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Un serment inaltérable (402) 

Par Valérie Gay-Corajoud

Au tout début de l’épisode 2 de la saison 4 : Un serment inaltérable, nous retrouvons Jamie et Claire sur l’embarcation qui les emmène à Cross Creek, et plus précisément à River Run, la demeure de Jocasta.
A la fin de l’épisode précédent, Steven Bonnet les avait détroussés de la pire façon, tuant leur ami Lesley par la même occasion.

Outre toutes les pierres précieuses provenant du trésor de Geillis Duncan, et qui étaient leur seul bien matériel, Bonnet a également volé l’alliance que Jamie a offert à Claire pour leur mariage, celle faite avec la clé de Lallybroch (il est à noter que dans la version de Diana Gabaldon, c’est l’autre alliance qui lui est subtilisée, celle en or, de son mariage avec Frank).
Lorsque finalement ils arrivent à River Run, "Maison digne d’un roi" comme le souligne petit Ian, Ils n’ont plus un sou en poche. A nouveau, Jamie a tout perdu. A nouveau il porte le poids de cette responsabilité pour toute sa famille.

La famille, qui a toujours été son pilier le plus solide… elle se présente là pourtant, en la personne de cette tante qui a su faire fructifier ses biens et qui semble s’être implantée dans la communauté avoisinante. Jocasta Cameron, née MacKenzie, sœur de sa mère bien aimée qui symbolise un passé qui n’est plus, des racines perdues, un pays abandonné.

Bref, dans cette rencontre, il y a bien plus en jeu pour Jamie qu’il n’y parait au premier abord.
La tendresse infinie pour cette tante, qu’il connait pourtant si peu, est immédiatement palpable. Lorsqu’il va à sa rencontre, il n’y a plus rien de l’homme en colère, de l’homme amère, ni même d’ailleurs du meneur, du vainqueur, ou du père ou de l’amant. Il n’y a plus que ce petit garçon qui, d’une certaine manière, retrouve sa mère trop tôt disparue.
Il est important de ne jamais l’oublier, car, de cette femme qui représente tout cela, Jamie peut tout supporter, tout pardonner. Elle est au-delà de tout jugement pour lui, comme le sont les mères pour leurs jeunes enfants.
Pour Claire, c’est différent. Jocasta devra faire ses preuves et montrer qu’elle est autre chose qu’un simple rappel du passé de son époux. Elle est sur sa réserve, comme elle l’avait été au tout début de la série, avec les membres du clan MacKenzie. Quant à Ian, le reste d’enfant en lui, qui perdure malgré les traumatismes qui s’enchainent dans sa vie depuis quelques mois, lui permet d’aborder cette grand-tante avec une simplicité désarmante. Un bouquet de fleurs tendu, un tendre sourire, et le voilà déjà courant après son chien.

Finalement, après ces retrouvailles émouvantes, tout le monde tourne le dos au fleuve et se dirige vers le domaine. Les Fraser, Jocasta et Ulysse, son esclave maître de maison. Et déjà, la présence et la déférence de cet homme, dominé mais imposant, donne le ton sur ce qui nous attend à River Run.

A peine franchie la porte, tout à coup, les Fraser ne sont plus dans les grands espaces, ne sont plus ni en terre inconnue, ni sur mer, ni même sur le chemin vers leur destinée. A River Run, c’est comme un espace clos avec ses propres règles. C’est un microcosme qui porte en lui tous les disfonctionnements de la colonisation. C’est en quelque sorte une loupe qui vient se poser sur l’insupportable.
Et ce qui m’a frappée dès le début, c’est à quel point cela n’impacte pas les personnes de la même manière.

Pour Claire, c’est immédiatement insoutenable. L’esclavage, elle en ressent tous les rouages car elle en connait l’histoire de son début jusqu’à sa fin. Elle a eu le temps de le comprendre, de l’étudier, de le juger et de se situer en regard. Lorsqu’elle croise les esclaves, dans les champs et dans la maison, ce ne sont pas juste des individus privés de leur liberté qu’elle croise, mais tout le symbole qu’ils emportent avec eux. Ce qu’elle croise, c’est l’Esclavage.

Elle réagit comme une femme du 20ème siècle, qui sait, mais après coup. C’est pour cela qu’elle demande à Phaedre et à Mary de l’appeler par son prénom. Elle ne réalise pas tout de suite que cela leur est tout simplement interdit, voire, dangereux.
Et à nouveau, elle ressent le poids du lourd tribut qu’est le sien, d’être dépositaire de l’histoire à venir.

Car elle sait le nombre d’années qu’il faudra encore pour en finir avec cette barbarie. Elle sait par quoi toutes ces personnes vont devoir passer. Et ce savoir, encore une fois, ne suffit pas.
Heureusement, Jamie est là. Il comprend en un seul regard, en un seul ton de voix, en un seul silence.
A lui, elle peut se confier et faire part de son indignation. Et surtout, elle sait qu’il la soutiendra, comme il l’avait fait avec Téméraire en Jamaïque.

Jamie qui, il n’y a pas l’ombre d’un doute, ne valide pas l’esclavage non plus, ne réagit pas aussi fortement que Claire.
Tout d’abord, c’est un chef de clan. Il a appris à faire passer ses sentiments personnels après l’intérêt général. Or ici, d’évidence, il va devoir être celui qui apaise. En fin stratège, il a l’habitude de ne pas affronter précipitamment des combats aussi complexes que celui-ci. Et puis, dans un sens, Claire porte pour eux deux son indignation, lui permettant, à lui, de garder son sang-froid et de faire en sorte que les relations soient possibles. De plus, encore une fois, sous le charme de sa tante et aux prises avec les émotions que cela suscite en lui, il ne peut pas tout affronter, au risque finalement, de tout perdre.

Il va même, un peu plus tard, jusqu’à imaginer accepter d’être l’héritier et le maître de River Run, comme l’a suggéré sa tante sans le consulter, afin de changer les choses de l’intérieur. Et c’est ce qui fait la différence avec Claire. Il ne sait pas, lui, à quel point les forces extérieures seront phénoménales et implacables pour l’en empêcher.

Ce qu’il ne comprend pas encore Jamie, ou ce qu’il refuse encore de comprendre, c’est que l’esclavage est l’un des piliers qui a permis aux britanniques de coloniser ce pays. D’un côté, ils ont massacré les natifs, de l’autres, ils ont fait venir des esclaves, et enfin, ont peuplé les terres de colons en les soumettant à des lois, des taxes et des obligations. La simple volonté d’un immigré, quand bien même serait-il le futur propriétaire de la demeure et des terres de River Run, n’a aucune chance de prévaloir sur ce fonctionnement organisé. A l'inverse, Claire le sait, c’est sa croix.
Et pourtant, même si on la sent dubitative face à la proposition de son mari, elle consent à demi-mot. Après tout, n’ont-ils pas essayé de faire avorter la bataille de Culloden ? Comment pourrait-elle aujourd’hui, briser l’espoir fou de l’homme qu’elle aime ?

Quant à Jocasta, il est difficile dans ce premier contact, de savoir ce qu’elle pense exactement de l’esclavage. Ce qui est certain, c’est qu’elle s’en sert pour faire fructifier ses terres, pour faire fonctionner sa maison, pour remplacer ses yeux défaillants (et un peu plus que ça, dans la version de Diana Gabaldon). Même si elle semble être une esclavagiste plutôt bienveillante, elle n’en est pas moins une esclavagiste.

Aurait-elle pu faire autrement ?
Toutes les scènes qui vont suivre, à commencer par celle sous le porche, vont nous montrer à quel point les situations sont complexes et qu’il y a toute une variation dans la manière de considérer l’esclavage dès lors qu’on y est confronté.
De l’attitude cruelle et quasi animale du contremaitre Burns à celle purement pragmatique du lieutenant Wolf et de Farquard Campbell, qui ne voient dans l’esclavage qu’un support aux affaires et des leviers politiques, en passant par les voisins hurlant en meute afin d’exécuter le jeune Rufus… La posture de Jocasta semble infiniment plus humaine, quand bien même nous apparaît-elle intolérable, à nous, spectateurs du XXe siècle.

Ce qui est assez déroutant c’est cette dualité qu’elle laisse entrevoir parfois.

La première fois, sous le porche, Elle suggère que certains de ses esclaves sont comme des amis. Certes, Claire a la bonne réaction et dans un sens, elle est notre porte-parole en répondant à Jocasta la première chose qui nous vient à l’esprit : "Eux, n’ont pas le choix".

Mais, au vu de ce qui va suivre, notamment avec Rufus, nous réalisons qu’en regard de l’attitude prédominante, Jocasta a, en effet, bien plus d’attention envers ses esclaves que la majorité des gens qui l’entourent. A force de vivre de cette manière, elle a certainement perdu de vue toute l’horreur que suggère la possession et la monétisation d’êtres humains.

Jocasta semble être une femme de caractère. Elle tient, seule, la gestion de ce grand domaine et cela, malgré sa cécité. Pourtant, à plusieurs reprises, nous pouvons entrevoir ce qu’elle a dû traverser afin de prospérer dans un univers gouverné par les hommes.
Par exemple, lorsqu’elle dit à son neveu qu’il a bien fait de remettre le Lieutenant Wolf à sa place :
"Tu as bien fait de parler avec franchise. C’est un privilège dont j’aimerais bien jouir, mais dans certains cas, nous devons faire preuve de délicatesse, particulièrement quand l’avis non sollicité d’une femme est tout sauf bienvenu".
Dans cette seule phrase, on appréhende plus justement tous les obstacles qu’elle a dû surmonter et l’obligation qui a dû être la sienne de dépasser ses objections personnelles, pour survivre et s'imposer.

Ensuite, elle nomme Jamie comme successeur de son domaine (alors qu’elle n’est ni âgée ni malade) et lui en confie les rennes immédiatement. On sent qu’en cela, elle a besoin de mettre River Run à l’abri des rapaces, dont bien évidemment le Lieutenant Wolf, qui ne cherche même pas à cacher son désir de se l’approprier, quitte, pour cela à l’épouser (et plus tard, Brianna).

Il est assez aisé de conclure que jamais elle n’aurait pu bâtir River Run seule. Elle l’a fait avec son mari et en a hérité. Mais elle a conscience qu’en ces temps machistes, une femme, aussi forte soit-elle, ne peut s’opposer bien longtemps à la domination masculine.
D’ailleurs, lorsque Jamie fait part de son intention de libérer tous les esclaves, ce n’est pas Jocasta qui lui explique que c’est impossible, c’est son avocat, Farquard Campbell à qui elle donne la parole. Il est à ce sujet impératif, voire menaçant : "D’autres ont essayé de changer les choses, dit-il à Jamie. Et on n’a plus jamais entendu parler d’eux". "Vous ne pouvez monnayer la liberté" ! Lui rétorque Jamie, ce à quoi Campbell répond : "L’assemblée, elle, le peut, et elle le fait " !
Il n’y a pas plus clair comme menace.
C’est là qu’on comprend que sur ce sujet particulier, Jocasta n’a jamais eu le choix et que, même si c’est elle la propriétaire de son domaine, elle ne le restera qu’à condition de suivre les règles imposées.

Cela se confirme lorsque la foule aveuglée par la haine réclame Rufus afin de le pendre. Jamais elle ne donne son avis sur cette barbarie ! Elle n’a qu’une peur, c’est de voir sa maison brûler et sa légitimité remise en question. Elle ne cesse de naviguer de son neveu à la foule, terrifiée et perdue, sans finalement prendre aucune décision.

Elle sait mieux que quiconque ici, que si elle n’a plus River Run, elle ne sera plus personne. Quoi qu’elle dise, quelles que soient ses suppliques, elle n’a aucun pouvoir sur rien.
Les seules personnes gardant leur sang froid lors de ce moment si poignant, sont Ulysse et Jamie. L’un comme l’autre, pour des raisons différentes, savent que ce jeune garçon est perdu et qu’il n’y a aucune force, à cet instant présent, qui pourra le sauver, pas même la volonté farouche de Claire. Ce qui compte, c’est son âme. Ce qui compte, c’est sa dignité.

Finalement, le corps de Rufus est trainé sur le sol jusqu’à la potence, sans que ces monstres barbares ne s’inquiètent de savoir s’il est encore vie, car ce qui compte pour eux, ce n’est pas sa vie ou sa mort… Rufus pour eux, n’existe même pas. Non, ce qui compte, c’est qu’ils gardent leur pouvoir et leur suprématie. C’est avec ces gens-là que Jocasta doit vivre. Ce sont ses voisins, ses concitoyens, et peut-être même pour certains, ses amis.
Et alors que le corps du malheureux est hissé à la force des bras… la caméra s’attarde sur les personnes qui assistent à la pendaison, sur le porche de la maison finalement épargnée.

Jamie, Claire et Ian, accablés et en colère. Ulysse, Phaedre et Mary, accablés, mais résignés, Jocasta accablée, mais soulagée, et Wolf et Campbell, inexpressifs et déshumanisés.

L’esclavage ici, est une loupe qui permet de voir l’âme des personnes qui y sont confrontées. Diana Gabaldon, encore une fois, l’a merveilleusement illustré.

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