Jamie est un personnage épique, dans la lignée des héros antiques. Il a un idéal qui le dépasse : l’Écosse, et prêt à se battre jusqu’à la mort, et il est le jouet de la fortune. J’avais déjà évoqué dans l’analyse de l'épisode 2 de la saison 1 : Le talisman, les liens tissés avec la tragédie antique. Meneur d’hommes au charisme indéniable, suivi aveuglément par les siens, il est Jamie le Rouge, le rebelle, le demiurge au physique d’airain et au mental d’acier. Il se bat avec acharnement, trompe la mort puisque la vie n’a plus d’importance si elle doit être vécue sans Claire. Autour de lui, les écossais meurent, pendant qu’il continue le combat. La violence des coups portés, le ballet sanglant et sublime à la fois montre sans concession la sauvagerie de la bataille : les épées dansent, les kilts virevoltent, le sang gicle, les corps tombent.
Petit aparté ici : j’ai été particulièrement sensible à la façon dont les combats, de façon générale, sont filmés dans Outlander ; ils sont toujours d’un réalisme saisissant, d’une violence crue et sans complaisance. Comme le sont les scènes de sexe. Il n’y a pas d’ornement, les mots sont inutiles : il n’y qu’à ouvrir grand les yeux et admirer le talent impeccable des comédiens et de la mise en scène.
Autre conséquence, la défiance de Londres envers l'Écosse, qui ouvre la porte au mouvement des « Highland Clearances » ou Fuadaich nan Gàidheal (en gaélique écossais « l'expulsion des Gaëls »), déplacements forcés de la population des Highlands écossais au XVIIIe siècle. Charles-Edouard se cache alors dans les Highlands puis dans les îles pendant plusieurs mois. Ainsi, la chanson du générique est une réécriture d’un poème de Sir Harold Boulton par Robert Louis Stevenson, probablement en 1885.
Elle ne laisse même pas Frank la toucher, lui toucher le ventre, alors que lui considère cet enfant comme le sien. Frank et Claire sont deux étrangers.
Seule, la plupart du temps, languissante, triste à mourir, Claire erre de pièce en pièce. Quand Frank est là, elle le fuit ; il faut dire aussi qu’elle ne laisse pas à Frank la place qu’il aspire à avoir, et protège jalousement son histoire avec Jamie, et ce dès son retour en 1948 :
"En caressant ma main, il venait de découvrir l’alliance que Jamie m’avait offerte le jour de nos noces : un large anneau d’argent orné d’un entrelacs dans les boucles duquel étaient ciselés de petits chardons stylisés.
- Non ! m’écriai-je en croyant qu’il voulait me l’enlever.
Je lui arrachai ma main et la serrai contre mon sein, la protégeant de ma main droite qui, elle, portait l’alliance en or de Frank.
- Non ! répétai-je. Tu n’as pas le droit de la toucher ! Je te l’interdis, elle est à moi !"
(p.44, Tome 3, Le voyage).
Dans l’épisode 3-01, Claire reproche à Frank de vouloir lui faire oublier ce passé qui l’obsède ; l’oubli, pour Claire, va aller jusqu’à vouloir se construire une nouvelle identité, pour mieux faire disparaître celle qu’elle ne pourra plus être. C’est le sens à donner à son désir de prendre la nationalité américaine ; une vie nouvelle, un pays neuf, une nouvelle histoire...
Le Talisman (tome 2, p.106) :
"- Il y a vingt ans, à ta naissance, j’ai fait une promesse à Frank, annonçai-je d’une voix tremblante. J’avais voulu le quitter et il ne m’a pas laissée partir. Il n’a jamais pu accepter la vérité mais il savait, bien sûr, qu’il n’était pas ton père. Il m’a demandé de ne rien te dire, de le laisser être ton seul et unique père, tant qu’il vivrait. Après quoi, ce serait à moi de voir.
Je déglutis.
- … Je le lui devais bien, parce qu’il t’aimait comme un père. Mais maintenant qu’il est mort, tu as le droit de savoir qui tu es réellement » […]."
Au fur et à mesure que leur séparation s’accroît, le regard que porte Frank sur Claire évolue : elle devient un faire-valoir, elle est l’épouse, la future mère, la femme au foyer, tout ce qu’il espérait sans pouvoir l’obtenir, étant lui-même stérile. Claire enceinte, aux yeux des autres, c’est la marque de sa virilité, de sa capacité à engendrer, d’offrir foyer et stabilité à sa progéniture. Le moment de la présentation au doyen d’Harvard montre à Claire toute l’ironie de la situation vécue par le couple définitivement fissuré puisqu’il met en évidence la misogynie à laquelle Claire se heurte en 1948 : d’un côté les universitaires et de l’autre le médecin qui l’accouche. Les collègues de Frank, éminents professeurs de Harvard, lui interdisent de penser par elle-même et incitent son époux à la surveiller ; à l’hôpital, elle est privée de ses droits et ne peut s’opposer aux choix de son accoucheur qui lui cloue littéralement le bec en l’endormant sans son accord. Frank la laisse désespérément seule, n’osant ni contredire le doyen ni le médecin : seule dans un monde d’hommes, au même titre qu’elle l’était parmi les Highlanders, elle semble moins respectée cependant en 1948 qu’elle ne l’était en 1746.
"En 1743, les relations entre les hommes et les femmes étaient les mêmes qu’aujourd’hui, à quelques différences près, naturellement. La seule chose qui ait changé, c’est la façon dont chacun considère son propre sexe, et pas tellement comment chacun se comporte avec le sexe opposé."
(p.291-292, Tome 3, Le voyage).
Pour Claire, femme libre, être sous la coupe de Frank, est une option non envisageable qui scelle définitivement la mésentente dans le couple.
Le fossé entre eux ne se comblera jamais.
Sa tête ayant été mise à prix par le pouvoir hanovrien de Londres, Bonnie Prince Charlie n’a pu regagner la France que grâce au soutien de Louis XV, mais ayant perdu la confiance de tous ses appuis.
Enfin, la défaite de Culloden aura d’autres prolongements dans la série, la répression ayant eu pour conséquence d’affamer les Highlands, d’interdire les armes, mais aussi de limiter les fabrication et importation d’alcools, elle sera le levier grâce auquel Roger retrouvera la trace de Jamie, citant les vers que Robert Burns n’a pas encore écrits : Liberté et Whisky
Lors du duel avec Black Jack à Culloden, Jamie gravement blessé par un coup d’épée à la cuisse. La blessure pulse et fait craindre le pire. Elle l’abat et le maintien cloué au sol lorsque, ramené à la grange, il attend sereinement son tour pour être exécuté. Cette entaille, c’est la marque imprimée dans sa chair de la terrible bataille :
"Ses doigts se promenèrent sur mon ventre, s’arrêtant sur les vergetures laissées par la naissance de Brianna.
- Ça… ça ne te gêne pas trop ? fis-je timidement ?
Il sourit d’un air goguenard. Il hésita un instant puis releva sa chemise de quelques centimètres.
- Non, et toi ? demanda-t-il.
La cicatrice partait du milieu de sa cuisse et remontait jusqu’à l’aine, formant un bourrelet de chair blanchâtre. Je ne pus réprimer un hoquet de stupeur, puis me laissai tomber à genoux à ses côtés. Je posai ma joue contre sa cuisse, serrant sa jambe contre moi comme si j’avais voulu le protéger contre ce qui était déjà arrivé. Je sentais les lentes pulsations de son artère fémorale sous mes doigts, à peine un centimètre à côté de l’affreuse entaille.
- Ça ne te fait pas peur, Sassenach ? s’inquiéta-t-il en posant une main sur ma tête.
- Bien sûr que non !
- Nous portons chacun les traces de nos propres batailles, dit-il doucement."
(p.386, Tome 3, Le voyage.)
De manière circulaire, ce passage nous renvoie au titre, à ses questionnements soulevés au début de ce billet : le singulier du titre n’est qu’une illusion, et au-delà des combats qui les attendent, de la solitude qui les étreint, tout prend sens. Ils survivent à leurs batailles et à leurs luttes internes pour mieux se retrouver.
Cet épisode sème donc des indices. En espérant les avoir décryptés.
Nous avons tous en tête le récit des femelles pluviers, que Jamie fait à Claire dans le tome 1 après leur mariage.
Symbole de l’âme, l’oiseau fait le lien entre le ciel et la terre ; fragile et léger, incroyablement fort aussi, il est capable d’affronter les vents et les tempêtes pour retrouver son foyer. Messager des oracles divins, les romains lisaient leur avenir dans leur vol ; les ailes des oiseaux qu’arborent les messagers divins (Hermès, les anges) montrent bien ce lien entre le ciel, ce paradis espéré, et les pauvres humains que nous sommes. Ce n’est donc pas un hasard si les oiseaux ont autant d’importance dans Outlander.
Installée à Boston, Claire voit régulièrement venir à sa fenêtre un oiseau. Emerveillée par sa présence, elle avouera à Jamie qu’elle imaginait que c’était lui qui venait lui parler à travers les âges, lui apportant ainsi espoir et réconfort dans sa solitude immense.
Cet épisode se déroule sur fond de drame historique, mêlant Histoire et fiction de façon subtile.
Cette défaite a entrainé une répression sauvage qui a valu au duc de Cumberland (qui mena les troupes hanovriennes) le surnom de «Butcher Cumberland » : les blessés sont achevés, les prisonniers, et même les témoins massacrés, les rescapés, y compris Charles Édouard Stuart, poursuivis sans relâche. On estime ainsi cette répression à plusieurs dizaines de milliers des victimes.
Associé aux mythiques banshees le lapin est aussi à mettre en lien avec Claire, la Dame Blanche, ainsi que le montre l’analyse de notre hôtesse Valérie Gay-Corajoud : De chair et de sang ; je ne saurais faire mieux !
A noter que dans l’épisode suivant, le 3-02 (L'histoire en marche), Brianna aura comme doudou Monsieur Lapin pour veiller sur son sommeil… Pur hasard, pensez-vous ?
Ces deux-là ne peuvent se rencontrer que dans la violence :
scènes de flagellation (1-02 - Castle Leoch, 1-09 - une bonne correction), celles du viol (1-15 - La prison de Wentworth), des retrouvailles et du premier duel (2-06 - Double jeu), et enfin de l’affrontement final (3-01 - Chacun son combat), finissant toutes dans un bain de sang.
La hargne, la haine qui les oppose est d’une rare violence, et efface tout autour d’eux : Culloden n’existe plus, ne reste plus que la vengeance. Ralentis, images floues, sons atténués, sont les marques de cet ultime affrontement.
SYMBOLES ET PORTÉE SYMBOLIQUE : LES GRAINES DU RETOUR DE CLAIRE
* Le lapin et La Dame Blanche : des symboles conjoints
J’ai été particulièrement frappée par les ambiances de cet épisode. Adieu les lumineux paysages écossais, les verts vifs, les lumières dorées. L’épisode 2-13 (Le Talisman) était aux couleurs de terre, de l’automne, le 3-01 (À chacun son combat) voit dominer les bleus et les gris, couleurs froides par excellence depuis le réveil de Jamie à Culloden, en passant par l’avancée lente de Claire au milieu des cadavres ou encore les couleurs sourdes de la maison de Boston.
Le froid qui s’est désormais installé dans les vies de nos héros. Leur cœur est en hiver et rien ne semble pouvoir les réchauffer.
Vous avez sans doute remarqué, comme moi, que la bataille de Culloden est traitée de deux manières distinctes. Au début, Jamie combat avec les hommes, dans un brouhaha de cris et de métal. Et lorsqu’il croise Black Jack, tout disparait autour d’eux : plus rien n’a d’importance que leur affrontement qui s’éternise au-delà de la réalité historique, bien après que la bataille se sera achevée, mourant d’épuisement dans les bras l’un de l’autre dans une position grotesque, mêlant leurs blessures et leur sang.
L’éclatement du couple formé par Claire et Frank est, en creux, révélateur de la souffrance de Claire liée à la perte de Jamie. Un profond fossé les sépare : ce qui était déjà en germe depuis la fin de la guerre, la difficulté à reconstruire leur couple, éclate au grand jour. Le seul pont qui les reliait, le sexe, est détruit : la grossesse de Claire, qualifiée de « à risque » dans le livre, interdit tout rapprochement, que Claire défend quoi qu’il arrive. Impensable d’avoir en elle à la fois l’enfant de Jamie et le corps de Frank, comme si elle trahissait son amour.
Ce photogramme résume à lui seul le chemin pris par le couple Claire / Frank.
Chacun dans un espace qui leur est propre, regardant dans deux directions différentes, voilà qui résume bien la solitude des personnages. Ensemble, mais définitivement séparés, Claire et Frank montrent le naufrage du couple qu’ils tentent d’être.
Claire n’est pas non plus épargnée :
"Je restai allongée sur les draps blancs, les yeux fermés, les mains croisées sur mon ventre comme pour le protéger. Je revoyais en pensée encore et encore les dernières images qui s’étaient imprimées sur ma rétine avant de traverser le grand menhir : la pluie tombant sur la lande, le visage de Jamie. J’étais terrifiée à l’idée que, si je regardais à présent autour de moi, ces souvenirs s’effaceraient à jamais […]. Je restai ainsi prostrée pendant de longues journées. Je rêvais parfois, revivant les dernières heures du soulèvement jacobite […] Je me réveillais en criant et en gémissant, arrachée à mes rêves par un parfum âcre de désinfectant et un brouhaha de paroles qui se voulaient réconfortantes mais que je ne pouvais comprendre, étourdie comme je l’étais par les hurlements de ma mémoire, pour me rendormir presque aussitôt, les poings serrés" (p.40-41, Tome 3, Le voyage)
Le couple Claire et Jamie est donc éclaté, séparé par 202 années, mais relié par la souffrance et le malheur qui se sont abattus sur eux. Communauté d’esprit, de souffrance, de corps aussi dans la fidélité forcée (l’abstinence sexuelle, la frustration, seront un des thèmes développés dans les épisodes jusqu’aux retrouvailles de l'épisode 06 de la même saison, A. Malcolm).
Séparation sans retour possible, du moins Claire en est-elle convaincue car pour elle, Jamie est mort sur la lande à Culloden. Elle doit faire son deuil au sens réel du terme, et vivre avec un fantôme.
La réalité est un peu différente pour Jamie ; il a renvoyé Claire auprès de Frank tant pour la sauver que pour sauver leur enfant. Il l’espère vivante, désespérément jaloux d’un rival qu’il ne peut affronter, et dans l’espoir d’un éventuel retour. Ainsi, emprisonné à Ardsmuir, et servant d’interprète aux affabulations de Duncan Kerr, frémira-t-il à l’évocation de la Dame Blanche et partira-t-il chercher Claire sur Selkie Island… :
"Duncan avait utilisé le mot ban-druidh, qui signifiait "sorcière", "magicienne", ou "dame blanche". Autrefois, on avait appelé sa femme la "Dame Blanche". Claire, sa dame blanche. Pris d’un espoir fou, il avait pressé la main de Duncan, craignant qu’il perde connaissance d’un moment à l’autre." (p. 180, tome 3, Le voyage).
D’ailleurs, quand il parle de Claire, il dit : "she’s gone". Si on lui demande si elle est morte, il répond simplement qu’elle est partie. Nuance de taille, puisque, qui meurt ne peut revenir…
Le fossé entre Claire et Frank
L’enfer de Jamie, c’est la vie, la solitude : seul vivant, il espère une mort qui ne vient pas. Son esprit fantasme Claire, souriante, s’approchant de lui comme pour venir le chercher : sa main s’approche de son visage, et Jamie découvre le visage de Rupert (à noter que ce n’est pas Rupert qui le sauve dans le livre mais un personnage qui n’est pas dans la série…) :
« Il se redressa brusquement, déployant un effort considérable pour faire craquer les croûtes de sang qui retenaient ses paupières. Un raz de marée de souvenirs s’abattit aussitôt sur lui, lui arrachant un gémissement de découragement. Il s’était trompé sur toute la ligne : Non seulement il était bel et bien en Enfer mais, pis encore, il n’était toujours pas mort ». (p.15, Tome 3, Le voyage).
C’est un combat et un déchirement à la fois ; l’enfant à venir ne portera jamais le nom de son père et ne sera jamais reconnu comme tel.
Peut-on parler de combat singulier pour Claire ? Je serais tentée de dire oui. Claire doit se reconstruire et la réadaptation est difficile ; elle a accepté l’ultimatum de Frank, traversé l’Atlantique, et ne peut parler à personne de son histoire. Deux passages m’ont particulièrement frappée à ce propos. Le premier, c’est lorsque la gazinière ne marche pas : Claire sort chercher du bois, et cuisine dans la cheminée, sur les braises, comme elle l’a fait à de nombreuses reprises au XVIIIe siècle, au grand étonnement de sa voisine. Le second c’est lorsque Frank veut toucher son ventre de femme enceinte et qu’elle le rejette ; il n’est pas le père de ce bébé, et elle le lui fait clairement sentir. Frank est très frustré qu’elle refuse qu’il la touche et le lui dit alors sèchement.
La vie l’emporte donc, et sur tous les plans.
Le tome 3 s’ouvre sur les pensées d’un Jamie convaincu d’être au purgatoire car il ne peut imaginer en avoir réchappé :
« Il n’aurait jamais cru qu’un mort puisse autant avoir mal au nez. A dire vrai, il avait pensé qu’une fois dans l’au-delà, toute forme de douleur physique lui aurait été épargnée. […]
Une chose était sûre : il n’était pas au Paradis. D’une part, il ne le méritait pas ; d’autre part, ce lieu ne ressemblait en rien à l’idée qu’on se fait habituellement du Paradis. En outre, il était peu probable que la rétribution des âmes pures, comme celle des damnés, inclue un nez cassé.
Il avait toujours imaginé le Purgatoire comme un lieu indéfini et grisâtre. La faible lueur rougeâtre dans laquelle il baignait à présent pouvait convenir ». (Le Voyageur, p. 13-14)
Or, malgré les efforts incommensurables de Jamie pour mourir, la mort lui tourne le dos (p.15). Les Highlanders sont tombés tout autour de lui alors qu’ils se jetaient contre les red coats leur tirant dessus. Un Anglais a brandi son épée au-dessus de la tête, et Murtagh l’a transpercé. Face à Randall, le combat s’est effacé, et seuls, face à face dans une lutte sans merci, Jamie l’a mis à terre. Gravement touché à la cuisse pendant le duel, et alors que les red coats ont achevé les blessés, ils sont passés à côté de lui sans le voir… et même lorsque, réfugié dans la grange, il réclame à être exécuté à son tour, il faut que de tous les Anglais, ce soit Lord Melton, le frère de John Grey qui lui doit la vie, qui en soit chargé ! Et qui lui laisse la vie sauve…
Evidemment, dit comme ça, ça paraît beaucoup, beaucoup trop, que d’avoir pu déjouer tous ces pièges ! Et dire qu’il ne demandait qu’à mourir !
J’avais évoqué, lors de l’analyse de l’épisode Dragonfly in amber, la possibilité d’un lien entre notre héros et le héros tragique antique. Cet acharnement à mourir, et ce refus de la vie de le laisser partir, me font à nouveau penser que le sort de Jamie échappe à toute volonté, à tout choix de sa part. Héroïque dans ses actions, il l’est aussi un héros pris dans les filets de la Fortune qui décide de son sort comme un enfant le ferait avec un jouet.
Le destin de Claire
Le destin de Claire, c’est évidemment celui de la vie. Pas de la sienne, mais de l’enfant qu’elle porte. En renonçant à Jamie, elle a renoncé à une vie certes aventureuse et dangereuse, mais heureuse ; en acceptant de suivre Frank à Boston dans les termes quil lui a imposés, elle a renoncé à une vie amoureuse ; elle a fait le choix d’une vie ménagère, de femme au foyer, élevant le seul enfant qu’elle n’aura jamais. Les choix de Claire sont dictés par la vie de l’enfant qu’elle porte, et non par sa propre vie, qu’elle met en suspens, séparée elle aussi de son cœur quand elle répond à Jamie : « C’est à moi que tu le dis ? Qu’est-ce que tu croyais ? Que j’étais rentrée tout droit chez Frank pour y couler des jours heureux ? » (p.546, tome 3, Le voyage).
La vie ne laisse donc pas le choix à nos héros : elle tient plus à eux que ne tiennent à elle. Ils DOIVENT rester en vie, parce que quelque chose qui les dépasse les attend. Sont-ce les deux cent ans de purgatoire évoqués par Jamie dans l’épisode Dragonfly in amber, la douleur de vivre séparés ?
Si oui, je suis convaincue que nous tenons ici la nature des combats, comme supposé lors de l’analyse du titre : le combat c’est de vivre, mais de vivre l’un sans l’autre. Les combats que nos héros affrontent sont comme un enfer de Dante : une suite de supplices concentriques, qui aboutissent à la souffrance suprême, la solitude, conséquence de leur séparation forcée.
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J’ai été particulièrement sensible à ce passage fantasmé par la conscience épuisée de Jamie au moment où il va être sauvé : Claire marchant vers lui, souriante, au milieu des cadavres des valeureux Highlanders tombés pour leurs idéaux.
Pour Claire, les combats sont mener cette grossesse à terme et protéger son trésor, ce petit bout de Jamie qui pousse dans son ventre, se réadapter au XXe siècle, accepter la présence de Frank, et le combat contre la douleur immense d’être en vie et séparée de son amour.
Claire repart avec un trésor inestimable : un petit bout de Jamie en elle. Ce trésor est d’autant plus immense, et la responsabilité qui est la sienne d’autant plus grande que Jamie la renvoie auprès de Frank pour que l’enfant puisse survivre, et qu’elle a déjà perdu une fille, Faith.
Le combat de Jamie, c’est donc un combat singulier contre la vie qui l’attend : "Est-ce que tu sais seulement ce que c’est de vivre vingt ans sans un cœur ? De n’être un homme qu’à moitié ? De s’habituer à combler le vide des jours qui te restent à vivre avec ce qui te tombe sous la main, et qui n’a le goût de rien ? " (Tome 3, Le voyage, p.546), dira-t-il ainsi à Claire après leurs retrouvailles.
"Pour tuer le temps, il dressa l’inventaire des autres tourments qu’il était condamné à endurer. Il était couvert d’entailles et de bleus et son annulaire droit paraissait à nouveau cassé. Rien d’étonnant à cela, étant donné que son articulation était soudée et que son doigt raide était difficile à protéger. Rien de bien méchant, somme toute. Y avait-il autre chose ?
Claire ! Ce prénom lui transperça le cœur, lui infligeant une souffrance plus cuisante que tout ce qu’il avait supporté jusqu’alors.
S’il avait encore un corps digne de ce nom, il aurait sans doute été plié en deux par la douleur. Dès qu’il l’avait vue partir vers le cercle de menhirs, il avait pressenti qu’il en serait ainsi au Purgatoire, l’angoisse et le chagrin étaient sans doute des états naturels et il était donc prévisible que les affres de la séparation constituent son principal châtiment, suffisant, à ses yeux, pour racheter tous les crimes qu’il avait pu commettre dans sa vie, y compris le meurtre et la trahison. " (p. 14, Tome 3, Le voyageur)
Je ne suis pas angliciste, mais j’ai été frappée par le fait que le titre : The battle joined, et sa traduction française : À chacun son combat, présentent le combat au singulier, et que chacun de nos personnages ait un combat qui lui est propre.
Pour moi, ils ont chacun plusieurs combats à mener et surtout un combat commun. Pour Jamie, ce sont la bataille de Culloden, la grandeur de l’Ecosse, le duel contre Black Jack Randal pour venger l’honneur bafoué, et le combat contre la douleur immense d’être en vie et séparé de son amour ; pour Claire, mener cette grossesse à terme et protéger son trésor, ce petit bout de Jamie qui pousse dans son ventre, se réadapter au XXe siècle, accepter la présence de Frank, et le combat contre la douleur immense d’être en vie et séparée de son amour.
Mais à y bien regarder, au-delà de ces combats, ce qui est en jeu, c’est de vivre, ou survivre plutôt, en ayant perdu son cœur, chacun dans son époque, et chacun dans une souffrance immense. Un seul combat donc, le même, le plus dur sans doute qui leur sera jamais donné de mener, puisque, pensent-ils, ils sont à jamais perdus l’un pour l’autre.
LE TRAITEMENT DU TEMPS : LE DECALAGE ENTRE JAMIE ET CLAIRE
Mais revenons donc à nos moutons (écossais)…
Pour autant Jamie n’est pas sans faiblesses. Colosse aux pieds d’argile, donc. L’apparition de BJR remet tout en cause. Fatalité, encore et toujours : Claire avait annoncé à Black Jack qu’il mourrait à Culloden, et le voilà face à Jamie prêt à en découdre pour venger son honneur violé. Nous connaissons l’issue de ce combat, puisque l’histoire ne peut être changée : Black Jack va mourir.
Ce qui reste en suspens, est-ce donc ce qu’il va advenir de Jamie ? Et bien non ; nous savons déjà, au moment où le duel commence, que Jamie a survécu. Il s’agit d’une narration faite sous forme de flash-back, la nuit suivant la bataille, Jamie au sol, BJR mort étendu sur lui.
Étendu là, il attend la mort qui ne vient pas :
Pourquoi donc mettre un tel décalage temporel, sept mois contre deux jours ? Nous savons tous que notre perception du temps est complètement subjective. Qui s’ennuie trouve le temps long et qui s’amuse le trouve trop court… et pourtant une minute, c’est toujours une minute ! Une trentaine de minutes consacrées à Jamie pour une narration de deux jours, et tout autant à Claire pour sept mois.
Condensation, et donc précipitation du temps pour Jamie ; le récit se réduit autour de l’essentiel, sa survivance, son acharnement à mourir alors que la mort le refuse, et la vie à venir, sans la femme qu’il aime, seul.
Dilatation pour Claire, et donc extension de ce temps interminable de la grossesse, qui plus est passée dans l’angoisse (se souvenir ici qu’elle a perdu un premier enfant de Jamie et qu’elle n’aura pas la chance d’en avoir un autre si celui-ci meurt à son tour. La vie à venir donc), sans l’homme qu’elle aime et qu’elle croit définitivement mort, et à protéger, seule.
La condensation du temps de Jamie concourt à la dramatisation de la narration ; tant d’événements en si peu de temps, la précipitation du malheur, et la douleur immense qui s’ensuivent écrasent le personnage. Mais il ne faut pas se tromper ici et croire que, parce que le temps de Claire est dilaté qu’elle souffre moins que Jamie ; point de souffrance physique pour Claire, mais une dramatisation de la situation qu’elle vit, inadaptée, à son temps et à son couple, dans l’attente angoissée de l’enfant à venir, seule trace concrète du passage de Jamie dans sa vie.
Pour Jamie, ce sont la bataille de Culloden, la grandeur de l’Écosse, le duel contre Black Jack Randall pour venger l’honneur bafoué, et le combat contre la douleur immense d’être en vie et séparé de son amour.
Comme c’était déjà le cas dans l’épisode 2-13 (Le talisman), le 3-01 (À chacun son combat), deuxième volet de ce triptyque, met en parallèle les vies de Claire et Jamie. Et comme précédemment, le traitement du temps n’est pas pris en compte de la même manière en 1948 et en 1746. Claire quitte Jamie à peine enceinte de deux mois, le 16 avril 1746. L’épisode À chacun son combat s’achève sur la naissance de Brianna le 23 novembre 1948. Le temps de Claire s’écoule de façon linéaire et monotone pendant sept mois donc, pendant lesquels elle vit seule une grossesse à la fois triste et angoissante. Evidemment, tout n’est pas raconté, et seuls les éléments importants sont mis en avant, quelques moments séparés par de longues ellipses narratives.
Le temps de Jamie, lui, se développe sur deux jours, du 17 au 18 avril 1746. Comment deux jours, me direz-vous ? Et Culloden, c’était le 16 avril ! Que nenni… Car à bien y regarder, les combats de Culloden nous sont montrés par le biais de la conscience de Jamie, sous forme de flash-back, alors qu’il se meurt dans la nuit suivant la bataille, soit le 17 avril… Donc Jamie étendu, Black Jack Randall mort sur lui, des flash-back, des hallucinations, jusqu’à ce que Rupert le retrouve et le ramène dans la grange abandonnée, où la narration reprend là un déroulement « chronologique » normal. Les événements vécus par Jamie s’achèveront par le retour à Lallybroch, le 18 avril, après que Lord Melton lui aura sauvé la vie, contrevenant ainsi aux ordres de Cumberland.
The battle joined / A chacun son combat.
Le titre contient en lui-même la séparation, la solitude qui va étreindre les personnages désormais l’un sans l’autre. Chacun de nos personnages a un combat à mener de son côté, et ce n’est visiblement pas le même. De quels combats s’agit-il ? Le fait de se battre contre des forces adverses ? Toute lutte menée par divers moyens contre des obstacles divers, des dangers de toute nature ? L’assaut mené en vue de se surpasser en quelque chose ?
Comme je l’avais signalé en introduction de l’analyse de l’épisode 13 de la saison 2 : "le talisman", les 2-13, 3-01 et 3-02 forment un ensemble, un triptyque mettant en évidence les sentiments successifs par lesquels passent nos héros lorsque Culloden les arrache brutalement l’un à l’autre. Après l’errance, qui a servi de fil conducteur au 2-13 (Le talisman) et avant l’enfer du 3-02 (L'histoire en marche), j’aborderai l’analyse de À chacun son combat (The battle joined) par le biais de la solitude.
Décryptage.
Par Pas Cale
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