction française tels qu’ils sont cités dans la série et dans le livre.)
1968, Inverness.
Vingt années ont passé depuis le retour de Claire dans son temps ; vingt ans qu’elle n’est pas retournée en Ecosse; installée à Boston, elle est devenue mère, médecin, puis veuve d’un homme qu’elle n’aimait plus depuis longtemps. A Inverness où elle se rend pour les obsèques du Révérend Wakefield, tout a changé et tout est pareil à la fois. Morte aussi la chère Mme Graham. Et l’homme qui se tient devant elle a remplacé le petit Roger d’autrefois. La maison du révérend est immobile dans le temps : Claire erre de pièce en pièce, de lieu en lieu et remonte le temps ; tout lui rappelle Jamie et l’absence de Jamie : de vieux livres, un mousquet du XVIIIe siècle qu’elle effleure du doigt, le feu qui chante dans la cheminée, le whisky qu’elle boit.
Le tome 2 commence par une partie intitulée : A travers un miroir de larmes, Inverness, 1968:
" Roger Wakefield était planté au milieu de la pièce, ne sachant par où commencer. Non qu’il se sentît seul, loin de là".
Quoi ? Le tome 2 commence donc par ce qui clôt la saison 2 ? Et le tome 2 finit par la séparation de Claire et Jamie, faisant coïncider à nouveau le roman et l’épisode de par leur place. J’ai eu donc le même mal à commencer le tome 2 que j’en ai eu à finir la saison 2… et le tome 2 ! Ce moment me tire des larmes à gros bouillons, à gros sanglots ; il est pour moi l’épisode le plus lacrymal de la série, même si nombreux sont ceux au cours desquels j’ai versé une larme… Qu’est-ce qui a donc poussé les scénaristes à tant de fantaisie dans la structure complexe de cet épisode, et pourquoi faire passer la scène inaugurale du tome 2 à l’épisode final de la saison 2 ? La clé est dans le roman : Le Talisman, c’est le récit que fait la Claire de 1968 à Brianna et Roger ! Ce tome est donc un flash-back, encadré par les deux parties inaugurale, A travers un miroir de larmes, Inverness, 1968 et finale, Réminiscences.
L’épisode 13 est donc celui de l’errance ; il inaugure en cela une trilogie : 2-13, 3-1 et 3-2. Jamie et Claire y sont, ensemble ou séparément, les jouets de la fortune.
Le talisman, en français, Dragonfly in amber en anglais. Le même d’ailleurs, pour ce qui concerne le titre du roman. Ce qui m’a intriguée, quand j’ai lu le roman, ça a été le sens à donner à ce titre, d’autant que la première de couverture est trompeuse, puisqu’elle représente un calice. Quel est donc ce talisman ? Celui dans lequel Saint Germain boit le poison et trouve la mort ? Elément peu signifiant à mon sens, puisqu’anecdotique finalement dans l’histoire. Il aurait bien pu boire ce poison dans un verre, une tasse ou n’importe quel autre récipient, cela n’en faisait pas pour autant un talisman, une protection par définition.
La première de couverture de la nouvelle édition est plus obscure encore ; Jamie, Claire, Murtagh, et bien d’autres encore, attablés à un repas parisien ? Quelle idée saugrenue ! Ce tome 2, cette saison 2, ce n’est pas Paris, c’est Culloden et tout ce que ce simple nom évoque… quant au talisman…
Titre éponyme du tome 2 de la saga, l’épisode 13 de la saison 2 est riche et complexe ; après de multiples interrogations sur l’angle d’attaque, j’ai choisi de l’aborder par le thème de l’errance. Décryptage.
Par Pas Cale
Je ne suis pas angliciste; j’ai pensé que si Jamie ne lui disait pas qu’il l’aime, mais simplement "et moi, toi", c’est parce que les mots s’étranglent dans sa gorge sous le coup de l’émotion trop grande de cette séparation ultime. On m’a dit que non, qu’il s’agissait d’une tournure de langue en anglais. J’ai regretté mon interprétation, confirmée finalement par Delphine Robillard (voir son article sur les significations du terme HOME). Je me plais donc à penser que mon interprétation est plus que plausible, qu’elle est probable ; pour avoir l’habitude de manier les mots et les livres, je sais qu’il y a des situations où les mots d’amour n’ont plus de sens ; il ne reste alors que les actes : celui du sacrifice ultime.
"Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé", écrivait Lamartine, dans son célèbre poème Le lac. Nos héros, désormais l’un sans l’autre, vont devoir affronter une solitude infinie (CF. À chacun son combat
L’errance, c’est aussi celle de Brianna. En compagnie de Roger, elle découvre l’Ecosse, ce pays magnifique et sauvage, et se rend sans le savoir à l’endroit même où Jamie a été fouetté deux siècles et demi plus tôt (Leoch, 1-02), sur les bords des lacs longés par les MacKenzie en quête de loyers (The Rent, 1-05).
Fille de Jamie, elle ignorait jusqu’à l’existence de son père biologique :
Le Talisman (tome 2, p.106) :
« - Il y a vingt ans, à ta naissance, j’ai fait une promesse à Frank, annonçai-je d’une voix tremblante. J’avais voulu le quitter et il ne m’a pas laissée partir. Il n’a jamais pu accepter la vérité mais il savait, bien sûr, qu’il n’était pas ton père. Il m’a demandé de ne rien te dire, de le laisser être ton seul et unique père, tant qu’il vivrait. Après quoi, ce serait à moi de voir.
Je déglutis.
- … Je le lui devais bien, parce qu’il t’aimait comme un père. Mais maintenant qu’il est mort, tu as le droit de savoir qui tu es réellement » […]. »
J’ai été frappée ici par le décalage entre le livre et la série. Roger et Brianna découvrent la vérité en farfouillant dans les archives du révérend. Brianna explose dans l’épisode 13, hurlant après sa mère, l’accusant d’avoir pris un amant pour « baiser » comme tant de femmes oisives. Et Claire explosant à son tour: « Between Jamie and I, there was more than fucking ! He was the love of my life ! » (Entre Jamie et moi il y avait plus que de la baise ! C’était l’amour de ma vie). La Brianna de la série, colérique, impatiente, égoïste, est donc très éloignée de celle du livre, terrassée par la nouvelle, incrédule, mais digne.
Car dans le tome 2 Brianna encaisse l’information avec dignité dans des circonstances toutes différentes. A St Kilda, Roger, Claire et Brianna font une découverte inattendue : une tombe sur laquelle ils lisent l’épitaphe : James Alexander Malcolm MacKenzie Fraser, tendre époux de Claire. Et Claire d’annoncer :
« - C’était mon mari…
Elle redressa la tête vers Brianna avant d’achever :
- … et ton père ».
Brianna erre donc entre deux identités, deux époques (« un bébé de 200 ans ! » dira la Bakra, Geillis, dans la saison 3), deux nations…
Roger n’est pas en reste, apprenant son ascendance ; en pur Highlander, il accepte la nouvelle, sans broncher… Dans la saison 4, il rencontrera même les parents adoptifs de l’enfant de Dougal et Geillis, cette même Geillis qu’il a rencontrée en 1968… Roger et Brianna deviennent alors le couple assurant la relève : nés d’anomalies temporelles, ils ont le pouvoir de traverser les pierres, entendant eux aussi le bourdonnement… ouvrant des perspectives pour les aventures à venir.
« Nous fîmes l’amour lentement, très doucement. Chaque caresse, chaque instant étaient à savourer, à imprimer dans ma mémoire, comme un talisman à chérir dans un futur où il ne serait pas. » (p.897, Tome 2, Le Talisman).
Et c’est dans leur chair qu’ils impriment leur trace :
- Fais-moi une entaille, exigeai-je. Assez profonde pour laisser une cicatrice. Je veux l’emporter avec moi, afin d’avoir toujours sur moi quelque chose de toi. Peu importe si ça fait mal, rien ne peut me faire plus mal que d’être séparée de toi. Au moins, quand je toucherai la cicatrice, où que je sois, ce sera comme si je te touchais, toi.
Je lui tendis ma main droite. Il la prit et hésita un instant. Il déposa un baiser au creux de ma paume et enfonça la lame. Je ne sentis qu’une légère brûlure, mais le sang jaillit aussitôt. Il porta de nouveau ma main à ses lèvres, suça la plaie et sortit un mouchoir. Il me banda, mais pas avant que je n’ai aperçu l’entaille maladroite en forme de "J ". (p.899, Le Talisman)
Notons que leur séparation est assez différente dans la série. Dans le livre ils arrivent aux pierres le soir, y passent la nuit, Claire partant le matin après leur nuit d’amour, elle se précipite à la vue des tuniques rouges dans la pierre et dans le temps. Dans la série en revanche, nos personnages, nous l’avons vu, sont soumis au tic-tac inexorable d’un compte à rebours tant inexorable que fatal. Ils font l’amour dans l’urgence, et n’est nullement question de se marquer la paume de la main. Devant les pierres, ils se font une ultime déclaration d’amour :
"- I love you… I love you…
- And I… you…"
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