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Troisième quête au pays d’Outlander : 

L’amour de Jamie et Claire  

« une invitation et un achèvement, une inévitable reddition, une offre et une acceptation. » (D. Gabaldon-T 05) 

  

 

Claire Doré et Fany Alice 

« Je restai silencieuse, cherchant que lui dire. En l’espace d’une heure j’étais passée de l’angoisse extrême à l’idée de le perdre en Écosse, au désir puissant de le violer dans les plates-bandes de sa tante, puis à celui de l’assommer avec sa rame. À présent, j’en étais revenue à la tendresse ». 

« — Où tu iras, j’irai, murmurai-je. Ton toit sera mon toit, ton peuple mon peuple, ton dieu mon dieu. Où tu mourras, je mourrai et, là, je serai enterrée. Qu’il s’agisse d’une colline écossaise ou d’une forêt américaine. Fais ce que tu as à faire, Jamie. Je serai toujours là ». 

Les Tambours de l’automne T 04-CH 13 

  

« Je suis ton courage Sassenach, tu es ma conscience. Tu es mon cœur… et je suis ta compassion. Aucun de nous ne serait complet sans l’autre ». T 04-CH 16 

  

Que vous inspire l’expression « Le roi des hommes » pour désigner Jamie ? 

Fany Alice

C’est d’abord, selon moi, une expression qui s’adresse… aux femmes, et à la première d’entre elles, Claire. Il s’agit de valoriser et de protéger une masculinité aux charmes bien spécifiques qui permet l’épanouissement du féminin dans toutes ses composantes : affective, sexuelle et charnelle, professionnelle, maternelle. Dans Outlander, la réalisation de l’homme et de la femme repose en grande partie sur l’altérité, la rencontre avec l’Autre, où chaque individualité s’enrichit et s’améliore, où la conjugaison des deux (« blood of my blood », « bone of my bone ») forme aussi une troisième entité : un couple, dont la force sublime la part de chacun.

 

Claire Doré

J’entends une certaine ironie dans cette appellation née sur le plateau de la série télé. Magnifier les traits de son épouse, y compris ses cheveux devenant gris, semble, pour des femmes qui luttent dans notre société pour faire accepter le simple fait de pouvoir vieillir sans artifices, une attitude noble et exemplaire. Au-delà de cette simplification, je parlerai de Jamie comme d’un être souverain.

Jamie s’émancipe des traditions et se libère des vérités imposées de l’extérieur, il a acquis une autonomie intellectuelle, il s’affranchit des tutelles, de l’autorité avec l’aide de Claire. Dans un monde violent, il est maître de son comportement. Il est le contraire de ce qu’attend l’époque d’un homme de commandement au service de la guerre, qui ne doit jamais montrer ses faiblesses et ses doutes à ses hommes. Sa femme ne le voit pas comme une brute, ce qui le sauve et le magnifie. Oui, la rencontre de Jamie et Claire est l’histoire d’un homme et d’une femme qui deviennent roi et reine d’un pays étrange, « Outlander ».

On lit parfois que D. Gabaldon a créé un couple atypique et inédit dans la représentation de l’amour conjugal. De quoi s’agit-il ? 

 

Claire Doré

Cet élan irrésistible qui pousse Jamie et Claire l’un vers l’autre résiste au temps et au tourbillon de l’histoire. Comment cet homme et cette femme à l’amour passionnel peuvent s’aimer dans la durée ?

Au début de leur relation, leur amour est le désir de reconstituer l’unité originaire d’un être séparé en deux moitiés grâce à un amour fusionnel. Ils peuvent être eux-mêmes dans la reconnaissance de l’autre, dans un même amour. Ils sont fidèles, loyaux, corps et âme l’un à l’autre. Ils fondent leur relation sur le respect mutuel de leur compétence, de leur capacité à se protéger l’un l’autre. Ils ont besoin l’un de l’autre, besoin d’estime, de soutien, de plaisir donné et reçu. Ils sont dépendants l’un de l’autre et l’acceptent.

Puis, lors de leurs vingt ans de séparation, ils ne vivent qu’une moitié de vie, solitaire et triste, puisque la seconde moitié était l’autre. Le retour de Claire rend Jamie à une vie avec la possibilité du bonheur.

Lors de leurs retrouvailles, la question du temps et de l’évolution du couple est posée : « ...Sassenach, veux-tu me prendre et risquer l'homme que je suis - pour l'amour de l'homme que tu as connu ? ». Ils ont vécu séparément, ils se connaissent peut-être moins que lors de leurs deux années de mariage. Claire a pris le risque de tout lâcher pour retrouver un homme qui, peut-être, n’existe plus que dans son souvenir après vingt ans et deux cents ans d’intervalle. Le risque est terrible. Mais elle a foi en Jamie, en son honneur, en sa parole. Leur reconnexion amoureuse, corps et âme, est nécessaire pour savoir si elle a eu raison de revenir, s’ils ne sont pas devenus trop différents et ont encore une chance d'avenir ensemble.

Ils doivent sortir de leur solitude, réapprendre la confiance après la terrible peur de s’être perdus. La puissance de leur amour et de leur désir est à la hauteur de la souffrance qu’ils ont endurée. Vieillir ensemble devient une Odyssée.

Fany Alice

Je suis en accord avec ce que tu viens d’écrire mais il me semble néanmoins important de rappeler que la série diffère de la représentation des personnages des livres. La version télévisée s’est concentrée sur l’essentiel : la fusion charnelle et affective, l’entente sexuelle, l’abnégation de l’un envers l’autre, le sacrifice que chacun est prêt à payer pour être ensemble, le soutien moral, l’admiration réciproque pour l’éthique et les valeurs portées. Mais les livres offrent bien davantage et, par pudeur ou idéologie, la série est restée tiède et n’a pas voulu s’engouffrer davantage dans les aspects plus controversés de leur couple.

Je recommande fortement la lecture du tout premier article qui m’a donné envie de lire Outlander : « Jamie Fraser : entre possession et allégeance, consentement et protection », rédigé par Carolyn Garcin et hébergé sur le site de Valérie. Les mots donnent le ton… L’analyse, entrecoupée d’extraits, rappelle que Jamie est romantique mais aussi grivois, consensuel mais aussi autoritaire, doux mais aussi rude, confiant mais aussi jaloux, égalitaire mais aussi infantilisant, dépendant mais aussi sauvage, d’une masculinité protectrice mais aussi dominatrice. Claire est plus drôle, plus enjouée, plus écervelée parfois, elle nourrit un fort besoin de posséder et d’être possédée et s’accommode d’un mâle dont la vie et le questionnement sont loin d’être reposants parce qu’il comble parfaitement les failles de son enfance et remplit son avenir d’un futur enfin désirable.

Jamie aurait-il été déchu de son titre de « roi des hommes » s’il avait été dépeint dans toutes ses contradictions ? J’ai trop lu que la série avait aplani les aspérités les plus rudes du livre. Je n’aime pas cette injonction au consensuel. Claire a choisi d’inscrire son bonheur entre les mains de cet homme à la masculinité bien particulière. C’est tout ce qui compte et à nous de décider de partager cela ou pas.

 

 

En quoi la violence de Jamie est-elle un élément clé de leur couple, de la façon dont elle cimente leur besoin de possession mutuelle ? 

Fany Alice

La violence est abordée de deux façons distinctes mais liées dans Outlander. On a la violence de Jamie avec ses semblables dans un monde lui-même violent. Et on a le désir brutal, sauvage, d’un mari pour sa femme et, inversement, d’une épouse envers celui qui la maintient en vie, en connexion avec ses sens, par la puissance de leur attraction charnelle.

Dans ce deuxième cas, la violence est un baume sur des souffrances et des réminiscences d’abandon, la cicatrisation des manques qu’elles ont générés.

En ce qui concerne le premier point, je dirais d’abord qu’un homme violent à cette époque est quelque chose de normal et, surtout, de nécessaire. La souffrance est partout, dans les cœurs et dans le pays.

Le religieux l’accompagne, toujours sur le double pied de la crainte et de l'espoir, de la douleur et du salut. On meurt jeune, et à l’issue d’une vie où le premier cri est un combat pour survivre. La force masculine est indispensable pour toutes les fonctions essentielles de ce temps : se nourrir, se loger, labourer et chasser, construire un toit pour sa famille, défendre sa terre contre le voisin et l’envahisseur.

Cependant, ce que montre la saga Outlander, c’est que la force ne signifie pas nécessairement la violence. Jamie est un hors-la-loi malgré lui lorsqu’il rencontre Claire. Il tue, pille, erre… Mais il a en lui les dispositions intellectuelles pour, d’une part, user de la ruse, de son autorité naturelle et de l’argumentation pour convaincre plutôt que de recourir à la violence (on en voit les succès mais également les limites dans son rôle de chef de guerre et de Laird), et, d’autre part, mettre sa force et, le cas échéant sa violence, au service des causes qui lui tiennent à cœur, à sa femme et à lui. De là, on retrouve la quête de rédemption et de sens à ses actes, dont Le Lapin blanc a déjà parlé… Et c’est Claire qui lui montre le chemin. De deux façons : en le soutenant dans l’affirmation de son aptitude à mener les hommes et en valorisant le sexe sauvage dans leur intimité, qui relève toujours de la pulsion brute, irréfragable, du désir de posséder le corps de l’autre jusque dans sa jouissance.

Claire Doré

Que voit Claire en cet homme violent qui l’attire ? L’époque et le rôle de Laird de Jamie le poussent, effectivement, à être un guerrier brutal. Dès son enfance, il est battu par son père et par son maître d’école, non pour le punir mais pour canaliser sa nature rebelle, pour le garder dans la sécurité du groupe, garant de l’ordre social des Highlanders. Ses souvenirs de bagarre d’enfants avec Ian impliquent des nez cassés. Il est battu à Leoch dans son adolescence. Il part faire la guerre en France. Il pourrait devenir une brute sanguinaire. Son éducation et les valeurs morales de sa famille lui permettent de maîtriser sa violence, pour ne la mettre qu’au service de ce qu’on lui demande en tant que Laird.

Claire a été infirmière de guerre, dans un siècle de guerres barbares. Elle n’a pas peur de la violence et du sang, dès sa rencontre avec Jamie. Elle va valoriser ses actions, impliquant même une violence physique, si elles sont admissibles pour une cause. Et elle est très sensible à l’ardeur guerrière de Jamie qui se transforme en ardeur amoureuse. En y cédant, elle a aussi le pouvoir de le contrôler. La fougue violente de Jamie convient à la nature impétueuse de Claire. Leurs disputes se terminent en étreintes intenses. La violence de leurs rapports est toujours consentie, après le serment à Leoch de Jamie de ne jamais la brutaliser. Jamie promet lors de leurs vœux de mariage de protéger Claire y compris avec son corps, il tuera pour elle, et se ferait tuer pour elle.

Claire ne se laisse pas impressionner par la violence latente de Jamie, au-delà de la protection accordée, elle voit en lui la bonté, le courage et la conscience. Elle sait comment gérer la violence de Jamie, quitte à parler le même langage, y compris du corps, pour la canaliser. Elle est également capable de le piquer, de le recoudre, de l’opérer en lui infligeant des douleurs atroces, sans faiblir et sans trembler.

Fany Alice

 
 

« Et elle est très sensible à l’ardeur guerrière de Jamie qui se transforme en ardeur amoureuse » : c’est un bon résumé de la façon dont la violence est sublimée et positivée et dont s’opère ainsi un transfert de violence de la vie publique vers l’intime. On voit se dessiner progressivement, dans les livres et la série, un Jamie économe du sang des autres, intègre, mesuré, sous l’influence de Claire. Jamie dira dans la saison 7, qu’il doit ses seuls instants de bonté à sa femme. La seule violence qu’il revendique avec entrain est celle de la passion amoureuse.

Le moment où Claire réussit à sauver l’âme de Jamie à l’abbaye, après Wenworth, en recourant à la violence, peut-il être considéré comme un tournant dans leur couple ? 

  

Claire Doré

Dans la rançon d’une âme, Claire perçoit que Jamie ne peut se relever de ce que lui a infligé Jack Randall parce qu’il n’a pu se battre. C’est un homme brisé, il a abandonné son corps et son âme. Elle réveille la rage de Jamie avec son propre corps, en mêlant violence et sexe (dans le livre), et récupère son âme avec les mêmes moyens que Randall, comme l’explique D. Gabaldon. Elle le ramène vers elle à la vie, elle lui rend son âme, il redevient un homme, et un être moral digne de respect, en faisant surgir sa violence.

Fany Alice

Oui, je le crois. À ce moment-là, Jamie a une perception de l’honneur et de la vie qui est très masculine et propre à cette époque où la souillure, d’où qu’elle vienne, n’est pas acceptable pour un homme fier et droit. Un homme doit combattre, vaincre ou mourir. Or, Jamie demeure prisonnier d’un entre-deux où il est libre mais sali, vivant mais déshonoré, selon sa grille de lecture. Claire va lui faire entrevoir une autre voie. Elle va lui demander de vivre pour elle, de se sentir de nouveau homme pour elle, montrant ainsi qu’aimer une femme peut requérir bien plus de mérite et de courage que tuer sur un champ de bataille. En faisant le bonheur de sa femme, Jamie obtient cette satisfaction pure et presque candide qu'il n'est pas tout à fait mauvais. Combien de fois demande-t-il s'il n'est pas un homme violent et combien de fois le regard de Claire est essentiel pour son estime personnelle...

 

 

Jamie et Claire représentent-ils un modèle du masculin et du féminin atteignable ? 

 

 

Fany Alice 

Un modèle inspirant, certainement. En tant qu’individu et en tant que couple. Quant à savoir s’il est atteignable, peu importe, finalement. L’important est de le chérir comme une trace à suivre, et à chacun de faire du mieux qu’il peut.

Claire Doré

Oui, il est à peu près impossible pour le commun des couples de conjuguer ensemble amour conjugal et amour passion, du moins pour ceux qui restent unis des années. Dans leur foyer en Amérique, Jamie et Claire y parviennent, puisqu’avec la possibilité de jouir de la présence de l’autre au quotidien, sans manque, leur passion ne faiblit pas. Sur la durée, leur ardeur amoureuse reste intense, et même leurs disputes trouvent une résolution dans des étreintes fougueuses et réconciliatrices. La transformation de leur corps et la quotidienneté n’éteignent pas leur désir. Claire vieillit, son corps se transforme, grossesses, ménopause, mais elle ne renonce jamais à sa féminité et au regard de Jamie sur son corps. Elle n’exprime que peu ses sentiments à Jamie et si elle le traite souvent de tête de mule d’écossais, heureusement pour lui, elle s’exprime avec son corps. Elle trouve son mari toujours aussi beau et désirable, sa qualité d’amoureuse qui ne faiblit jamais. Leur couple est le lieu de vérité et de franchise avec eux-mêmes, connaître l’autre tel qu’il est, sans faux-semblant, et l’aimer pour cela.

Et l’ennui ne les guette pas, la réalité de la rudesse du monde, leur implication, leur rôle social, leur action politique les rattrapent. Ils forment une équipe, même au sein des batailles, lui comme guerrier et elle comme chirurgienne.

Au fond, Claire et Jamie s’adaptent au monde, mais leur place au sein de leur couple ne change pas, ils seront toujours vrais l’un à l’autre. Tout change pour que rien ne change. Et l’amour ancré dans le réel leur donne la possibilité du bonheur. Pourquoi cette forme de bonheur nous serait impossible ?

Est-ce déplacé de penser que si l’époque n’était pas aussi brutale, marquée par la crainte constante de se perdre mutuellement, leur couple s’affadirait et perdrait de son ardeur amoureuse ? 

 

Claire Doré

Certainement. Jamie est un guerrier dans l’âme. Il aime le risque, le jeu, le combat. Partir en guerre est dans son ADN. Du combat, il tire plaisir, excitation, jouissance. Claire bénéficie de cette ardeur guerrière, qui se transforme en ardeur sexuelle. Elle a aussi ce côté impitoyable, leur relation sort du cadre de la morale. Ils n’ont jamais de relations si intenses qu’à la veille des combats, loin des corvées et soucis du quotidien (ce qui est plus du ressort des livres que de la série). Leur état d’anxiété devant les épreuves les désinhibe, leur union est d’autant plus profonde que la menace de mort est imminente.

 

Fany Alice

Certainement ! D. Gabaldon fait évoluer ses personnages au sein d’une trame historique propice à la fiction : séparations, guerres, viols… Mais bien des épreuves de notre temps peuvent aussi forger les caractères, engendrer des héros et révéler des lâchetés. Peut-être même que la routine est une épreuve des plus rudes pour un couple. Au-delà des événements, ce qu’il faut retenir du couple formé par Claire et Jamie, c’est précisément son intemporalité. Ce couple représente l’exigence de chaque instant. Non pas qu’il soit difficile de durer, mais il est difficile de durer dans l’amour.

Le couple Claire/Jamie repose sur des bases bien spécifiques : la communion des cœurs, l’harmonie des corps, le besoin de l’autre pour vivre. Est-ce construit ou inné ? En d’autres termes, ressentez-vous que leur amour demande un effort pour s’épanouir ou bien est-ce mystique, inexplicable, immanent ? 

 

Fany Alice

J’ai évolué sur le sujet. Ma lecture des deux premiers tomes m’incite à me rallier à la première réponse. On voit nos deux personnages apprendre à mettre leur amour-propre de côté pour ne pas blesser l’autre et à accepter le monde de l’autre sans pour autant se renier soi-même. Ils s’adaptent l’un à l’autre, évoluent, et respectent la façon dont chacun réagit, selon son éducation et son tempérament. Mais, à partir du troisième livre, je ressens davantage la dimension biblique, mystique de leur union. C’est le combat d’une seule et même âme sœur face à un environnement chaotique et menaçant. La présence autour des deux d’une jeunesse qui a atteint l’âge adulte renforce l’aura particulière qui émane de ce couple modèle. De plus, ce dernier s’est reformé après vingt ans de séparation. Vingt ans ! Il suffit de s’imaginer soi-même tel que l’on était il y a vingt ans et de penser à la multitude de situations vécues dans ce laps de temps pour comprendre que la confiance qui préside à ces retrouvailles relève de l’extra - ordinaire.

 

Claire Doré

Je répondrai oui aux deux termes.

- Sur le côté mystique de leur amour : Claire et Jamie font l’expérience de la complétude. Le simple fait d’être ensemble augmente l’intensité de leur vie. Cet amour est extra - ordinaire, presque divin. « Faites que je suffise » demande-t-il dans une prière. Ce qui serait insoutenable pour lui, c’est de ne pas mériter Claire, que Dieu lui a donnée. Claire le rassure en lui réaffirmant qu’il est son foyer. Leur amour leur accorde le bonheur sur terre et leur assure le salut et la félicité dans l’au-delà.

- Sur l’effort pour le faire perdurer : leur amour n’est pas toujours acquis. Au fil du temps, Claire et Jamie traversent tant d’épreuves et de drames, qu’il leur faut s’expliquer parfois violemment, apprendre à s’en remettre à l’autre, y compris dans le choix de vivre en Amérique. Elle se libère des barrières psychologiques qui l’entravaient encore dans sa relation avec Franck, elle franchit les obstacles qui l’empêcheraient de mener une vie pleinement épanouie, en accord avec elle-même et ses désirs. Le problème est que plus Claire et Jamie vieillissent ensemble, plus ils ont besoin l’un de l’autre, et la possibilité de perdre l’autre les entraîne dans des actions parfois irréfléchies.

Leur couple est-il un contre modèle positif pour l’individualisme contemporain ou une esquisse idéalisée, un modèle dépassé, réservé à l’imaginaire et la fiction ? 

 

Claire Doré

Pour Jamie, le bien doit être fait sans contrepartie, c’est la générosité qui définit la conduite morale d’un individu. Il ne recherche ni reconnaissance ni gloire. Il agit dans le seul but de répondre consciemment aux diverses situations. Son abnégation, son sens du sacrifice vient de son choix d’aller vers l’amour. Et aimer Claire comme il faut est pour lui, une mission sacrée.

Claire a choisi son homme, elle l’accepte comme il est, sans compromettre sa liberté d’être elle-même et de s’accomplir comme chirurgienne. Difficile chemin.

Ce couple, à qui il arrive ce que l’on ne souhaite à personne, trouve malgré tout le bonheur dans l’existence et de la présence de l’autre, dans l’altérité comme tu le disais Fany au début de ce dialogue. Ils se sont juré la nuit de leur mariage d’être toujours sincère l’un avec l’autre, mais la vérité totale au sein d’un couple semble aujourd’hui le plus souvent dangereuse. Les qualités dont font preuve Jamie et Claire, empathie, loyauté, détermination, franchise, passion, restent du ressort du roman.

 

Fany Alice

À partir du moment où l’auteur a dressé maintes embûches, crédibles et éprouvantes, sur leur chemin, et n’a ignoré aucun des fléaux modernes - violence conjugale, viol, distance et adultère - il ne peut se résumer à une version idéalisée. Au contraire, D. Gabaldon accorde une place de choix à une disposition très particulière qui constitue un ressort essentiel de la durabilité amoureuse de leur couple : le dialogue. Cela passe par le refus du mensonge et l’écoute. Ce couple parle, beaucoup, intensément, passionnément, tout le temps.

La recherche du pardon est un élément essentiel de leur couple. Pourquoi ? 

 

Claire Doré

J’entends le pardon au sens religieux du terme. Le pardon passe par la reconnaissance des péchés, mensonge, meurtre, trahison. La volonté de racheter des actions discutables commises pour de bonnes raisons les excuse-t-elles ? Jamie ne regrette pas tous ses actes délictueux, tous ses meurtres, tant s’en faut. Il essaie de pardonner à Black Jack Randall ou aux violeurs de sa femme, mais ne regrette pas leurs meurtres. Jamie a une conscience tourmentée. Il est loin d’être « sauvé ».

Surtout après Culloden, où il pourrait dans sa solitude, n’être que ressentiment, dureté, désir de mort. C’est le souvenir de Claire qui va l’empêcher de perdre son humanité (conjuguée à l’amitié de notre Lord John bien aimé).

Claire peut sauver l’âme de Jamie et assurer sa rédemption, en dépit des crimes qu’il commet au nom de sa famille, de ses hommes, de sa femme. La bonté de Claire efface les péchés de Jamie, qui peut espérer le pardon de Dieu. Jamie prie pour que le serment d’Hippocrate prêté par Claire le rachète. À l’Adoration perpétuelle veillée par Claire l’agnostique, vont se joindre les prières ferventes de Jamie de veiller sur elle et l’enfant. Prière entendue, le lapin de la lande de Culloden et l’oiseau du rebord de la fenêtre de Boston se connectent.

 

Fany Alice 

Cela va de pair avec le dialogue. Quand on s’écoute, on pardonne

Un geste, une décision de l’un et de l’autre qui vous a particulièrement touchées ? 

 

Fany Alice

En ce qui concerne Jamie, je citerai sa décision d’être fouetté dans le deuxième tome, à Carryerrick, pour se faire pardonner d’avoir humilié Claire publiquement. Il a recours aux codes de son époque et de son éducation. Imaginez cela au XXIème siècle… C’est Jamie, dans toute son extravagance. Et compte tenu de la douleur du souvenir associée à cette épreuve, c’est touchant. Quant à Claire, sa décision de revenir après vingt ans est sublime. Par la confiance qu’elle exprime ainsi envers son mari, par les renoncements qu’elle assume : une profession et surtout, une fille de dix-huit ans.

 

Claire Doré

Pour Jamie : la déchirure de perdre Claire à jamais la première fois qu’il la ramène aux pierres, pour la renvoyer dans son époque, avec la peur de devoir vivre sans elle. Geste d’un romantisme fou.

Pour Claire : repartir d’absolument rien en Caroline du nord, dans une nature sauvage, juste en faisant confiance à la capacité de Jamie à construire ce qui deviendra Fraser’s Ridge. Cela demande une force magistrale.

 
 

 On a commencé cet échange en parlant de la notion de « roi des hommes » qui qualifie Jamie selon les scénaristes. Pourquoi Claire n’est-elle pas affublée du surnom de « reine des femmes » ? 

 

Claire Doré

Claire est-elle si différente de la femme que nous aspirons à devenir ? Reine, comme épouse d’un roi ? Je répondrais en la paraphrasant : juste une Femme, ce n’est pas rien.

 

Fany Alice

Elle l’est pour moi ! Je lui sais gré, à l’heure où certaines prônent l’indifférenciation des sexes, d’obtenir tout de son homme en sachant rester féminine. Les atours/atouts de la féminité ont encore de l’avenir !