MENU 

Le consentement entre Claire et Jamie 

Partie I :  Le consentement verbal 

  

Par Fany Alice 

Illustration : Gratianne Garcia  

Haut de page

Autres textes qui pourraient vous plaire  

 

Haut de page 

La saga Outlander dépeint la connexion charnelle et spirituelle d’un couple à l’épreuve du temps et des violences outrancières d’une époque guerrière. Le premier tome, Le chardon et le tartan, pose les bases de la relation de Claire et de Jamie : confiance, honnêteté, don de soi. Pourtant, ce premier opus a déclenché des polémiques autour de la notion sensible de consentement : que ressort-il vraiment de l’écrit stylisé et évocateur de l’auteur, D. Gabaldon ?

 

L’analyse porte sur les cinq premiers tomes de la saga littéraire, jusqu’au viol de Claire (chapitre 34, T6, La neige et la cendre), afin d’être en harmonie avec la représentation filmée des cinq premières saisons. Pour rester dans l’épure des romans, la version originale est la référence tant et si bien que la traduction proposée peut différer de la traduction française officielle. Parfois, les expressions en langue anglaise seront préférées à toute traduction.

 

Il importe de noter que le consentement est une notion quelque peu anachronique pour le XVIIIème siècle. Il suppose une liberté individuelle que le déterminisme de naissance, de sexe ou de classe sociale autorise rarement à cette époque. L’individu est soumis aux volontés de sa famille, de son village ou de son clan. Son devenir s’inscrit dans les impératifs négociés sans lui pour obtenir une terre, un titre, de l’argent. Ainsi en va-t-il de Laoghaire ou de Lady Geneva et d’autres avant et après elles.

 

Le mariage est donc un contrat et s’il n’exclut pas l’amour, il enferme bien souvent les relations sexuelles dans un cadre normé qui tient plus du devoir que de l’épanouissement charnel. La sexualité féminine est ignorée et la sexualité masculine dépréciée¸ l’Eglise condamnant le plaisir de la chair. Le refoulement des pulsions et la culpabilité du corps sont ancrés dans les esprits¸ encore plus chez la femme¸ coupable de transgression originelle. Le mari trouve sa jouissance au plus vite¸ sans se soucier des attentes d’une épouse dédiée à la procréation et à la gratification masculine.

Privée de plaisir¸ la femme est également sommée de se soumettre à l’homme. « Femmes¸ soyez soumises à vos maris » clame Saint-Paul¸ tourmentant les jeunes consciences¸ celle de Marsali qui se confie auprès de Claire sur les contradictions qui la tiraillent¸ entre la parole de l’Eglise et sa soif de plaisir auprès de Fergus (Chapitre 47¸ T3 Le voyage). Le cadre normatif du mariage dicté par l’Eglise est subtil car il ne demande pas aux hommes de soumettre leurs femmes mais aux femmes de se soumettre dans une démarche de subordination volontaire. Et cette soumission a pour finalité que les hommes volages¸ inconstants¸ réticents devant l’engagement¸ prennent leur part de responsabilités.

En déclarant également que « les hommes doivent aimer leurs femmes comme leur propre corps »¸ que l’homme et la femme sont égaux en Jésus-Christ¸ Saint-Paul édicte néanmoins des vérités qui n’allaient pas de soi dans le monde romain païen où l’Eglise chrétienne s’enracine.

 

Car sans se départir de la misogynie ancrée dans les mœurs du paganisme antique¸ l’Eglise offre paradoxalement un cadre protecteur mais étroitement figé. La femme reste une éternelle mineure (Jamie rappelle délicatement à Claire que sa parole ne vaut rien devant un tribunal en cas de suites juridiques après la mort de l’époux Beadersley au chapitre 32, T5 La croix de feu) et la masculinité s’enferme dans une virilité brutale¸ autorisant la violence légitime sur les enfants et l’épouse. Il faut des actes particulièrement cruels ou inappropriés¸ comme les coups portés au jeune Rabbie (Chapitre 31¸ T2 Le Talisman) ou la suspicion de mauvais traitements sur Marsali enceinte (Chapitre 27, T6 La neige et la cendre) pour qu’une autorité extérieure se sente légitime d’intervenir. De plus, l’infidélité est tolérée si elle est masculine¸ l’Eglise condamne mais rois et princes montrent l’exemple. Après tout¸ le quidam y voit le signe d’une virilité revitalisante.

 

A une époque crispée sur les devoirs masculins¸ malheur aux hommes chétifs ou craintifs, souvent objets du mépris féminin ou jouets de femmes habiles ; à une époque où la femme qui a des connaissances est une sorcière, celle qui a des désirs une prostituée, malheur aux femmes à l'esprit indépendant !

 

Le pouvoir de l’homme et la subordination de la femme trouvent aussi leur légitimité dans la dangerosité du XVIIIème siècle où la moindre des fonctions vitales donne priorité au masculin et à sa force physique pour labourer¸ construire¸ chasser¸ combattre…. Une société pacifiée et le progrès technique aideront la femme à se penser l’égale de l’homme. Pour l’heure¸ elle intériorise souvent sa condition dans une servitude volontaire : bien des femmes de ce temps seraient ainsi effrayées par la charge mentale des femmes modernes et Claire n’est jamais représentée comme un modèle.

 

Le XXème siècle que connaît Claire n’est pas totalement celui de l’égalité juridique mais deux guerres mondiales ont largement entamé le pouvoir phallique de la masculinité tandis que gronde la dynamique conflictuelle des couples incapables de se reconnecter, annonçant l’explosion des divorces.

 

Au confluent de ces deux siècles¸ qu’en est-il du couple formé par Claire et Jamie ? Il emprunte aux deux époques dans une intemporalité indéfinissable : « On your feet¸ soldier ! »¸ « on your way¸ soldier ! »¸ « I love you soldier ! »… Belles trouvailles sémantiques des scénaristes pour signifier la reconnaissance de la puissance conquérante du sexe masculin chère au XVIIIème siècle¸ incarnation de la virilité chez Jamie¸ mais aussi l’affirmation de l’influence de Claire dans son rôle possessif d’approbation des faits et gestes de son homme¸ dans une modernité contemporaine.

 

Rapport au sexe¸ discipline conjugale¸ infidélité : trois domaines où le scenario est largement écrit à l’avance pour les hommes et les femmes du XVIIIème siècle, et dans un sens défavorable aux femmes, mais redéfinis par le consentement dans le cadre du couple formé par Claire et Jamie.

 

Le consentement devient un point d’équilibre permanent entre les attentes de l’un et de l’autre : pour Claire¸ un partenariat égalitaire dans la vie quotidienne mais le désir sexuel d’un homme entreprenant¸ puissant et mâle qu’elle valorise passionnément ; pour Jamie¸ la confiance indéfectible en l’autre qui lui permet d’exposer ses failles, d’accepter d’être aidé, sans y voir une remise en cause de sa virilité mais¸ au contraire¸ avec la conviction qu’il ne peut être épanoui que si Claire se sent également satisfaite au lit et respectée à tous égards. Du bonheur de l’un dépend le bonheur de l’autre. Le consentement est donc une dynamique interactive qui conditionne leur bien-être.

 

Dès lors¸ comment s’exprime-t-il entre les deux protagonistes ?

 

Le consentement est d’abord verbal (Partie I)¸ essentiellement dans le premier tome où leur relation relève de l’apprentissage et de la connaissance. On le retrouve naturellement au troisième tome¸ après vingt ans de séparation¸ lorsque la redécouverte de l’autre rend les gestes lents et timides dans une quête d’approbation. Mais il est également non verbal (Partie II)¸ dès le premier tome et principal mode d’expression au-delà : c’est une écoute permanente du corps de l’autre et de son univers mental dans son langage silencieux.

 

Le consentement le plus immédiat est donc celui qui s’offre aux lecteurs au travers des mots utilisés : c’est le consentement verbal. Il est naturellement à l’œuvre pendant l’acte sexuel mais il est tout aussi essentiel avant et après¸ dans les instants du quotidien.

 

La nuit de noces est évidemment le moment de prédilection où le consentement est de multiples fois réaffirmé entre deux jeunes gens mariés par intérêt. Dès le départ¸ Jamie¸ plein d’insolence juvénile¸ demande : « Coucher ou dormir ? ». Puis¸ peu de temps avant leur premier rapport précipité : « Dis-moi si je suis trop brutal, ou dis-moi d'arrêter complètement, si tu le souhaites. À tout moment jusqu'à ce que nous soyons rejoints » déclare Jamie. Il est affamé de plaisir charnel après 23 ans d’abstinence mais s’assure toujours de l’accord de sa partenaire : « Savoir qu'une seule fois suffit pour que cela soit légal, mais... Il s'arrêta timidement. Tu veux le refaire ? Cela te dérangerait beaucoup ? (…) Non, dis-je gravement. Ça ne me dérangerait pas » (Chapitre 14¸ T1 Le chardon et le tartan).

 

Très vite¸ ils expérimentent des rapports sexuels où l’attitude et les mots prononcés par Claire ont été jugés équivoques. Le consentement verbal est toujours présent dans ces scènes mais¸ pour certains critiques¸ il est trop hésitant ou annulé par des paroles contradictoires. Ces critiques ont dénoncé une apologie du viol conjugal et l’ambiguïté de l’auteur qui ferait de la posture de Claire une position d’attente jusqu’à ce qu’elle soit convaincue par Jamie¸ transformant une insistance subie en des préliminaires consentis. Qu’en est-il vraiment de l’écriture de D. Gabaldon et des mots prononcés par Claire ?

 

Trois scènes en particulier du roman Le chardon et le tartan ont attiré l’attention. Il s’agit du rapport sexuel furtif après l’attaque du clan dans la lande écossaise (chapitre 17)¸ de la scène de réconciliation au château de Leoch (chapitre 23) et de la scène finale qui clôt le tome premier après la convalescence de Jamie (chapitre 41).

Pour les saisir dans toute la beauté de l’écrit voluptueux et érotique de D. Gabaldon¸ il faut d’abord comprendre que la relation sexuelle de Claire et de Jamie suit un rite d’initiation progressif et pédagogique qui entraîne le lecteur jusqu’à la dimension paroxystique contenue dans ces trois scènes.

 

C’est Claire qui initie Jamie et lui propose une véritable leçon d’apprentissage lors de la nuit de noces. Elle n’hésite pas à lui montrer qu’une certaine douleur est compatible avec le plaisir : « Que fais-tu? demanda-t-il, choqué. (…). Ne bouge pas. Après quelques instants, j'ai commencé à utiliser mes dents, en appuyant progressivement plus fort jusqu'à ce qu'il reprenne son souffle avec un sifflement aigu. J'ai arrêté. T'ai-je blessé? j'ai demandé. Oui un peu. (…). Veux-tu que je m'arrête? Non ! » (Chapitre 14¸ T1 Le chardon et le tartan). Jamie découvre également que le plaisir féminin existe. Il est agréablement surpris. Il comprend qu’une part inexplorée de Claire attend de se dévoiler : « Si je te faisais ça, est-ce que tu ressentirais la même chose ? Eh bien, tu sais, j’ai dit, lentement, je ne sais pas vraiment. » Un territoire insoupçonné s’ouvre devant eux. Rendez-vous au chapitre 17 et surtout 23…

En attendant¸ la leçon reprend dès les jours suivants et cette fois¸ Claire se montre plus sûre d’elle dans ses attentes : « Il montrait un souci pour ma sécurité que je trouvais à la fois attachant et irritant. (…). Tu ne vas pas me faire de mal, dis-je avec impatience. Et si tu le faisais, ça ne me dérangerait pas. Voyant l'incompréhension perplexe sur son visage, j'ai décidé de lui montrer ce que je voulais dire » (Chapitre 16¸ T1 Le chardon et le tartan).

 

Jamie est conquis et certain que le plaisir se partage¸ pour le plus grand bénéfice des deux. C’est le moment de s’échapper de la tutelle professorale de Claire et de prendre des initiatives. Le corps de l’autre est un terrain de jeu mais désormais à tour de rôle : « En fait, Madame, vous m'avez à votre merci. Vraiment ? dis-je doucement. (…). Ne bouge pas. Ses doigts s'enfoncèrent profondément dans la terre qui s'effritait, mais il obéit. S'il te plaît, dit-il après un certain temps. (…). Non, dis-je, m'amusant. (…). Tu vas payer pour ça, dit-il peu de temps après. (…). Vraiment? j'ai dit. Qu'est-ce que tu vas faire ? (…). Je ne sais pas, mais… par le Christ et Sainte Agnès… je vais… penser à quelque chose ! Dieu ! S'il te plaît ! (…). Très bien, dis-je en le relâchant. Et j'ai poussé un petit cri alors qu'il roulait sur moi, me plaquant contre les fougères. À ton tour, dit-il avec une satisfaction considérable » (Chapitre 16¸ T1 Le chardon et le tartan).

 

A cet instant¸ on les devine tous deux au même niveau de maturité de leur désir : « Il roula au-dessus de moi et j'ouvris mes jambes, grimaçant légèrement lorsqu'il me pénétra. Il rit doucement. Oui, j'ai un peu mal aussi. Veux-tu que j'arrête ? J'ai enroulé mes jambes autour de ses hanches en réponse et l'ai tiré plus près. Veux-tu arrêter ? j'ai demandé. Non. Je ne peux pas. Nous avons ri ensemble et nous sommes bercés lentement, les lèvres et les doigts explorant dans le noir » (Chapitre 17¸ T1 le chardon et le tartan).

 

Pourtant, si Jamie s’avère être un excellent amant qui a toujours envie de faire l’amour¸ dans une candeur innocente qui émeut Claire et la ravit¸ elle ne sait pas totalement quoi en faire¸ n’étant pas prête à faire sauter ses inhibitions. Elle ne s’est pas encore aventurée sur ce territoire avec Frank.

 

Or, Jamie est de plus en plus entreprenant¸ totalement émancipé¸ et dans une posture dominante qui surprend Claire au chapitre 17 : « Maintenant, dit-il d'un ton qui ne tolérait aucune opposition, ne bouge pas. Je me sentais exposée, envahie, impuissante et comme si j'étais sur le point de me désintégrer. (…). S'il te plaît¸ dis-je, ne sachant pas si je voulais dire « s'il te plaît arrête » ou « s'il te plaît continue ». Cela n'avait pas d'importance ; il n'avait pas l'intention d'arrêter. (…). Eh bien, c'est un peu mieux (…). Ça demande un peu d'effort pour te rendre correctement soumise, n'est-ce pas ? ». Claire semble pour la première fois surprise par l’ardeur d’un homme, décontenancée d’une façon que les deux premiers chapitres du premier tome centrés sur sa relation avec Frank ne laissaient pas présager. Au début du roman¸ elle apparait en effet comme l’initiatrice. Ici¸ elle est prise au dépourvu par la fougue de Jamie et se retrouve à recevoir du plaisir sans en avoir à faire la demande.

 

Mais c’est surtout la scène de sexe au même chapitre¸ après l’attaque du clan Mac Kenzie dans la forêt¸ qui est perçue par certains critiques comme l’archétype de la domination de l’homme conquérant sur la femme ravalée au rang de lot de consolation du guerrier : « Jamie! Pas ici ! dis-je en me tortillant et en abaissant à nouveau ma jupe. (…). Il y a vingt hommes qui dorment juste à côté de nous ! criai-je dans un murmure. »

 

Claire est tiraillée entre son désir et les convenances : « Vingt-sept ans de bienséance ne faisaient pas le poids face à plusieurs centaines de milliers d'années d'instinct. Alors que mon esprit pouvait s'opposer à être emmenée sur un rocher nue à côté de plusieurs soldats endormis, mon corps se considérait clairement comme le butin de guerre et était impatient d'accomplir les formalités de reddition. (…). Tu me veux, n'est-ce pas ? dit-il en se reculant un peu pour me regarder. Il semblait inutile de le nier, avec toutes les preuves à portée de main. (…). Euh...oui...mais... (…). J'enfonçai fermement mes doigts dans son dos et m'accrochai, mordant le tissu de sa chemise pour étouffer tout son. »

 

Le consentement des mots et du corps est bien là mais que l’esprit est alangui ! La jeune femme coquine qui s’offrait à Frank l’entrejambe nu¸ sans sous-vêtements¸ dans le chapitre 2 du roman¸ a visiblement trouvé son maître (Faut-il préciser que lorsque Jamie lui demandera de l’appeler « Maître » au chapitre 23¸ cela n’a rien à voir avec une inégalité de statut mais tout à voir avec le pouvoir érotique de Jamie de satisfaire Claire ?).

La Claire à la libido pourtant assumée a encore du mal à se déconnecter des régulateurs sociaux que sont les bonnes manières et la pudeur. Elle n’est pas non plus prête à admettre qu’elle est en train d’atteindre un niveau de jouissance jamais vécu avec Frank tandis que petit à petit se tisse un lien émotionnel des plus forts avec Jamie. Il faudra l’attaque par les déserteurs anglais pour que la culpabilisation de Claire vis-à-vis de Frank s’exprime ouvertement et qu’elle se sermonne. Mais elle est sans doute en gestation aux alentours du chapitre 17 : s’espérant prise de force (« butin de guerre »), elle se persuade qu’elle n’a pas le choix et peut jouir sans la culpabilité d’être à l’origine du rapport. Pour soulager sa conscience vis-à-vis de Frank dans un désir inavoué de se pardonner pour le plaisir reçu.

 

Tout cela révèle un point de discorde en suspens qui va conditionner l’enchainement tragique des épreuves jusqu’à la scène de violence conjugale : Jamie a besoin de passer par les sentiments pour faire l’amour, quand Claire peut faire l’amour sans accéder aux sentiments. Viendra le moment où ils devront s’accorder…

 

Entrevoir qu’elle s’attache à un homme qu’elle a le devoir de quitter est excitant et effrayant. Le chapitre 17 est une rupture montrant Claire en proie à des injonctions contradictoires corps/esprit qui l’entraînent sur un terrain inconnu jusque-là et qui remettent en cause bien des certitudes. Quant à Jamie, il a tenu ses promesses : « Oh, alors il y a quelque chose que tu ne sais pas? Eh bien, nous allons le découvrir alors, n’est-ce pas? » avait-il proposé dès la nuit de noces (Chapitre 14¸ T1 Le chardon et le tartan). Au-delà des inhibitions réelles¸ elle prend conscience que chaque instant de complicité charnelle avec Jamie la sépare un peu plus de Frank et lui fait entrevoir un avenir au XVIIIème siècle que sa raison redoute autant que son corps aspire : « Parce que, dis-je, je ne peux pas me passer de toi, Jamie Fraser, et c'est tout » est la seule réponse possible lorsqu’il lui demande pourquoi elle n’est pas repartie dans son siècle (Chapitre 25, T1 Le chardon et le tartan).

Arrive le chapitre 23 du premier tome et sa scène de sexe pivot du livre et de toute la saga Outlander. Jamie est dans l’état émotionnel de celui qui se consume d’un amour qu’il perçoit non partagé par une femme indifférente à sa souffrance psychique (son besoin d’être aimé) et physique (sa mise en danger à Fort William). Serment¸ alliance¸ fidélité : il s’offre tout entier pour sécuriser Claire en reconnaissance du fait qu’il l’a blessée lors de la scène de violence conjugale. Il lui demande de s’engager : « Veux-tu de moi ? (…). Oui, dis-je » (Chapitre 23¸ T1 Le chardon et le tartan).

 

L’engagement signifie la reconnaissance du caractère sacré de leur union¸ dans le don de soi¸ sentimentalement et physiquement. Il lui demande son consentement pour être à lui comme il est déjà à elle : cœur, corps et âme. Claire accepte de se livrer totalement pour la première fois¸ tournant le dos aux dernières inhibitions. « Blood of my blood¸ bone of my bone » … Elle vit enfin charnellement ces mots.

 

Leurs ébats sexuels scellent alors la communion des âmes dans la soumission des corps. Ils commencent par la domination de Jamie sur Claire pour atteindre une possession mutuelle et égalitaire. Cette soumission consentie repose sur la confiance et permet une liberté mentale qui procure un sentiment de victoire aux deux amants. Il s'agit de confier son plaisir à son partenaire qui connaît parfaitement la destination : « Oui, implore ma miséricorde, Sassenach. Tu la possèderas, mais pas encore » (Chapitre 23¸ T1 Le chardon et le tartan). Claire a peur et envie en même temps. Elle bascule dans un inconnu excitant. Le corps de Jamie est un défi et une promesse.

 

Dans ce chapitre¸ Jamie est d’abord dans la posture du dominant qui prend le contrôle de l’acte pour décider de la manière dont il va satisfaire Claire. A elle de vivre en retour l'expérience dans une sensation d'abandon¸ forme d'exutoire qui lui permettra d'accéder plus facilement à la jouissance en donnant le pouvoir à son partenaire : « Tu es à moi, mo duinne, dit-il doucement en se pressant dans mes profondeurs. A moi, maintenant et pour toujours. A moi, que tu le veuilles ou non. J’ai tiré contre sa poigne, et j’ai aspiré dans mon souffle avec un « ah » faible tandis qu’il poussait encore plus profond. Oui, je veux t’utiliser fort, ma Sassenach, murmura-t-il, je veux te posséder corps et âme. »

Claire ne se laisse pas faire facilement¸ faut-il y lire un non consentement ou plutôt le moyen d’augmenter son excitation dans une docilité et une soumission toutes relatives ? « Je me débattais légèrement et il me pressait, me martelant, un solide, inexorable martèlement qui a atteint mon ventre à chaque coup. (….). Je veux te faire mienne ». Le rapport sexuel est entre le plaisir et la douleur : « Non! Je haletais. Arrête, s’il te plaît, tu me fais mal ! (…). Mes cuisses étaient meurtries par l’impact répété, et mes poignets se sentaient comme s’ils allaient se casser, mais sa poigne était inexorable. » Lorsqu’elle perçoit que le désir de Jamie est violent¸ fort et puissant¸ cela décuple son propre désir. Ce ne sont pas les martèlements du moment qui l’interpellent, c’est la puissance du désir qu’elle y lit chez son partenaire. Le contrôle de soi est annihilé dans la pure démonstration de l’instinct et des envies. Elle est brûlante de désir et se nourrit de l’intensité du désir en Jamie.

 

Elle l’incite à la violence dont elle a besoin et vient le moment où Claire soumise contrôle Jamie qui la domine : « Je pouvais sentir la secousse de chaque coup au fond de mon ventre, et j’en gémissais, alors même que mes hanches se levaient traîtreusement pour l’accueillir. Il a senti ma réponse, et a redoublé son assaut, appuyant maintenant sur mes épaules pour me garder coincée sous lui. » Lภle dominateur n’est plus celui qu’on croit¸ car c’est à lui de réussir à amener sa partenaire à se dépasser¸ à franchir ses barrières et limites pour son propre épanouissement à elle¸ plus que le sien : « Il a poussé à nouveau mes jambes à plat et m’a porté au-delà de la douleur et dans la sensation pure, sur le bord de la reddition ». (…). Oui! m’écriai-je, oh mon Dieu, Jamie, oui ! » Elle perçoit que « dans le corps ou l’âme, quelque part, il a frappé une étincelle, et une réponse de fureur et de besoin passionnés a jailli des cendres de la reddition. »

Ce qui est le plus beau dans les derniers instants de cette scène¸ c’est que Jamie prouve à Claire qu’il peut se livrer à une activité sexuelle sans but de réciprocité, plaçant ainsi les désirs et les besoins de sa femme au-dessus des siens.

Les rôles peuvent alors alterner pour que chacun puisse expérimenter tour à tour le lâcher prise ou une sensation de pouvoir qui procèdent d’une certaine animalité : « J’ai mordu sa lèvre et goûté le sang. (…). Je l’ai raclé de la nuque aux fesses, le poussant à l’arrière et à crier à son tour. » Les gestes se font brutaux parce qu’ils veulent se dévorer et se retenir dans un élan de possessivité avide : « Nous nous sommes battus dans un besoin désespéré, mordant et griffant, essayant de tirer le sang, essayant chacun de tirer l’autre dans nous-mêmes, déchirant la chair de l’autre dans le désir dévorant d’être un. Mon cri se mêlait au sien, et nous nous sommes finalement perdus l’un dans l’autre dans ce dernier moment de dissolution et d’achèvement. »

 

De cette scène¸ on retient deux points essentiels : du point de vue de Claire¸ plus elle est soumise¸ plus elle est puissante. Plus elle se sent vaincue¸ plus elle a de plaisir et se sent désirée. Sa défaite¸ c’est sa force. Elle accepte de se mouler dans une sorte d’état régressif où elle est guidée, tenue, prise en charge pour finalement éprouver un sentiment de sécurité dans la chaleur enveloppante de Jamie. Pour lui¸ la sphère intime devient le seul lieu de sa domination masculine sur Claire : l’obéissance¸ les menaces de la prendre de force et la discipline conjugale sont bannies. Il lui apporte l’excitation d'être possédée physiquement et obtient d’elle en retour ce qui est nécessaire à sa propre satisfaction. Le plaisir de l’un se donne à vivre en même temps que le plaisir de l’autre.

 

Jamie n’est pas un amant calculateur ou sophistiqué. Il donne tout au point de se rendre vulnérable et dépendant¸ acceptant de se mettre à nu émotionnellement. Il assume la soumission réciproque dans laquelle le place la satisfaction mutuelle de leurs désirs : « Je suis ton maître…et ton esclave. Il me semble que je ne peux pas posséder ton âme sans perdre la mienne. » Et de l’aveu de Claire¸ Jamie a atteint ce que Frank n’a jamais compris.

 

La domination masculine de Jamie est donc bien différente des schémas traditionnels. Elle est d’abord intrinsèquement liée à la fidélité, perçue par ses pairs comme un manque de virilité, comme l’atteste la dispute du chapitre 17 du deuxième tome, Le talisman. Elle est aussi inscrite dans le plaisir de sa femme et c’est parce que Claire sait dire le plaisir qu’il lui procure qu’elle parvient à lui faire vivre sa virilité sans violence. A l’inverse¸ guidés par leurs pulsions et ne recherchant que leur propre satisfaction¸ les hommes de son temps peuvent être sexuellement violents et conclure¸ comme ceux du clan Mac Kenzie¸ que les femmes n’aiment pas le sexe.

 

Petit retour sur les (mauvais) conseils reçus par Jamie lors de sa nuit de noces : il en ressort une profonde ignorance du plaisir féminin et une conception de l’accouplement fondé sur la seule jouissance masculine. La nuit même¸ un échange entre Jamie et Dougal absent dans le livre et proposé par la série, mais totalement dans l’esprit de la saga, révèle cette conception asymétrique du couple où l’homme doit s’astreindre à la seule satisfaction de ses pulsions sexuelles, dans une retenue affective vis-à-vis de son épouse, tant pour se prémunir de toute dépendance que pour priver la femme d’un éventuel pouvoir. Maintenir Claire à sa place¸ c’est ce que ne cesseront de tenter plusieurs groupes d’hommes¸ officiers anglais¸ chefs jacobites¸ aristocrates français, colons de Caroline du Nord.

 

Le lendemain de cette nuit brûlante de réconciliation au château de Leoch¸ Claire et Jamie vont avoir un autre rapport sexuel¸ de nouveau source de critiques. Alors qu’ils examinent les vestiges de leurs étreintes de la veille sur leurs corps respectifs - morsures¸ bleus et griffures - ¸ Jamie l’invite à reprendre leurs ébats. « Oh! non, on ne va pas remettre ça, dis-je en reculant. Je ne peux pas, j’ai trop mal » répond-elle aussitôt. Mais le rapport sexuel a bien lieu et D. Gabaldon lâche triomphalement : « James Fraser n’était pas un homme à se laisser dire non. (…). Il savait se montrer doux mais on ne devait pas se refuser à lui (…) avec une douce insistance qui n’était que la continuation de la leçon apprise si brutalement la veille. »

 

Il existe bien évidemment des attitudes abusives¸ des chantages et des insistances dangereuses d’autant plus condamnables que l’homme profite de la faiblesse physique de la femme qui craint d’être violentée en cas de refus. Mais pourquoi cela ne peut-il pas s’appliquer à Claire ?

 

D’abord¸ parce que Claire est une femme qui sait dire non sans ambigüité. C’est dans son caractère fort et déterminé de ne pas se laisser imposer par quiconque. Elle s’est battue comme une lionne face à Jamie le soir de la scène de violence conjugale¸ le laissant le nez en sang avec plusieurs morsures¸ et peu avant cette scène de sexe de réconciliation¸ elle s’est débattue avec vigueur lorsque¸ blessé par ses soupçons d’infidélité¸ il a menacé de la prendre de force.

Ensuite¸ elle a compris que Jamie n’est pas homme à prendre son plaisir sans lui en donner¸ il vient de le lui prouver. C’est un sentiment très fort qu’il a vite exprimé avec une satisfaction pure et touchante : « C’est un don et une merveille pour moi de savoir que je peux te plaire, que ton corps peut s’éveiller au mien. Je n’avais pas pensé à une telle chose auparavant » (Chapitre 16¸ T1 Le chardon et le tartan). Plus tard¸ lorsque Claire sera à un stade avancé de sa grossesse¸ il sera gêné qu’elle puisse lui donner du plaisir sans pouvoir faire de même et se préparera à l’abstinence (Chapitre 23¸ T2 Le Talisman).

 

Claire éprouve une satisfaction narcissique à constater qu’il a toujours envie d’elle : est-il encore permis d’admettre qu’une femme puisse se réjouir d’avoir un partenaire insatiable ? Un partenaire qu’il lui est impossible¸ à elle¸ de refuser ? N’y-a-t-il pas une contemplation jouissive à percevoir que le désir ne se tarit pas et qu’elle est et sera toujours l’heureuse élue¸ jeune mariée¸ enceinte ou ménopausée, belle ou tuméfiée, gironde ou squelettique ? Claire aime l’idée que céder ressemble à une absence de choix, qu’elle ne peut pas résister parce que Jamie est trop puissant, trop beau, trop mâle, parce que son étreinte embrasse bien plus qu’un corps mais la promesse de l’amour exclusif, durable, infini dont elle a besoin : « Si j'étais un cheval, je le laisserais me monter n'importe où » avait-elle déjà pressenti dès leurs premières rencontres (Chapitre 4, T1 Le chardon et le tartan). La seule vraie question est celle qu’ils se posent déjà au chapitre 17 lorsque Jamie demande à Claire si le désir entre eux s’arrêtera un jour. Non¸ comprendront-ils vingt ans plus tard. Car cela à avoir avec la Foi… ou la loi de la thermodynamique.

Dans les deux premiers chapitres du premier tome¸ alors qu’ils ne se sont vus que trois fois en six années de guerre¸ aucune scène de sexe n’est décrite entre Claire et Frank (contrairement à la série). Les quelques tentatives, toujours à l’initiative de Claire, sont avortées. On aura bien quelques moments de tendresse mais cela reste succinct. Frank s’exécute dans une application polie¸ loin de la pureté sauvage de Jamie. Il est plus préoccupé par son ascendance que par sa descendance et Claire s’ennuie. La question de la fidélité préside au lâcher prise de Claire au chapitre 23 et¸ dans un parallèle troublant¸ préside à sa retenue dans le chapitre 2¸ entre un Jamie furieux et un Frank indifférent. Jamie est audacieux, fougueux, demandeur. L’élève appliqué est à même de diriger la leçon « apprise si brutalement la veille » qui n’est rien d’autre que le secret de la possession mutuelle, que Frank n’a jamais percé. Claire a dépouillé Jamie de sa domination masculine dans la sphère publique sur le chemin caillouteux de la réconciliation vers Castle Leoch, mais elle la réclame dans la sphère intime.  

  

Il est également permis de penser que ce n’est pas de sexe dont elle n’a pas envie dans l’immédiat dans sa réponse à Jamie mais de « sexe sauvage »¸ celui qu’ils viennent de vivre¸ et que dans la mesure où tous deux ne négocient pas à l’avance leurs limites¸ elle est curieuse et désireuse de savoir comment il va la satisfaire en tenant compte de ses préférences. Et Jamie décode parfaitement¸ calant son rythme sur le sien¸ sachant être doux et caressant « comme seuls les grands hommes savent l’être ». Non¸ la subtilité du désir ne souffre absolument pas de l’âpreté du discours dans le tome premier. 

  

Avant d’évoquer la dernière scène en débat¸ celle après la convalescence de Jamie¸ la question que l’on peut se poser à présent est de savoir pourquoi Claire et Jamie ont besoin de ce que les Anglo-saxons nomment le « wild sex ».  

  

 

Ces instants de sexe sauvage procèdent de l’instinct de survie. Ils sont déjà maladroitement réclamés après l’attaque des déserteurs anglais dans le tome premier. Claire formule également son besoin immédiat de faire l’amour après l’embuscade dans les rues de Paris (Chapitre 18¸ T2 Le talisman)¸ pour remplacer au plus vite le souvenir de l’appréhension par la sécurité de la possession mutuelle.  

Ces scènes surgissent donc à des moments bien particuliers de la saga de D. Gabaldon¸ dans l’angoisse et la peur consécutives à la crainte de se perdre : outre la scène de réconciliation et celle suite au viol de Jamie par Randall¸ on retrouve cette intensité après le viol de Claire par Louis XV pour libérer Jamie autant que pour le faire souffrir (Chapitre 29¸ T2 Le talisman)¸ lors des retrouvailles après vingt ans de séparation (Chapitre 26, T3 Le voyage)¸ après la découverte du mariage de Jamie avec Laoghaire même si Jenny interrompt l’élan passionnel (Chapitre 35, T3 Le voyage), après la blessure de Claire dans la scène de la soupe à la tortue (Chapitre 56, T3 Le voyage)¸ ou encore après leur dispute dans les écuries de River Run (Chapitres 43 et 49, T5 La croix de feu) et le viol de Claire (Chapitre 29¸ T6 La neige et la cendre). Ils rentrent alors volontairement dans une forme de déresponsabilisation et de perte de contrôle nécessaires pour se retrouver dans un état fusionnel rassurant.

Claire et Jamie partagent un vécu nomade et sans attaches¸ confrontés très vite à une violence quotidienne¸ avec comme seul horizon l’immédiateté de la mort et la fragilité de la vie. Pour Claire¸ c’est l’expérience de la seconde guerre mondiale qui la marque durablement ; pour Jamie¸ c’est un monde hostile qui l’éloigne de ce qu’il désire tant¸ être mari et père entouré de ses proches dans la quiétude de Lallybroch, qui aiguillonne sa quête d’absolu. L’acte sexuel libérateur permet d’oublier un temps la maîtrise et la tension du quotidien. Il est leur seul espace de violence contrôlée dans un monde de violence incontrôlable, seule violence synonyme de sécurité et de plaisir¸ seul territoire où la confiance est toute¸ entière¸ inaltérable¸ loin des trahisons. Marquer le corps de l'autre pour se l’approprier et se sécuriser… Se posséder mutuellement est autant source de bien-être que quête de sens pour deux « outlanders ».

 

On peut ne pas aimer cette relation mais il est nul besoin de lui prêter une réalité qui lui est étrangère pour s’en détourner. Car avec D. Gabaldon¸ on sait parfaitement lorsque l’on sort du territoire du consentement pour entrer dans celui de la violence imposée.

 

On a d’abord ces deux scènes de sexe non consenti¸ lorsque Jamie est contraint de faire l’amour avec Geneva¸ une femme qui menace sa vie et sa famille (Chapitre 14¸ T3 Le voyage)¸ et celle où¸ en colère contre le souvenir de Laoghaire et à moitié endormi¸ il se retourne sur Claire et lui impose une pénétration « à sec »¸ sans s’assurer qu’elle est physiologiquement prête¸ dans un geste mécanique¸ impersonnel¸ brutal qui provoque sa réaction immédiate et furieuse (« Qui diable penses-tu que je suis ? ») et les excuses de Jamie (Chapitre 101¸ T5 La croix de feu).

 

Egalement¸ à trois reprises¸ dans le tome premier¸ et nulle part ailleurs dans les suites de la saga¸ entre le sauvetage de Fort William et la réconciliation dans le chambre de Castle Leoch¸ le lecteur est confronté au non consentement. Claire est rappelée à ses devoirs d’obéissance et de soumission dans une conception paulinienne du mariage¸ secouée par les épaules¸ menacée de représailles (gifles¸ raclée…) avant passage à l’acte (coups de ceinture) et enfin¸ menacée de relations sexuelles forcées.

 

On sait qu’à partir de la scène de réconciliation, Jamie a évolué. Les scènes de disputes qui sont décrites ultérieurement, lors de la découverte du mariage de Jamie et de Laoghaire (Chapitre 35, T3 Le voyage) ou dans les écuries de River Run (Chapitres 43 et 49, T5 La croix de feu) n’ont plus rien à voir avec la violence physique ou la menace verbale : les disputes sont sexualisées.

 

La question de savoir qui a raison ou tort se solde par un match nul, dans la possession mutuelle. S’il y a un gagnant et un perdant, comme après que Jamie ait battu Claire, le risque est de se perdre. Aux gifles ou agressivités verbales de Claire dans les deux scènes des tomes 3 et 5, Jamie répond par le désir (le baiser) et non la menace, par la pulsion sexuelle (l’étreinte) et non les coups. On entre dans le domaine de la saine agressivité, librement consentie¸ énergie vitale qui entretient le désir entre Claire et Jamie, maintient la connexion, provoque l’approche charnelle, supplie les corps. Plus particulièrement, la scène dans les écuries de River Run (Chapitre 49, T5 La croix de feu) s’inscrit dans une démonstration implacable et très imagée de la possession rapide du mâle dominant, avec un « Look down - Regarde pendant que je te prends ! » d’une charge virile époustouflante comme Claire peut les espérer (« Eh bien, j'ai bien aimé ce moment, en fait. »).

 

Ainsi¸ la limite posée par D. Gabaldon se dessine au travers de l’approche de la dispute entre le tome 1 et les autres tomes : si l’agressivité est refoulée, elle émousse la relation et engendre des frustrations mais si elle est excessive et malsaine, elle se transforme en violence physique.

 

Quand il y a consentement¸ les fantasmes de soumission et de domination¸ le jeu consistant à se faire peur¸ les morsures ou griffures créent l’émotion qui stimule l’imaginaire érotique dans une énergie respectueuse de son partenaire. S’il y a un risque d’avoir fait mal et de basculer dans le non consentement¸ Jamie n’hésite pas à s’en assurer et la réponse de Claire est toujours la même que lors de la nuit de noces : « Je suis désolé, murmura-t-il. Je ne voulais pas te blesser. Mais je veux être en toi, rester en toi, si profondément. (…). Je m'appuyai fermement contre lui. Tu ne me feras pas de mal » (Chapitre 24¸ T1 Le chardon et le tartan). La communication franche et une réponse du même ton sont toujours convoquées : « Il était silencieux et brutal au début, sa colère aiguisant son amour. Ouh ! J'ai dit, à un moment donné. Bon Dieu, je suis désolé, mo duinne. Je ne pouvais pas... C'est bon. J’arrêtai ses excuses avec ma bouche et le tins fermement, sentant la colère refluer alors que la tendresse grandissait entre nous » (Chapitre 45¸ T2 Le Talisman).

 

Le ton franc et direct est une caractéristique de leur relation. On ne tergiverse pas et on ne se ménage pas. Que ce soit lors des disputes où les noms d’oiseaux fusent allègrement (« bastard », « Scot stubborn » contre « bitch » et « silly woman ») ou lors de leurs échanges de tous les jours : l’amour est suffisamment fort pour qu’on se dispense de tout état d’âme. Jamie peut lui dire d’enlever « sa robe rouge de pute » et fustiger ses pantalons moulants, employer un parler naturel, grivois, ramenant ses réponses à son ressenti brut, primitif, terrien dans une animalité touchante, cela fait écho à l’authenticité de Claire qui ne peut pas penser ou ressentir une chose sans que Jamie ne le lise de suite sur son visage.

 

D’autres disputes¸ moins spectaculaires que celles rappelées ci-dessus¸ montrent ce même besoin de posséder l’autre car le plaisir qu'on se donne permet d’accepter les compromis inhérents à la vie conjugale qui pourraient les séparer.

 

Dans la scène où Jamie est accusé à tort d’infidélité par Claire¸ c’est au lit que le débat s’achève (chapitre 17¸ T2 Le talisman)¸ dans celle où la jalousie envers Frank déchaine de nouveau les passions¸ c’est un baiser appuyé qui a autant le mérite de déclencher le désir que de fermer la bouche : « Tu es à moi, bon sang, Claire Fraser ! À moi, et je ne te partagerai, avec un homme ou un souvenir, ou quoi que ce soit d'autre, tant que nous vivrons tous les deux. Tu ne me mentionneras plus le nom de l'homme. Tu entends ? Il m'a embrassé férocement pour souligner le point. » Et Claire de demander ensuite à Jamie de l’emmener… au lit (Chapitre 45¸T2 Le Talisman).

 

La scène où Claire et Jamie sont en désaccord sur la traque de Stephen Bonnet (Chapitre 10, T5 La croix de feu) est instructive car les témoins n’y voient que l’échange tendre d’un couple amoureux. Mais les corps sont bien en tension, dans leur expression sexuée, la puissance pour Jamie, « noyau d'acier dur qui ferait de lui un projectile mortel, une fois lancé sur n'importe quel cap », la résistance excitée pour Claire et le baiser qui éteint toute discussion autant qu’il donne l’assurance que rien n’est grave tant qu’ils sont ensemble.

 

En ce qui concerne la dernière scène du premier tome, elle suit un narratif très proche de la scène de réconciliation du chapitre 23. Dans le cadre engourdissant et sensuel des sources chaudes, elle exige à son tour son dû de jouissance dans une animalité revendiquée.

Sa particularité est de nous instruire des commentaires de Jamie qui montrent qu’il a parfaitement décodé les attentes de sa partenaire et qu’il sait y répondre avec une habileté érotique remarquable : « Quand je viens vers toi féroce et désireux¸ que tu gémis sous moi et luttes comme si tu voulais t’enfuir, je sais alors que c'est seulement que tu luttes pour te rapprocher, et je mène le même combat. » Jamie la rassure pour qu’elle se sente émotionnellement en sécurité¸ libre de se livrer et de se révéler dans une désinhibition totale : « Pas encore. Nous avons le temps. Et je veux t'entendre gémir à nouveau comme ça. (…). Je veux te faire soupirer comme si ton cœur allait se briser, et crier à force de vouloir, et enfin crier dans mes bras, et je saurai que je t'ai bien servi (Chapitre 41¸ T1 Le chardon et le tartan). Le mot de la fin incombe à Claire : « Et j’entendis son propre cri en retour, sans défense, et je sus que je l’avais bien servi. »

On retrouve l’ensemble des ingrédients du sexe sauvage : la domination masculine, l’appel à la violence comme amplificateur de l’excitation, la réponse encore plus ardente puis la réciprocité. Le vocabulaire se veut imagé, avec son oxymore évocateur (« torture exquise ») et une certaine animalité (la méduse cartilagineuse face au requin massif).

 

Chaque scène de sexe permet à Claire et Jamie de se prouver jusqu’où ils sont prêts à aller l’un pour l’autre parce qu’il existe entre eux une connexion profonde et puissante¸ dont le sexe est le prolongement. Elle n’est donc jamais un élément qui se donne à vivre de manière isolée dans la saga de D. Gabaldon¸ elle s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste. C’est ce qui permet de comprendre que ces scènes¸ en particulier celles de sexe sauvage¸ ne se réduisent pas à la soumission des corps mais sont avant tout l’incarnation d’un lien émotionnel préexistant. Ce sont les mots qu’ils échangent non seulement pendant mais aussi avant et après l’acte en lui-même qui donnent un sens à leurs démonstrations.

 

On verra également (en Partie II) qu’un langage silencieux est à également à l’œuvre mais en se focalisant sur les seuls mots qu’ils se disent¸ on a déjà conscience du tsunami émotionnel qui est libéré au quotidien¸ en dehors de tout acte sexuel. « Parce que ce n’est pas ton corps qui compte quand je te prends, dit-il. Et tu le sais bien, Sassenach ! » lui rappelle-t-il en Amérique (Chapitre 47, T4 Les tambours de l’automne).

 

Car les mots reflètent la force de leur amour. Ils sont le consentement ordinaire. Difficile d’être exhaustif tant les différents romans regorgent de ces mots qui nourrissent l’imaginaire érotique du consentement au quotidien. Ils peuvent consolider l’intimité, aiguiser l’envie¸ entretenir le désir, exacerber la jouissance ou se lover dans le fantasme.

 

La poésie est omniprésente, Jamie sait capturer l’instant qui maintient l’ardeur même dans les situations les plus banales. La fusion comme source de bonheur est sans cesse revendiquée : « Tant que mon corps vit et le tien, nous sommes une seule chair » (Chapitre 16, T4 Les tambours de l’automne). On retrouve un mélange de gratitude envers le Seigneur et d’adoration mystique pour ce que Claire représente pour lui : « Nous sommes liés, toi et moi, et rien sur cette terre ne me séparera de toi. Car je te donne mon esprit jusqu'à ce que notre vie soit accomplie » (chapitre 10¸ T2 Le Talisman).

 

Chez Claire¸ le caractère vital puise dans l’analogie avec le monde médical¸ quand le besoin de l’autre est aussi nécessaire que l’oxygène ou le flux sanguin, quand elle aime caresser les lignes du corps pour y sentir les pulsations, veines, artères qui irriguent le cœur, quand son propre état psychologique est conditionné à la solidité chaleureuse de la présence de l’autre : « Être seule avec Jamie était le bonheur, l'aventure et l'absorption. Être seule sans lui, c'était... être seule » (Chapitre 23, T4 Les tambours de l’automne).

 

L’humilité touchante qui consiste à exprimer régulièrement leur besoin d’amour et de protection, l’abnégation mais aussi les fantasmes sont l’expression régulière d’une dépendance voulue, recherchée, consentie : « Je veux te tenir comme un chaton dans ma chemise, mo duinne, et pourtant je veux écarter tes cuisses et te labourer comme un taureau en rut. Penses-tu que c'est différent pour moi ? Penses-tu que je ne ressens pas la même chose ? demandai-je. Que je n'aie parfois pas envie de te mordre assez fort pour goûter le sang ou de te griffer jusqu'à ce que tu cries ?» (Chapitre 17, T2 Le talisman).

Et tout avait (re)commencé par un timide, presque craintif, consentement verbal, comme aux premiers jours : « J’aimerais beaucoup t'embrasser, dit-il doucement. Puis-je le faire ? ».

Que nous apprennent sur le consentement les autres scènes de sexe sauvage présentes dans les différents tomes?

 

D’abord, la confirmation du ressenti dans le tome premier ; qu’une bonne gestion de l’agressivité consentie exige l’acceptation de ses pulsions primaires dans une sexualité active ; que l’énergie sexuelle refuse tout ce qui l’entrave, les convenances et les schémas établis mais aussi la colère et les reproches refoulés. Le mental n’est pas aux commandes, il n’y a pas d’intellectualisation de l’agressivité, ce sont l’imprévu, l’inopiné, l’étreinte fortuite et soudaine, le guet-apens amoureux qui rendent cette insistance attrayante.

 

La scène qui suit le viol de Claire par le roi de France dans une volonté de faire souffrir Jamie, avec Jamie plus blessé par le mensonge de Claire que par l’acte en lui-même, confirme qu’un conflit ne se résout plus par l’ascendant punitif de l’un sur l’autre. Jamie n’en a pas besoin pour restaurer sa masculinité bafouée (Chapitre 29¸ T2 Le talisman).

 

Mais elle apporte aussi un élément nouveau. Elle montre que le consentement nécessite parfois le décodage des injonctions contradictoires : si Claire consent rationnellement à être punie avec des orties, elle n’y consent pas charnellement. Son consentement est un appel à l’aide pour trouver le chemin de la déculpabilisation, pas une adhésion. C’est à Jamie de faire le tri dans l’âme troublée de Claire et de dire quel organe est aux commandes du consentement, l’esprit ou le corps. Il lui offre ainsi d’affronter ensemble la douleur et la guérison. Ce qui importe dans cette confrontation où ils dénudent autant leurs corps que leurs âmes, c’est de se protéger mutuellement. Le consentement est toujours dans l’équilibre de leurs attentes.

 

La scène des retrouvailles après vingt ans d’absence (Chapitre 26, T3 Le voyage) agit en miroir de la scène du chapitre 23 du tome premier. Après la découverte du sexe sauvage¸ voici maintenant la redécouverte. Au chapitre 23¸ Jamie proposait de vivre la possession mutuelle : « Je ne vais pas…je ne peux pas… Claire¸ je ne peux pas être doux. » Lภles pensées de Claire font écho mot pour mot au tome premier, D. Gabaldon ne laisse rien au hasard : « Fais-le, pensai-je (…). Pour l'amour de Dieu, fais-le maintenant et ne sois pas doux ! Je ne pouvais pas le dire. J'en ai vu le besoin sur son visage, mais il ne pouvait pas le dire non plus ; il était à la fois trop tôt et trop tard pour de telles paroles entre nous. Mais nous avions partagé une autre langue, et mon corps s'en souvenait encore. »

 

On retrouve cette harmonie des corps et leur complicité dans un rituel que le temps n’a pas affaibli. Vingt ans plus tard, Claire est dans ce même état de fébrilité et d’attente devant le charme sauvage et rugueux de Jamie : « Mais aussi fort que la luxure était le désir simplement d'être prise, qu'il me domine, étouffe mes doutes dans un usage brutal, me prenne assez fort et assez vite pour me faire oublier moi-même. » La mémoire des corps est là, vivace, enracinée dans leurs chairs, comme s’ils s’étaient quittés la veille : « Mes hanches s'agitèrent contre lui, et s'agitèrent à nouveau, exhortant à la violence. Je tournai la tête et plantai mes dents dans la chair de son épaule. Son corps m'entendit et répondit dans la même langue. »

La scène consécutive au viol de Claire (Chapitre 29, T6 La neige et la cendre) rappelle la scène du chapitre 41 du tome premier. Le sexe est urgent, brutal, après la souillure issue du viol de chacun. Il doit avoir lieu pour ne pas se perdre, dans un acte de nécessité plus que d’amour, pour ne pas rester faibles dans la souffrance mais devenir forts dans la fusion, lavant les souvenirs du mal dans l’étreinte sauvage purificatrice.

 

La différence est que Jamie est tellement meurtri par ce qui est arrivé par Claire qu’il ne peut s’envisager brutal : « Il VOULAIT [ en majuscules dans la version anglaise ] être doux. Très doux. Il l'avait planifié avec soin, s'inquiétant à chaque étape du long chemin du retour. Elle était brisée, il doit être prudent, prendre son temps. » Mais Claire lui indique une autre voie : « Et puis il vint vers elle et découvrit qu'elle ne souhaitait aucune part de douceur (…). Elle souhaitait la franchise. La brièveté et la violence. (…). Pendant un instant, deux instants, il se débattit, essayant de la serrer contre lui et de l'embrasser tendrement. Elle se tortilla comme une anguille dans ses bras, puis roula sur lui, frétillant et mordant. »

Avec une résonnance toute contemporaine autour des problématiques de l’implication de substances désinhibantes lors des viols¸ la question du consentement est également posée sous un angle nouveau lors de la scène de la soupe à la tortue (Chapitre 56, T3 Le voyage). Claire est dans une démonstration de puissance érotique mais elle est fiévreuse¸ blessée et ivre. Jamie est fou de désir mais hésitant. A chaque provocation de Claire¸ il temporise. Il s’assure à plusieurs reprises qu’elle a toutes ses facultés avant de succomber à son tour.

 

L’instant est bref, intense et atteint son but. « Comment te sens-tu ? (…). Elle le regarda directement pour la première fois depuis qu'il l'avait ramenée à la maison. En sécurité, murmura-t-elle, et elle ferma les yeux. »

 

 

Dessin de Silvia Mesas.G

Les scénaristes ont fait le choix de ne montrer ni la scène du chapitre 41, tome premier, ni celle du chapitre 29, sixième tome. Ils ont inventé un traumatisme fictif lors du séjour de Claire et de Jamie en France lors de la deuxième saison et n’ont capté que l’instant final d’une Claire sécurisée dans les bras de Jamie en cinquième saison, certes, dans une esthétique des corps nus particulièrement réussie. Ils passent à côté de la dimension rédemptrice du sexe sauvage dans le couple formé par Claire et Jamie.

 

L’abstinence proposée en début du séjour parisien est totalement contraire à l’esprit de leur union. Entourés d’immensité et de menaces, ils réclament toujours l’accomplissement l’un dans l’autre, cet état de demi-conscience où la pensée est ralentie et les sensations physiques amplifiées dans une stupeur bienfaisante. Ni l’un ni l’autre ne peut y échapper depuis la scène 23 du tome premier. L’instant de l’alliance, que Jamie va chercher dans ce même chapitre dans une démarche volontaire et hautement symbolique, pour sceller leur possession mutuelle, a également été balayé au profit d’une escapade comique des deux trublions écossais, Rupert et Angus, auprès d’un forgeron avant le mariage. Alliance indéfectible qui résiste à Frank et au retour de Claire en 1948, à Stephen Bonnet (c’est l’alliance de Frank qui est volée dans le livre), à Philip Wylie.

 

Pour conclure cette première partie¸ les critiques adressées à l’encontre de la saga veulent faire silence sur le corps et ses désirs¸ comme s’ils étaient suspects¸ comme si on ne voulait pas donner à un homme le plaisir de donner du plaisir à une femme. Ce qu’il faut garder à l’esprit¸ c’est que l’écriture des romans¸ entre les années 1990 et aujourd’hui¸ s’inscrit dans un contexte sociétal tiraillé entre deux tendances contradictoires : d’une part¸ des violences sexuelles accrues qui ont entraîné une vague purificatrice de rejet de tout fantasme de soumission dans la crainte de l’asservissement¸ et¸ d’autre part¸ une surenchère médiatique encourageant la performance sexuelle¸ une vision consumériste du corps féminin¸ une pornographie proposant un désir sexiste et technique du sexe éloigné des attentes de chaque partenaire.

 

S’ajoute un troisième élément de contexte¸ propre au choix narratif de D. Gabaldon : le schéma de pensée patriarcal du XVIIIème siècle.

 

Or¸ pour que le consentement ne soit que l’expression de deux êtres qui s’aiment uniquement préoccupés par leur seul bien-être¸ il faut se libérer de cette sexualité otage¸ cesser de l’intellectualiser¸ d’en faire un enjeu de lutte des sexes ou de la réduire à des prouesses techniques. C’est cette écriture affranchie que propose D. Gabaldon au travers du parcours de Claire et de Jamie¸ balayant aussi bien les interdits du post féminisme moderne que la tyrannie des apparences sur les stéréotypes féminins ou le carcan suranné de la moralité du XVIIIème siècle.

 

L’auteur nous montre alors une relation où Claire s’approprie le plaisir qui lui procure une expérience intense, durable, inoubliable de parfait achèvement d’un moi profond, libre, non censuré. D. Gabaldon accepte toute l’ambigüité du désir. Ainsi¸ parce que Claire n’est pas soumise dans sa vie sociale par Jamie¸ elle peut l’être dans le jeu¸ le fantasme et la mise en scène au lit en l’ayant décidé librement. Pour arriver à la jouissance, elle accepte d’être dominée par un homme, de lâcher ses défenses et de se laisser aller. Cela n’est pas incompatible avec l’égalité qui préside à leur relation¸ au contraire¸ le respect de Jamie envers Claire n’est pas confondu avec l’indifférenciation des sexes dans le domaine érotique et avec le subtil irrespect du jeu sexuel, d’autant plus que le rapport dominant/dominé n’est jamais un jeu aux rôles figés.

 

Et même lorsque Jamie est présenté comme actif¸ comme celui qui choisit et prend pendant que Claire reçoit et se donne¸ il est toujours à l’écoute de la montée du plaisir de sa partenaire¸ il se renouvelle sans cesse dans la diversité des aspirations sexuelles : l’auteur pluralise les expressions du désir¸ décrivant une sexualité qui n’est plus uniquement normée et rythmée par la seule pénétration masculine mais valorise le sexe oral et l’orgasme clitoridien¸ comme les scénaristes ont su le monter dans cette scène mémorable de la saison 1 où Jamie doigte Claire et n’a d’autre plaisir que celui de lui en donner. D. Gabaldon ne craint pas non plus de faire dialoguer Claire et Jamie sur la question taboue et honteuse de l’époque¸ la masturbation féminine (Chapitre 2¸ T4 Les tambours de l’automne)¸ ce qui permet une fois de plus à Claire d’assumer librement ses pratiques sans être jugée et à Jamie de révéler son exceptionnelle écoute.

 

Dessin de Silvia Mesas.G

Une certaine violence du désir n’exclut pas non plus le respect. Qu’attend Claire de Jamie ? Qu’il la désire sans être égoïste ou insensible. Qu’attend Jamie de Claire ? Qu’elle le désire en lui montrant qu’elle est satisfaite de lui. Comment Jamie se comporte-t-il en homme respectueux qui désire ? Comment Claire se comporte-t-elle en femme désirée et respectée ? Tout est dans l’articulation du consentement autour des notions telles que le rapport au sexe¸ la discipline conjugale et la fidélité.

 

Plus haut¸ il était également fait allusion à la vision consumériste du corps féminin qui impose des normes de beauté ; elle aussi doit être évacuée au même titre que les interdits féministes et le carcan machiste du XVIIIème siècle pour permettre l’expression d’un consentement pur¸ authentique¸ entravé par aucune norme sociale. Jamie aime Claire telle qu’elle est¸ son désir n’est pas suspendu à une représentation qu’on appellerait aujourd’hui glamour et stéréotypée de la femme. Il l’aime autant non épilée¸ le cheveu en bataille ou argenté¸ jurant ou aux vêtements sales et déchirés. Il la désire toujours lorsque son corps porte les stigmates de son viol¸ ou lorsque, plus tard dans la saga, elle sera malade avec le cheveu rasé.

 

 

Claire ne s’inscrit pas davantage dans les diktats de la bourgeoisie de son époque¸ dans la tyrannie de la fortune et de la bonne situation que l’homme doit obligatoirement apporter à son épouse. Jamie n’a toujours pas d’argent ni de toit fixe à offrir à Claire en ce début de quatrième tome mais peu importe¸ ils se suffisent à eux-mêmes : « Peut-être qu'un jour je te parerai de dentelles et de bijoux¸ dit-il doucement. Je n'ai jamais pu te donner beaucoup, sauf une petite bague en argent. Tu m'as donné beaucoup plus que ça, dis-je » (Chapitre 9¸ T4 Le tambours de l’automne).

Ancré dans la réciprocité, le consentement verbal est une déclamation renouvelée du plaisir dans une infatigable appétence pour le corps de l’autre.

 

Et qu’en est-il du consentement silencieux ?