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Pourquoi Outlander est-il plus explicite en anglais? 

 

Par Fanny Houle | 3 octobre 2019 

Illustrations tirée du reccueil :  

I Give you my body de Diana Gabaldon  

Dans les coulisses de la traduction 

 


Voici un extrait intégral du blogue qu’une des employés de Stevenson a rédigé sur la série très prisée Outlander. Son analyse met en lumière des faits très intéressants qui vous laisseront perplexes. Le but du blogue est de vous montrer que les traducteurs ne sont pas les seuls à prendre des décisions sur les textes traduits, et que la langue et la culture d’arrivées ont une grande incidence sur le résultat. Avant de lire les faits les plus criants de cette analyse, découvrez ce qui se passe parfois en coulisse. Bonne lecture.

Des passages complets retirés de la version francophone 

 


La traduction du roman Le chardon et le tartan de Diana Gabaldon a certes été condensée, mais il s’avère que la maison d’édition française Presses de la Cité, qui a publié la première édition de la série Outlander, a également retiré des passages complets dans la traduction! Quel a été mon désarroi quand j’ai découvert cela! Fait d’autant plus intéressant quand on se rend compte que ce sont les scènes érotiques qui ont le plus écopé… Entre les pages 300 et 308, 328 et 331, et 834 et 836 de l’édition de Libre Expression (l’édition à l’étude), on retrouve des extraits qui sont absents dans la version traduite. Mais pourquoi retirer des pages entières de l’histoire? Et pourquoi ces extraits en particulier?

On sait que la maison d’édition craignait que le public français n’achète pas le livre s’il était trop long. Cela explique — mais n’excuse pas — la disparition de ces passages. Mais alors, pourquoi choisir expressément des extraits où les personnages s’ébattent dans la clairière ou au bord de l’âtre pour manifester leur amour et leur passion mutuels? Serait-ce parce que les éditeurs ne voyaient pas l’apport à l’histoire dans ces scènes ? Ou serait-ce par peur que le public soit choqué par une trop grande place offerte à la sexualité dans le roman ?

 

On ne peut que supposer, mais il serait surprenant que cette idée provienne du traducteur. En effet, dans son entrevue pour OutlanderFrance, M. Safavi affirme avoir tout traduit et qu’« [a]près il y a eu des coupes de la part des éditeurs, mais c’était vraiment ce qu’ils voulaient. Ensuite ils ont arrêté, parce qu’ils ont du [sic] recevoir pas mal de plaintes. » Je ne suis donc pas la seule à être outrée de cette décision; le traducteur lui-même semble en désapprouver l’ampleur : « Mais il ne s’agit pas de couper des passages, attention! ». Ce n’est pas surprenant quand on sait qu’il a déjà traduit plusieurs romans érotiques.

On peut supposer qu’avec ce bagage professionnel, M. Safavi comprenait que les scènes érotiques dans Outlander n’étaient pas sans intérêt et enlevaient quelque chose au récit si elles étaient omises. Certes, l’histoire se déroule bien sans, mais on perd dans la traduction une certaine magie, car les scènes érotiques contribuent à solidifier la relation entre les personnages principaux, à les rendre plus humains, plus attachants et plus soudés. Car il n’y a pas que les déboires d’un personnage qui puissent nous inspirer de la sympathie; l’amour et sa manifestation physique, la sexualité, peuvent le rendre aussi vivant et attachant. 

Pourquoi s’en prendre surtout aux scènes intimes?
Jetons donc un œil aux scènes intimes qui ont été omises dans Le chardon et le tartan. Entre les pages 300 et 308, Claire et Jamie s’aventurent derrière l’auberge dans des clairières, où ils pêchent, se parlent et enfin, font l’amour. Certes, ce moment n’apporte pas grand-chose au fil des événements et n’influence en rien l’issue de l’histoire, mais il est très important dans l’évolution de la relation entre Claire et Jamie. 

 

En effet, on voit qu’il y a encore une certaine gêne entre eux, qu’ils parviennent à éclipser en se touchant. On voit aussi que Claire pense encore à retourner dans son temps rejoindre son premier mari, Frank, mais qu’elle commence à tomber véritablement amoureuse de Jamie par la même occasion. Elle commence à réaliser qu’elle est tout de même heureuse dans cette nouvelle vie. L’évolution psychologique et relationnelle des personnages se trouve bonifiée dans ce passage, ce qui les rend encore plus authentiques, plus vivants. Il est dommage de priver les lecteurs francophones de ce moment intime et romantique, conflictuel et attendrissant.

Le deuxième extrait, contenu entre les pages 328 et 331, décrit une scène érotique où Claire et Jamie échangent des propos loufoques et s’esclaffent en cœur tout en se faisant mutuellement plaisir. Encore une fois, elle ne comporte aucun élément essentiel au déroulement de l’histoire, mais on y voit un peu plus de Claire et de Jamie, leurs pensées, leurs expressions, leur complicité. La scène contribue à leur relation et renforce l’attachement que le lecteur peut ressentir envers les personnages, ce qui l’incite sans aucun doute à poursuivre sa lecture, à s’investir dans l’histoire.

Enfin, l’extrait entre les pages 834 et 836 décrit une scène érotique du couple, après que Jamie ait été arraché aux griffes de Randall, sauvé de la prison de Wentworth. On les retrouve à l’abbaye de Sainte-Anne de Beaupré, en France, où Jamie se remet tranquillement du voyage en mer qui les y a conduits (il a le mal de mer) et des blessures physiques et psychologiques que Randall lui a infligées. Il n’est donc pas en très bon état physiquement. Malgré tout, lui et Claire font l’amour cette nuit-là, d’une manière qui n’a rien de bestial, mais qui est au contraire tendre, complice, où l’un répond à l’autre et comble les lacunes de l’autre. Il s’agit d’une véritable démonstration d’entraide, d’union, de dévouement oblatif des deux côtés. 

 

C’est la manifestation physique de la relation entre Claire et Jamie, qui tour à tour se sauvent la vie tout au long du récit, qui se soutiennent mutuellement et se dévouent l’un à l’autre entièrement, contre vents et marées. Il est vrai qu’il y a au cours du roman plusieurs manifestations physiques de l’amour entre ces personnages, mais rien ne justifie selon moi qu’on supprime l’extrait dont on parle ici. Effectivement, dans cet extrait, Jamie est mal en point. Pourtant, la seule chose à laquelle il pense, la seule chose dont il ait envie, c’est être avec Claire et lui faire l’amour :

 

“But I woke with my hand painin’ me and couldna go back to sleep. I was tossing about, feeling lonely for ye. The more I thought about ye, the more I wanted ye, and I was halfway down the corridor before I thought to worry about what I was going to do when I got here.” 

GABALDON, Diana. Outlander, Seal books, 1991, États-Unis, p. 835. 


Ainsi, on voit que son désir est tel qu’il fait agir son corps contre sa raison, malgré l’état lamentable dans lequel il se trouve. D’ailleurs, l’acte lui-même lui est dangereux dans sa condition, mais le désir et l’amour qu’il éprouve sont si intenses qu’il risque sa vie pour pouvoir se blottir au plus profond de Claire :

 

“Were ye afraid for me?” he asked.
“Yes,” I said. “I thought it was too soon.”
He laughed softly in the dark. “It was; I almost killed myself. Aye, I was afraid too. […]” 

Ibid. 


On comprend donc que l’amour et le désir que Jamie éprouve pour Claire sont assez intenses pour qu’il risque sa propre vie dans le but de les lui démontrer. Sa vulnérabilité et son état précaire amplifient l’intensité de l’acte sexuel — qui est dans ce cas-ci un véritable acte d’amour — dans cette scène où se joue un équilibre entre son désir et sa faiblesse, équilibre que vient compléter Claire. Aucun des deux n’a le dessus sur l’autre; il s’agit véritablement d’un acte fusionnel auquel tous deux participent à parts égales. 

Je crois que c’est dommage que l’on perde ce moment en français, cet acte de communion où les rôles « traditionnels » de l’homme et de la femme dans l’acte sexuel sont en quelque sorte estompés. Sans changer le cours de cette histoire, ces extraits amènent des nuances dans les relations entre les personnages, et cette relation entre Claire et Jamie n’est-elle pas la raison précise pour laquelle Outlander est une série si prisée? Sans compter leurs ébats déchaînés et passionnés.

Enfin, il est décevant de constater que la maison d’édition ait coupé d’aussi longs passages, surtout en sachant que ces passages avaient été traduits. Le tabou qui entoure la sexualité dans le contexte de la littérature a ici été plus fort que le respect de l’œuvre originale… Peut-être les éditeurs se sont-ils dit que l’omission de scènes érotiques n’enlèverait rien à l’œuvre?

Scènes érotiques plus « soft » en français 

 


Dans un premier temps, quand on compare les versions originale et traduite du premier volume de la série Outlander, on se rend compte que les scènes érotiques dans la traduction sont souvent plus « soft », comme si on avait voulu ménager les lecteurs francophones. Ce phénomène est en partie dû à l’emploi d’euphémismes pour exprimer des réalités dures ou dégradantes, comme on le voit dans l’exemple suivant :

 

“Several hands reached to stop me, though, and I found myself pressed against the wall of the corridor, surrounded by bearded Highlanders with whisky on their breath and rape on their minds .” 


« Plusieurs mains m’attrapèrent en même temps et je me retrouvai plaquée contre le mur, entourée de Highlanders barbus, à l’haleine avinée et aux intentions peu recommandables . » 


Dans cet extrait, Claire se promène dans les corridors du château de Leoch pendant le Gathering, un événement traditionnel festif qui regroupe des clans de partout en Écosse, dans le but de retourner à sa chambre. Évidemment, cette célébration est bien arrosée et bien des hommes se retrouvent soûls et en quête d’un « divertissement », autrement dit, d’une femme avec qui s’éclater — il faut souligner que la mentalité entourant le viol était bien différente à l’époque.

En anglais, l’auteure va droit au but et nomme directement les intentions des hommes intoxiqués (rape on their minds). Cependant, en choisissant de traduire par l’euphémisme « intentions peu recommandables », le traducteur laisse au lecteur la tâche de deviner ces intentions, que le contexte suffit à lui révéler. Le choc est moins grand, moins évident, puisqu’on ne nomme pas directement l’intention, mais on peut facilement s’imaginer et notre imagination peut être beaucoup plus prolifique que si l’on est mis devant le fait établi.

 

 

Évacuer complètement l’idée de la sexualité 

 


On retrouve le même genre d’euphémisme plus loin dans une scène où Jamie et Claire sont surpris en pleine fornication par des déserteurs anglais, qui tentent de la violer en tenant son mari en joue. Dans cette scène, near-rape est tout simplement traduit par « violence ». Ce choix est intéressant, car il évacue complètement l’idée de sexualité pour ne garder que l’aspect violent, traumatisant de la situation. On y voit clairement cette gêne dans la langue française en ce qui a trait à la sexualité, et cette recherche du bon goût.

D’ailleurs, nous verrons dans les extraits qui suivent que l’euphémisme « faire l’amour » a été utilisé dans la traduction pour rendre des expressions qui peuvent sembler dégradantes en anglais, ou tout simplement trop crues.

 

“I want to hold you hard to me and kiss you, and never let you go. I want to take you to my bed and use you like a whore, ’til I forget that I exist. And I want to put my head in your lap and weep like a child .” 


« Et puis j’ai envie de te serrer fort contre moi, de t’embrasser et de ne plus jamais te lâcher. J’ai envie de te faire l’amour comme un fou, jusqu’à oublier que j’existe. Et j’ai envie de poser ma tête sur tes genoux et de pleurer comme un enfant. » 


Dans cet extrait, Jamie et Claire ont trouvé refuge chez les MacRannoch après avoir libéré Jamie de la prison de Wentworth, où il était emprisonné injustement et attendait de mourir au bout d’une corde. Leur conversation fait suite à la torture et aux viols répétés que Randall a fait subir à Jamie en prison, et ce dernier est très mal en point, autant sur le plan physique que psychologique.

 

Il n’est pas difficile de remarquer que, là où l’anglais est cru, vulgaire et dégradant, le français est romantique, imagé et ne donne pas la même impression au lecteur. On comprend bien en anglais, grâce au contraste créé entre les mots du champ lexical de l’amour dans la première phrase et des mots plus vulgaires et dégradants de la deuxième, que Jamie est confus, perdu, en détresse; il n’a plus de repères. Il ne sait plus ce qu’il veut, ne sait plus comment se comporter, car il est vulnérable après ce qu’il a vécu.

 

Or, en utilisant l’euphémisme « te faire l’amour comme un fou » pour traduire use you like a whore, on reste dans le champ lexical de l’amour et du romantisme et on perd cette idée de contraste, ce qui est plutôt dommage. L’euphémisme « faire l’amour » est aussi employé pour traduire des expressions du registre vulgaire ou familier, des verbes d’action concrets et simples, notamment took each other et bedding ye.

 

 

Un registre sexuel plus familier et vulgaire en anglais 

 


Le français semble avoir cette tendance à utiliser un registre plus soutenu pour parler de sexualité, là où l’anglais reste dans les registres neutre, familier et vulgaire. On le voit très bien dans l’extrait suivant :

 

“While my mind might object to being taken on a bare rock next to several sleeping soldiers, my body plainly considered itself the spoils of war and was eager to complete the formalities of surrender.” 

 

« Si mon esprit se refusait à forniquer sur un rocher devant un groupe de soldats endormis, mon co

rps n’y voyait apparemment pas d’objections. À la guerre comme à la guerre ! »


Selon Antidote, le verbe to take dans le sens de to have sexual relations with (someone) appartient au registre familier, tandis que le verbe « forniquer » appartient plutôt au registre soutenu et fait référence à la religion ou à une plaisanterie. Cette différence marquée de registre entre les deux langues fait état du besoin de la langue française d’élever la sexualité, d’en faire un sujet idéalisé, plus spirituel que charnel.

une autre traduction de scène érotique  

 

Vous vous demandez à quoi auraient pu ressembler ces passages s’ils avaient été publiés? Stevenson satisfait votre curiosité en vous offrant sa propre traduction. Pour adultes seulement!

Much later, on the edge of sleep, I felt Jamie’s arm around my waist, and felt his breath warm against my neck.

“Does it ever stop? The wanting you?” His hand came around to caress my breast. “Even when I’ve just left ye, I want you so much my chest feels tight and my fingers ache with wanting to touch ye again.”

He cupped my face in the dark, thumbs stroking the arcs of my eyebrows. “When I hold ye between my two hands and feel you quiver like that, waitin’ for me to take you… Lord, I want to pleasure you ‘til ye cry out under me and open yourself to me. And when I take my own pleasure from you, I feel as though I’ve given ye my soul along with my cock.

He rolled above me and I opened my legs, wincing slightly as he entered me. He laughed softly. “Aye, I’m a bit sore, too. Do ye want me to stop?” I wrapped my legs around his hips in answer and pulled him closer.

“Would you stop?” I asked.

“No, I can’t.”

We laughed together, and rocked slowly, lips and fingers exploring in the dark.


Frôlant la lisière du sommeil plusieurs instants plus tard, je sentis le bras de Jamie se glisser autour de ma taille et son souffle chaud envelopper mon cou :

– Ça ne cesse donc jamais? Te désirer?
Sa main remonta pour venir caresser mes seins.

– Dès l’instant où je me retire de toi, reprit-il, je te désire tellement que je sens ma poitrine se serrer et mes doigts élancent du désir de te toucher encore.

Il prit mon visage en coupe dans l’obscurité, flattant de ses pouces l’arc de mes sourcils.

– Quand je te tiens entre mes mains, que je te sens frissonner comme ça, désireuse que je te prenne… Grand Dieu, j’ai envie de te faire frémir de plaisir jusqu’à ce que tu gémisses sous moi et que tu écartes les jambes pour moi. Et quand je jouis en toi, je me sens comme si je te donnais mon âme en même temps que ma queue.

Il monta sur moi et j’écartai les jambes, grimaçant légèrement de douleur alors qu’il me pénétrait.

– Aïe, je suis un peu sensible aussi, souffla-t-il en riant doucement. Veux-tu que j’arrête?

Pour toute réponse, j’entourai ses hanches de mes jambes et l’attirai plus près.

– T’arrêterais-tu vraiment? demandai-je.

– Non. J’en suis incapable.

Nous rîmes ensemble, nous berçant en un lent va-et-vient, nos doigts et nos lèvres furetant dans le noir.

 

 

Fanny Houle

 

Article original : Outlander, pourquoi est-il plus explicite en anglais? - stevenson.ca 

Traductrice pour le site en ligne : https://www.stevenson.ca