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Après cette petite incartade à l’air libre, nous sommes à nouveau plongés dans la noirceur de la cabane des Beardsley où Claire est occupée à ce qu’elle sait faire de mieux : soigner et observer. Elle découvre l’ampleur de la maltraitance subie. Des escarres, un pied brûlé, puis guéri, puis brûlé encore une fois, des asticots s’éparpillant dans ses plaies ouvertes. Devant l’incompréhension de Jamie, elle a cette phrase qui fait écho à ce que nous ressentions déjà : 

— Dieu sait ce que vous avez fait pour mériter cela. 

On s’en doute en vérité. Et plus encore lorsque Fanny tente de l’étrangler avec une corde de fortune, parce qu’il ne serait être question qu’il soit sauvé ! 

 Jamie lui demande : 

— Pourquoi avoir attendu qu’il y ait des témoins pour le tuer ? 

Ce à quoi elle répond, 

— Je ne voulais pas qu’il meure, je voulais qu’il agonise. 

  

C’est difficile pour Jamie d’imaginer cela. Pourtant il a connu la volonté de se venger d’un monstre. Lui-même a subi les outrages, lui-même a rencontré le viol et la torture. Toutefois, ce n’est pas ce qu’il souhaitait pour Randall. 

Mais c’est toute la différence bien sûr. Jamie est un homme, un laird, instruit et entouré d’un clan, d’une femme aimante, de son parrain. Il peut se rebâtir et reprendre le cours de sa vie, aussi fort soit le traumatisme. 

Mais qu’en est-il de cette jeune femme, vendue à son mari qui, on l’apprend avec stupéfaction a déjà eu 4 épouses, toutes enterrées dans le jardin et ayant probablement succombé aux coups de cet homme aujourd’hui lui-même terrassé. 

Qui va aider Fanny à s’affranchir de son bourreau puis à se reconstruire ? 

Qui va lui rendre justice ? Si ce n’est, elle-même en retardant la délivrance d’une mort bien trop douce, et qui lui volerait le sentiment d’être remboursée de sa propre souffrance ? 

« Le prix de la liberté » s’ouvre sur le thème de la détermination. 

Celle de Claire qui défit l’histoire afin de dénicher, pour sa communauté, la formule de la pénicilline. Celle de Jamie qui tente d’empêcher une guerre en réunissant suffisamment d’hommes pour espérer faire une démonstration de force dissuasive. En opposition, la détermination des Régulateurs qui, bien que se sachant faibles en nombre, refusent de plier devant les injonctions de la couronne et sont prêts à en découdre sur le terrain. Celle de Roger, enfin, bien décidé à prouver à son beau-père qu’il est de taille à tenir son rôle de Capitaine et à faire autre chose que chanter. 

Tous se mettent en route pour un voyage à travers le pays, accompagnés par Claire qui souhaite être présente afin de soigner les blessés en cas de conflit armé. Nous sommes prêts à rejoindre le rythme effréné de la grande histoire à laquelle on nous prépare depuis un bon moment déjà. 

 

Et pourtant, ce n’est pas ce chemin que nous allons suivre. Une bifurcation inattendue nous conduit à travers la forêt vers une petite bicoque qui semble inhabitée, si ce n’est la fumée qui s’échappe de la cheminée et qui trahit la présence de ses occupants. 

C’est une cabane comme il doit y en avoir par centaines dans cet arrière-pays encore à moitié sauvage, et où se sont installés au long des cours d’eau ou à l’abri d’une montagne, moult colons européens, tous en quête d’une nouvelle vie et d’un nouvel espoir. 

  

Il était important de nous rappeler que tous n’avaient pas eu la chance de vivre comme les Fraser, dans une belle demeure au sein de sa grande famille. Que tous ne bénéficiaient pas d’un chef aussi loyal et protecteur, soutenu en partie par la couronne à laquelle il a juré allégeance. 

Combien de ces colons ont succombé à la rudesse de la forêt ? Combien ont subi les affres de l’hiver, les assauts de quelques Indiens belliqueux, des animaux sauvages, de la misère et de la tyrannie sans qu’aucune loi ne parvienne jusqu’à eux afin de les défendre ? Tels les jumeaux Beardsley, vendus comme esclaves pour 30 années de leur vie ! 

Que se passe-t-il dans l’intimité de ces vies isolées où le pire peut se produire sans que quiconque en ait connaissance ? 

 

 

Afin de nous offrir une goulée d’air frais, le scénario nous ramène pour quelques minutes auprès de la troupe - dorénavant menée par Roger - toujours en quête de métayers, tenus par ordre du gouverneur, à rejoindre la milice coloniale. 

Ils discutent avec madame Finley qui travaille la terre avec ses deux fils et d’autres fermiers, au sein de ce qu’on imagine être une communauté rassemblée en un village. 

Madame Finley est une femme amaigrie, mais pleine de ressources et de vitalité. Elle n’a pas le temps de s’appesantir sur sa condition, pourtant, on apprend que son époux est mort et qu’elle aurait beaucoup à dire sur la gouvernance de ce territoire : 

— Les pauvres doivent verser leur sang pour protéger l’or des riches, dit-elle sans s’émouvoir plus que ça. N’est-ce pas précisément les propos tenus par les régulateurs ? Ceux que cette milice devra justement affronter ? 

Toutefois, elle se reprend assez vite.   

 Leur père est parti toucher sa prime au paradis, sinon, il vous aurait rejoint. 

Comme beaucoup d’entre eux, et malgré la misère et le travail, elle sait qu’elle doit à la couronne, sa terre et ses quelques biens. Cette première génération de colons ne prend rien pour acquis. Même s’ils sont venus s’installer sur le nouveau continent pour échapper à la guerre qui sévissait en Europe, ils savent qu’ils ne sont ici que pour aider les Britanniques à occuper le territoire. D’une certaine manière, ils sont, eux aussi, en état de servitude. 

D’ailleurs lorsqu’elle parle de ses garçons, elle s’exprime à leur sujet comme s’il s’agissait de marchandise. 

— Si j’accepte de vous prêter mes fils, vous me les renverrez tous les deux sains et saufs ? 

Et ce qui est encore plus frappant, c’est le sourire des deux fils en question. 

La guerre vaut donc mieux, pour ces deux jeunes hommes, que la vie des champs. Bien sûr, ils ne savent pas ce qu’est la guerre. En revanche, ils savent déjà, ce que sont la misère et le labeur. 

Quand Claire et Jamie arrivent sur les lieux, une lourdeur quasi palpable exhale jusqu’à nous, et lorsqu’ils se séparent pour diviser leur exploration, on a envie de leur crier à travers l’écran de rester ensemble, ou mieux encore, de s’en retourner vers la guerre qui semble étrangement moins dangereuse que ce qui les attend dans ce lieu reculé. 

  

Dans l’étable, un pauvre cheval famélique, la chatte et ses petits… l’existence de ces animaux est, elle aussi, sacrifiée. Qui les nourrit ? Qui s’occupe d’eux ? Qui pourrait soutenir d’ailleurs que cela a la moindre importance ? 

Autour de la maison, la misère exsude littéralement. Pourtant on découvre par-ci, par-là des outils, des roues de chariots, des tonneaux. La vie se déroulait auparavant, peut-être même dans une sorte de confort matériel.  Mais tout semble à l’arrêt désormais.  

Comme le dit Claire lorsqu’elle rejoint Jamie : 

— Il y a quelque chose de vraiment très étrange qui émane de cette maison. On devrait s’en aller. 

  

Mais c’est trop tard. Le visage de Fanny Beardsley lui est apparu à travers le carreau cassé, comme un diable sortant de sa boite. Le mari est mort lui a-t-elle annoncé. Ils peuvent garder les jumeaux pour rien ! Pourtant, il leur faut absolument les contrats de servage pour les protéger à tout jamais. Alors ils y retournent. 

C’est cela être un leader. Prendre soin des siens, quitte à affronter l’enfer. 

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Et c’est bien dans l’antre du Diable qu’ils entrent finalement. 

Le contraste avec le quotidien lumineux et remuant de Fraser’s Ridge nous saute aux yeux ! Tout d’abord la noirceur, l’encombrement, la solitude… Jusqu’aux chèvres qui ont pris possession des lieux, comme pour signifier qu’ici, la vie des humains vaut à peine plus que celle des bêtes. Et puis l’odeur. 

Cet effluve, nous le sentons presque, tant il semble irrespirable. D’ailleurs, le geste de Claire qui porte son fichu à son visage afin de se protéger, nous rappelle sa descente dans les cales du « Porpoise » où elle avait porté secours aux marins anglais atteints de la fièvre typhoïde. C’est l’odeur de la mort. 

  

Madame Beardsley nous est tout d’abord présentée sous son côté le plus sombre. Il ne nous est pas possible de connaître son histoire, pourtant on se doute de la dureté de sa vie. Sous ses innombrables châles informes, elle n’est qu’une âme solitaire vivant dans cette grotte humide et obscure. D’ailleurs, lorsque Jamie lui demande les fameux contrats, elle ne sait même pas où chercher, comme si ce lieu lui était étranger. 

S’en suit une scène un peu décalée, voire « facile », ce à quoi les scénaristes de la série ne nous avaient pas habitués, avec l’apparition du bouc Billy. Suspens inutile si on veut mon avis, mais bon, c’est l’occasion pour Jamie de sortir de la maison et pour Claire de découvrir les raisons de l’odeur pestilentielle à laquelle, pourtant, Fanny Beardsley paraît être insensible. 

Dans les combles, un homme au sol, baignant dans ses déjections. Il semble tout d’abord momifié, mais finalement, il bouge et râle légèrement. Monsieur Beardsley est donc toujours en vie ! Enfin, peut-on appeler cela vivre ? 

On croyait être en mesure de s’imaginer la dureté d’une existence recluse, mais ce qu’on aperçoit, ce qu’on nous décrit, c’est bien plus lugubre encore. 

Très vite, il devient évident que cet homme, ou tout au moins, ce qu’il en reste, a été terrassé par une apoplexie puis a été maintenu en vie afin d’être torturé. Se pourrait-il finalement que cette femme soit le monstre qui habite cette maison ? Est-ce que ce que nous prenions pour de la solitude, de la misère, de la douleur, soit en vérité l’incarnation de la folie destructrice ? 

Heureusement, on ne nous laisse pas longtemps nous perdre sur cette fausse piste et malgré l’air mauvais de la bougresse et sa façade brutale et imperturbable, il est rapidement sous-entendu qu’elle était avant tout la victime. :  

Il la poursuivait pour la battre. Il s’est effondré. Ensuite… L’histoire reste à raconter. 

Mais il reste le mari. 

  

Depuis leur immersion dans cette sombre maison, Jamie est demeuré en retrait. 

Aux côtés de son épouse bien sûr, la soutenant et la secondant comme à son habitude, il a bien conscience que, sur ce terrain, il ne peut pas faire grand-chose tandis que Claire est à sa place, en tant que femme et médecin. Mais lorsque Fanny n’est plus là et que le bébé est bien au chaud, emmailloté tout contre Claire, c’est à lui d’agir. 

  

Loin de toute sentence, sans colère, sans volonté de se prendre pour le juge et le bourreau, mais à l’inverse, dans un geste empli d’humanité, il expose à Beardsley un état des lieux pour le moins glacial et lui offre le choix : vivre handicapé, ou mourir dignement. 

— Je le ferai pour un chien, Claire, dois-je en faire moins pour lui ? Dit-il à sa femme qui a fait le serment de soigner et de sauver des vies. 

  

Ce geste, c’est une grâce. Cette même grâce qu’il fait jurer à Claire de lui octroyer si par malheur, il devait, lui aussi, succomber à une apoplexie, comme son père avant lui. 

  

Ce sombre épisode se clôt par une image magnifique d’un ciel se remplissant d’oiseaux, jusqu’à être recouvert, puis disparaître. Tout comme ces vies qui s’évanouissent au creux d’une nature sauvage et dépeuplée. 

  

Et puis voilà qu’elle perd les eaux et qu’on réalise que sous ses rondeurs et l’accumulation de vêtements informes, elle cachait une grossesse parvenue à son terme. 

Si Claire et Jamie n’avaient pas été présents, elle aurait accouché seule, sur le sol crasseux de sa masure. Le summum de l’horreur ! Enfin, pour nous, spectateurs bien au chaud de notre société médicalisée, mais on imagine aisément que c’était chose commune pour ces colons d’un siècle en pleine construction. 

  

Tout est différent à partir de là. Claire se départit de son ton sévère pour n’être plus que soutien. Ce n’est plus la mort qui habite la cabane, mais la vie. 

Cette petite qui pointe son nez change la donne. Elle évoque une échappée dans le passé de Fanny où l’amour avait droit d’existence, et peut-être, un but pour l’avenir. D’autant que l’enfant n’est pas celle de son tortionnaire. 

— Tu entends vieille ordure, elle n’est pas de toi !! 

Double délivrance. 

  

La nuit venue, Fanny peut enfin raconter son histoire. Sa famille vit à Baltimore (dans l’État du Maryland, à une centaine de kilomètres environ), elle a été vendue par son père. Elle vit ici depuis 2 ans, 3 mois et 5 jours, après les 4 épouses décédées et enterrées, dont certaines lui rendent visite sous forme de fantômes. 

Le regard que nous posons sur elle est différent, elle n’est plus habillée par la peur et la colère. Elle n’est plus qu’une jeune femme démunie qui dévoile son tourment. 

Et puis elle est lucide, comment ne pas l’être après ce qu’elle a subi ? 

— Il lui faudra plus que de l’amour pour vivre dans ce monde dit-elle de sa petite fille. 

— Vous avez cette propriété, lui fait remarquer Claire. 

— Pour moi, c’est seulement la maison du Diable. 

Qui pourrait la contredire ? 

  

Et c’est à ce moment – juste à ce moment-là – que Claire pense à lui demander son prénom. C’est dire si avant cela, elle semblait ne compter pour rien ! 

— Ma mère m’appelait Fanny, ça veut dire « libre » il paraît. 

Elle le devient en effet, puisqu’elle décide de s’en aller et de laisser sa fille aux soins des Fraser, non sans avoir auparavant glissé dans son petit lit, les contrats de servage ainsi qu’un acte de propriété. L’héritage de son bébé. 

Nous ne savons pas ce qu’il adviendra d’elle. On espère juste qu’elle pourra rejoindre le père de l’enfant. Un homme bien, a-t-elle dit. 

Par Valérie Gay-Corajoud

Le prix de la liberté

 Saison 5 épisode 3 

 

 

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